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Athéna au pays de Garuda… La démocratie, vainqueur des élections présidentielles indonésiennes

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Bonne nouvelle : rien à dire ! Dix ans après l’élection de Gus Dur qui scellait l’entrée de l’Indonésie dans l’ère démocratique post-Suharto (1921-2008), le deuxième scrutin présidentiel, universel et direct s’est déroulé sans heurts. Pour la première fois, un mandat a pu être mené à son terme et le président est réélu. L’Indonésie se stabilise enfin, peu à peu. Certes, la gestion d’un archipel de 17.500 îles, dispersées sur une distance équivalent à Londres-Bagdad, abritant plus de 240 millions d’habitants, dont la plus grande population musulmane au monde ainsi que d’innombrables minorités ethniques et linguistiques, relève du défi quotidien. Aussi quelques pratiques locales et autoritaires issues du régime de l’Orde Baru (1965-1998) persistent-elles encore par endroits, tel le bourrage d’urnes dans de petits villages isolés. Au total, 539 irrégularités ont été rapportées à l’Agence en charge de superviser les élections (Bawaslu ou Badan Pengawas Pemilu) et 67 ont fait l’objet de poursuites. Mais au lendemain du scrutin tenu le 8 juillet dernier, aucune émeute ou manifestation ne sont venues contester les résultats avec violence. Au contraire, les félicitations de Barack Obama ainsi que des voisins indiens et australiens saluent le déroulement d’une élection qui a impliqué 176,4 millions de votants et qu’a finalement su gérer la Commission électorale générale (KPU ou Komisi Pemilihan Umum) à force de souplesse dans l’interprétation du règlement.

L’autre signal rassurant envoyé à la communauté internationale tient dans les résultats : le ticket Susilo Bambang Yudhoyono (président) / Boediono (vice-président) est élu dès le premier tour avec approximativement 62 % des voix contre 29 % pour Megawati-Prabowo et 10 % pour Kalla (ancien vice-président) - Wiranto (chiffres encore non officiels). Plus que le score sans appel, la personnalité rassure. « SBY » est un général formé aux États-Unis, brillant et suffisamment lucide pour ne s’être pas - trop ? - sali les mains lors de ses missions passées sur l’île timoraise ou lors des événements socio-politiques de mai 98. Il fut ministre dans les premiers gouvernements post-Suharto puis créa le Parti démocrate qui le mena à la victoire lors des présidentielles de 2004.

Une victoire - politiquement ! - jouée d’avance

Depuis quelques mois, l’élection se présentait sous les meilleurs auspices pour le général Yudhoyono. Déjà en avril dernier, son parti s’affirmait comme le plus important du pays en remportant les législatives avec plus de 20% des voix. Il faut dire qu’il pouvait tout d’abord s’appuyer sur un bilan jugé positif par la population. Les économistes confirment en notant une croissance plus que satisfaisante, à hauteur d’environ 6,1 % (source Banque mondiale), ce qui reste très honorable par temps de crise. Certains jugent même d’actualité d’intégrer l’Indonésie au groupe BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine). Encore faudrait-il s’assurer pour cela que toutes les couches de la population profitent de l’embellie.

De son côté, la Commission pour l’éradication de la corruption (KPK ou Komisi Pemberantasan Korupsi) a pu sereinement mener sa mission sous le premier mandat, avec quelques résultats satisfaisants et des enquêtes parfois conduites jusque dans le cercle familial du président.

Surtout, Yudhoyono a joué de son charisme, un argument de campagne auxquels les Indonésiens se sont montrés très sensibles. Il n’est qu’à voir les binômes formés. Il s’agit souvent plus d’opportunisme que de convictions : Megawati, chef de file historique du PDI-P (Parti démocratique indonésien - Lutte ou Partai Demokrasi Indonesia - Perjuangan), à l’origine de la Reformasi en 1998, s’est acoquinée avec le démagogue Prabowo, surnommé le « Hugo Chavez d’Indonésie », accusé d’atteintes aux droits de l’homme lorsqu’il était général sous l’ère Suharto et aujourd’hui jugé indésirable aux États-Unis. Il en est de même pour Wiranto associé à Kalla et son parti, le Golkar, profondément affaibli par des tiraillements internes. À l’heure de bâtir les coalitions électorales, la recherche de fonds et de figures notoires a ainsi plus inspiré les états-majors des formations politiques que les problématiques socio-économiques du pays. Il en a résulté une campagne parfois pauvre en débat de fond mais riche en polémiques stériles. C’est dommage et la tâche de SBY n’en a été que plus aisée.

Enfin, Yudhoyono a réussi a agrégé autour de lui une vingtaine de petits partis afin de s’assurer un large soutien, surtout auprès des populations musulmanes via le PKS (Parti de la justice et de la prospérité ou Partai Keadilan Sejahtera), le PKB (Parti du réveil national ou Partai Kebangkitan Bangsa), le PPP (Parti pour l’unité et le développement ou Partai Persatuan Pembangunan) et le PAN (Parti du mandat national ou Partai Amanah Nasional).

Le plus dur est donc sans doute à venir, même si la pression politique sera moindre que lors du premier mandat du fait de la majorité au parlement et de l’absence de prochaine candidature.

Un agenda déjà bien rempli

Sur la scène intérieure, le président Yudhoyono ne maîtrisera pas tous les paramètres. La conjoncture économique, en particulier le prix du pétrole, pourrait peser sur les prochaines décisions gouvernementales. Surtout, un danger d’une autre ampleur subsiste.

Les attaques terroristes à Jakarta le vendredi 24 juillet dernier rappellent cette verrue islamiste dont l’État ne parvient pas à se défaire. Si la Jemaah Islamiyah, probable instigatrice de l’attentat, ne connait plus d’organisation pyramidale et structurée, certaines de ses cellules radicales demeurent imprévisibles et dangereuses : l’une d’elle fut arrêtée l’année dernière à Sumatra. Elle avait profité de l’hospitalité d’une école coranique bienveillante pour y mener des actions de plus en plus violentes.

Sur le terrain religieux, la place de l’islam dans la société restera inscrite à l’agenda du prochain gouvernement. Comme lors du précédent mandat, avec notamment l’adoption de la loi anti-pornographie, les polémiques ne manqueront pas. Déjà pendant la campagne, le port du voile par les épouses des candidats fut attentivement examiné. A ce titre, le PKS pourrait jouer le rôle d’aiguillon. La modération de ce parti ouvertement islamique fait encore débat. L’attitude de ce soutien à Yudhoyono, lorsque la nouvelle équipe dirigeante se mettra en place, sera riche d’enseignements.

Autre incertitude : les prochaines gaffes du président ; il en fut coutumier, se prononçant par le passé sur d’improbables procédés biotechnologiques ainsi que sur la magie noire utilisée par ses rivaux. Certains de ses soutiens, essentiellement parmi les populations urbaines, pourraient vite s’en lasser.

Le ticket javano-javanais SBY-Boediono devra d’ailleurs veiller à représenter et défendre les intérêts des autres îles de l’archipel, de toutes les couches sociales et de toutes les ethnies. Plus compliquée encore sera la représentation de tous ses soutiens parmi le gouvernement. A croire ses déclarations, le président se disait tenté par des ministres plus techniciens que militants. C’est d’ailleurs ce qui a justifié le choix de son vice-président, ancien gouverneur de la Banque d’Indonésie.

Sur la scène extérieure, il s’agira tout d’abord de rassurer les voisins de l’ASEAN et de l’Océanie : feux de forêts et immigrations clandestines alimentent régulièrement les chroniques diplomatiques. Cette année, El Nino pourrait même étendre la nuisance des incendies jusque dans la péninsule malaise. Le conflit territorial avec la Malaisie, au large de Bornéo, vers Ambalat, constitue une autre source de tracas non négligeable. Connaissant la dépendance des deux économies vis-à-vis des ressources en hydrocarbures, la dispute pour cette zone potentiellement riche en réserves minérales pourrait suffire à ancrer un climat de tension entre les deux riverains d’Insulinde. Mais rassemblant à lui seul presque la moitié de la population de l’ASEAN et Yudhoyono faisant à présent parti des dirigeants les plus expérimentés de l’organisation régionale, l’Indonésie devra assumer son rang de chef de file mature et responsable. Enfin, le président Obama porte de grands espoirs en l’Indonésie pour relancer sa diplomatie américaine aussi bien en Asie du Sud-est qu’auprès des États musulmans comme en a témoigné la visite d’Hillary Clinton en février dernier. Jakarta ne devra pas décevoir et se présenter comme un partenaire fiable et pondéré.

Repassez en 2014 !

« Lanjutkan » ! « Continuons ! » Tel était le slogan de l’équipe Yudhoyono durant la campagne et tel sera le mot d’ordre pour poursuivre les réformes : lutte contre la corruption, maintien de la croissance, développement des infrastructures (et des transports !). 2009 ne marque pas de changement de cap. Il faudra attendre le prochain scrutin pour voir apparaître une nouvelle génération, celle des « quatre-vingt-dix-huitards » issus de la Reformasi. Les anciens devraient alors céder la place aux plus jeunes, c’est-à-dire à ceux en aucune façon liée à l’autoritaire régime de Suharto. Déjà des noms circulent. Les prétendants ont cinq ans pour se préparer. Pendant ce temps, soyez sans crainte : Pak Yudhoyono veille...

Frécon Eric
Wormser Gérard masculin
Athéna au pays de Garuda… La démocratie, vainqueur des élections présidentielles indonésiennes
Frécon Eric
Département des littératures de langue française
2104-3272
Sens public 2009-07-24

Dix ans après l’élection de Gus Dur qui scellait l’entrée de l’Indonésie dans l’ère démocratique post-Suharto (1921-2008), le deuxième scrutin présidentiel, universel et direct s’est déroulé sans heurts. Pour la première fois, un mandat a pu être mené à son terme et le président est réélu. L’Indonésie se stabilise enfin, peu à peu. Certes, la gestion d’un archipel de 17.500 îles, dispersées sur une distance équivalent à Londres-Bagdad, abritant plus de 240 millions d’habitants, dont la plus grande population musulmane au monde ainsi que d’innombrables minorités ethniques et linguistiques, relève du défi quotidien.

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