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La Muraille de Signe

Informations
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        30 articles
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      Texte

      Sur « la » Chine

      « Oubliez les [notes de bas de page] car elles ne touchent pas à la question ».

      L’idéal serait de faire avec la Chine ce que Barthes avait fait pour le Japon.

      Partir d’expériences singulières, parce que quelconques pour réverbérer un sentiment vague mais insistant. Avec les mots de la langue dont on part, introduire une brèche dans la muraille des signes.

      Ce ne serait pas un article académique. Ce ne serait pas un livre de voyage. Ce ne serait pas une thèse de sinologie. Ce serait un objet bancal : une tentative de traduire des intuitions qui couvent dans notre sang et se précipitent, à l’occasion de rencontres anodines, en idées que l’on souhaiterait caractéristiques. Comme une esquisse pour un tableau qui, de toute façon, ne viendra jamais.

      Un objet littéraire issu d’une longue tradition plutôt française, c’est-à-dire mondialement marginale : l’Essai. L’Essai : maladie polygraphe typique du génie d’un peuple rapide à concevoir mais paresseux à développer ? atavisme sociologique d’une société culturelle construite sur les bons mots qui vous rendront agréables à la cour ? résistance petite bourgeoise contre l’aristocratie académique dans un effort héroïque et vain de convaincre le peuple que l’intelligence n’est pas à la chaire mais dans la rue ?

      Anyway. 反正 . Revenons à nos moutons – mais ils suivent Panurge, maître en digressions.

      De la Mondialisation des préjugés

      Ma première expérience de la Chine vient d’une discussion avec une étudiante de 北京外國語大學 ou plutôt (on reviendra sur cette différence entre chinois traditionnel et simplifié), 北京外国语大学 – c’est-à-dire Beijing Foreign Studies University – qui en est la traduction internationale comme on dit.

      Cette jeune fille me disait ingénument que pour les jeunes étudiantes de son âge, pour ce qui était des possibilités de flirt international, elles pensaient qu’un français c’était bien pour s’amuser mais qu’un allemand c’était mieux si c’était pour la vie et pas pour une nuit car plus sérieux.

      Entendre cela en Chine en 2009, c’est se rendre compte avec une réelle stupeur et une certaine consternation que l’Anthropologie de Kant a bel et bien dominée le monde. Dans l’Anthropologie d’un point de vue pragmatique, on trouve certaines considérations sur la « race » comme lieu où le divers de la nature rencontre l’universel de la raison pour produire les généralités ethnoculturelles, devenues nationales par la grâce des frontières étatiques. Les différences nationales seraient comme l’actualisation empirique de l’universel humain. Mais la lecture que fait Kant de ces différences nationales semble mettre à mal le projet kantien lui-même tant elles illustrent les préjugés de son temps, de son lieu et de sa classe : voilà donc l’Italien esthète mais paresseux, l’Espagnol passionné mais ombrageux, le Français brillant mais frivole, l’Anglais industrieux et l’Allemand terre à terre mais… sérieux. Et deux cents ans plus tard, à l’autre bout du monde, les mêmes préjugés…

      Vous pensiez partir au loin, l’Asie, l’hétéropie, l’autre de l’Europe, etc. etc., et vous voilà rendu aux fondements psychologiques des nationalismes populistes européens. Oui, les idées voyagent : mais les préjugés volent en première classe, à l’avant de l’avion tandis que les concepts eux, en classe économique, attendent et sortent toujours les derniers. Ubi minor, maior cessat .

      L’Oncle d’Amérique et le déni de la Méditerranée

      L’Anthropologie de Kant est comme le reste, du cercle de Vienne à la philosophie analytique, de l’École de Fribourg au néolibéralisme, du protestantisme à l’évangélisme, une idée venue de Prusse et d’Allemagne et qui, en passant par les États-Unis, s’est diffusée victorieusement au reste monde.

      Car il suffit de sortir hors de France et hors d’Europe pour se rendre compte que, en Chine et parfois plus encore à Taiwan, il n’y a que deux mondes, les États-Unis (dont le Royaume-Uni est une lointaine province – ô Histoire !) et la Chine : si vous n’êtes pas chinois, vous êtes américains ; si vous ne parlez pas chinois, vous parlez anglais – si vous ne parlez ni chinois ni anglais, vous êtes sans identité. 你的英文名字是什么?不好意思我没有英文名字,我就是法国人。 

      « C’est un livre français, je peux voir ? Mais c’est comme l’anglais ! ». C’est la deuxième mort de César, abattu d’une balle de 35 mm dans la tête par Oncle Sam : l’alphabet latin se dit « English characters ».

      Μεσόγειε Μεσόγειε λεμα σαβαχθανι ?!

      De 1500 avant notre ère et la civilisation Minoenne en Crète à 1500 après notre ère et la fin de la domination économique de Venise, pendant 3000 ans la Méditerranée fut le centre de la culture des civilisations européennes et occidentales.

      La revanche du Nord prit d’abord les armes ambiguës de la France qui, de François 1er à Napoléon 1er, fut autant conquérante que conquise, autant rivale qu’admiratrice, autant dominatrice que subjuguée. La revanche non plus militaire mais économique fut organisée par les Flandres puis l’Angleterre : la piraterie anoblie (Sir Francis Drake organisant le pillage des provinces espagnoles au service de sa Majesté) fut au fondement du Commonwealth. La revanche non plus militaire ni économique mais idéologique vint d’Allemagne : pour court-circuiter l’héritage méditerranéen, des linguistiques inventèrent l’Indo-Germanique et, de Humboldt à Heidegger, s’édifia le mythe d’une filiation Greco-Allemande directe de la Vérité. Les États-Unis reprirent un à un tous les fils en donnant corps à la légende américaine d’une histoire occidentale scandée par trois moments : Socrate, Luther et Lincoln. La démocratie comme propriété de l’Occident dont l’Amérique détient seule le véritable copyright : cette idéologie au fondement du mythe de fondation américain satisfait bien les autocrates du monde entier.

      « Mme ne vogl’í a ll’America, ca sta luntana assaje […] Mme voglio scurdá ‘o cielo, Tutt’’e ccanzone... ‘o mare, mme voglio scurdá ‘e Napule… »

      Le miroir déformant tendu par l’Europe à la Chine

      Les discours de l’Europe sur la Chine sont un peu désespérant tant ils reflètent de mauvaise foi et de contradiction.

      Deux topos fédérateurs, venus d’Allemagne, dominent les discours : le topos hégélien et le topos heideggérien.

      Le topos hégélien affirme que la Chine est l’Empire de l’Immobilité, hors de l’Histoire, du Progrès rationnel et politique.

      Le topos heideggérien affirme que la Chine est le Royaume de la Mobilité, hors de la Métaphysique, de l’Être et du discours flexionnel articulé.

      Malgré la contradiction réelle entre ces deux topoi, l’astuce de François Jullien fut de relier les deux en affirmant que l’Immobilité Sociale est la rançon de la Mobilité Métaphysique.

      Et ainsi le tour fut joué : on a obtenu l’image deux fois caricaturale, doublement fausse, d’une Chine éternelle comprise comme l’Autre de l’Occident.

      Mais la sommation de deux erreurs peut-elle produire une vérité ?

      Qu’il s’agisse de deux erreurs, le montrer véritablement demanderait une autre étude.

      On se contentera de rappeler quelques truismes.

      Que la Chine soit l’Empire de l’Immobilité, il semblerait que si jamais on ait pu le dire de façon crédible, l’on ne puisse plus en tout cas l’affirmer : de la fin de la dynastie Qing à la transformation étatiste-capitaliste récente en passant par la révolution culturelle maoïste, la Chine a été le théâtre, en un siècle, de changements profonds. Certes, il serait facile de dire que ces changements ont été apportés de l’extérieur, par les colons Européens et que le modèle du capitalisme industriel et boursier, cause d’une mutation décisive vient aussi d’Europe. Mais ce capitalisme européen est lui-même d’abord la conséquence des expériences historiques du commerce mondial en Inde, en Chine, et au Proche-Orient. Que le capitalisme ait connu un moment important de son évolution historique en Europe est un fait. Qu’il soit en train de connaître un autre moment important de son histoire ailleurs qu’en Europe est aussi un fait. Chaque civilisation apporte à un moment donné sa contribution à une évolution historique constante : autant il semble difficile d’attribuer à une civilisation unique le début d’un mouvement historique donné (la naissance des mathématiques, du capitalisme…), autant il paraît présomptueux d’attribuer à une unique civilisation la clôture de ce même mouvement.

      Que la Chine ignore l’Être et la Métaphysique semble supposer à la fois une identité entre Être et Métaphysique et l’absence d’une pensée du Mouvement et du Devenir en Occident. Or, si l’on considère l’histoire de la philosophie occidentale, il semble que, de Héraclite à Bergson en passant par Nietzsche, Diderot, Giordano Bruno, Pseudo-Denys, Plotin ou Marc-Aurèle, la perspective d’une ontologie au-delà (l’Un) ou en-deçà (Devenir) de l’Être soit des plus communes à l’Ouest. Plus encore si l’on considère l’histoire de la philosophie orientale et chinoise, il semble qu’il soit possible de fonder une métaphysique sur le Néant ou le Rien que ce soit dans le bouddhisme (न-र--ण) ou le taoisme (無).

      Quoiqu’il en soit sur le plan simplement méthodologique, réduire l’Autre à l’Opposé n’est-ce pas rater complètement l’essence de la Différence ? A contrario, serait-il possible de se référer à toute une série de différences quelconques pour éviter une opposition trop large pour ne pas être vide ?

      Les dieux sont dans la cuisine

      « Mais si praesentement nous  mangeons  quelque espèce de Cabirotades… »

      Ventre affamé n’a pas d’oreille : pour faire taire les discours, passons à table.

      Ce qu’il y a d’irritant dans le laïus de l’opposition entre la Chine et l’Occident, c’est qu’il tend à propager le mythe d’une unité de l’Occident, et une continuité civilisationnelle sans rupture entre l’époque antique et l’époque moderne alors même qu’un ensemble de « catastrophes » (au sens de René Thom, c’est-à-dire d’événements topologiquement clivants) comme l’introduction du christianisme, la décomposition de l’Empire romain, la découverte du Nouveau Monde, la Révolution Industrielle ont produit une série de bifurcations historiques fondamentales modifiant l’ensemble des habitudes de penser et de vie du continent.

      La table romaine avec ses plats principaux posés sur une table où tout le monde se sert avec les doigts est plus proche de ce qui se pratique aujourd’hui en Inde et en Afrique qu’en Europe. L’assiette individuelle et la fourchette, les deux unités fondamentales de la table européenne sont des inventions de la fin de la Renaissance – comme peut-être l’essentiel de ce qui fonde notre modernité occidentale.

      Ceci posé, il reste des différences notables (qui apparaissent surtout dans un cadre plutôt formel) entre la table et le service en Europe et en Chine aujourd’hui.

      La table européenne est définie par la succession d’assiettes individuelles : chacune étant organisée pour soi dans l’espace (l’assiette définissant une unité de goût que la fourchette n’a que la liberté relative de composer) et substituée à une autre dans le temps (entrée, plat, dessert), avec une fonction gustative propre (légumes aigres, poissons/viandes salés, fruits sucrés). La table chinoise est faite, elle, d’un empilement de cercles concentriques : le cercle de la table, le cercle du plateau tournant sur lequel sont posés les plats, les cercles des plats progressivement empilés et retirés simplement en cas de remplissage maximal. De ce fait, le goût est commun en droit puisque les mêmes plats sont accessibles à tous les convives mais l’organisation spatio-temporelle du repas individuel est libre.

      La différence de la partition alimentaire en Chine est, par rapport à ce qui se fait en Europe, double : d’une part, l’espace perceptif culinaire est organisé par un aller-retour libre et continu – et non pas formé de cadres équivalents, qualitativement exclusifs ; d’autre part, le temps de l’action alimentaire est vécu comme un empilement de moments intriqués – et non pas comme la chronologie d’instants séparés : l’avant et l’après coexistent, ils ne se succèdent pas.

      Sens du Devenir. Peinture et Écriture

      La représentation mentale de l’espace et du temps est effectivement différente comme on peut s’en rendre compte en se référant à un autre type de différences plutôt triviales.

      Quand Aristote voulait définir le temps, il faisait référence à un cercle, le cercle des révolutions astronomiques. Quand Kant veut définir le temps, il fait référence à une ligne, la ligne mentale des événements. De façon générale, le passage du temps renvoie au marquage de l’avant et de l’après. Notre représentation du temps est associée à un avant et un après sur une ligne horizontale, une frise historique, où les événements se suivent linéairement et horizontalement.

      En Chine, pour dire l’avant et l’après, on utilise des adjectifs se rapportant non à un espace horizontal mais vertical. En effet, en Mandarin, le mois dernier se dit 上个月/上個月 (shànggèyuè) et le mois suivant 下个月/下個月 (xiàgèyuè). Autrement dit, l’avant est en haut shàng 上, au-dessus et l’après en bas xià 下, en dessous. Le temps est moins à l’image d’une rivière qui coule sans retour (tempus fugit, mobilité horizontale caractéristique de notre représentation) que d’une cascade qui dévale une pente, de haut en bas – sens de l’écriture traditionnelle et image fondamentale des estampes chinoises. Premier point : il n’y a pas moins de flux en Occident qu’en Chine ; c’est simplement qu’ils sont orientés différemment.

      Rythmes du Devenir. Temps et Histoire.

      À cela s’ajoute un autre élément de différence. Quand nous, européens, disons avant ou auparavant, nous avons le sentiment de quelque chose qui se place derrière nous et quand nous ira : 以前 (yǐqián : avant) et 以后/以後 (yǐhòu : après) et avant-hier se dira 前天 (qiántiān) et le lendemaidisons après ou plus tard, le sentiment de quelque chose qui se place devant nous. Mais en Chinois, on dira 后天/後天 (hòutiān) (où 天 signifie le jour). Ainsi 前 signifie à la fois devant et avant et 后/後 à la fois derrière et après. En chinois, non seulement le passé est en haut et le futur en bas mais plus encore le passé est devant nous et le futur derrière nous.

      Cela se comprend si l’on considère que le futur est ce que l’on ne voit pas, que l’on ne peut pas voir : qu’il est dans notre dos. Mais « nous » aurions peut-être tendance à penser l’inverse : à savoir, que c’est le passé qui nous demeure à jamais invisible. Ainsi, il semblerait qu’en chinois l’expression du temps indique que le passé est devant nous et le futur derrière nous. On est donc face à son passé plus encore que face à son futur ; par conséquent on se doit aux générations passées plus encore qu’aux générations futures. Organiser sa vie, c’est arranger son passé, trouver une continuité ou ménager une rupture par rapport à ce qu’on a été plus qu’en fonction de ce qu’on veut devenir et sera. La projection vers le futur pourrait sembler autoriser plus d’écart par rapport à la norme, plus de liberté et de légèreté par rapport au poids de la tradition que le fait d’avoir le regard porté directement sur le passé qui nous fait face.

      Plutôt que d’une opposition de nature entre mobilité et immobilité, il s’agit donc d’une différence de perception dans le rythme du changement traduisant une différence entre deux types de représentation de l’écoulement du temps : d’un côté, l’insistance sur le futur et la nouveauté va impliquer une pensée du temps définie par la variation continue et un décrochage aussi irréversible que graduel (un temps par sédimentation, une continuité de variations : un hasard sauvage lent, de Noé – dixit Mandelbrot) ; de l’autre, la prise en compte du passé et de la tradition va impliquer une pensée du temps définie par des plages de stagnations, suivies d’écarts brusques et ponctuels (une succession de périodes closes articulées par une série de « saltations » : un hasard sauvage brusque, de Joseph – dixit Mandelbrot). Il pourra sembler paradoxal ici d’associer le Futur à la variation graduelle et le Passé à la saltation apériodique. Mais, en réalité, c’est bien l’insistance sur le Futur qui pousse à changer à chaque instant, en chaque moment, tandis que l’insistance sur la Passé pousse, au contraire, à maintenir les choses en l’état tant que rien d’extérieur, brusquement, ne les change. Alors que, dans notre représentation, on associe généralement l’Occident à une série de révolutions et la Chine à la transition continue, les manières conventionnelles de situer l’Histoire dans le temps semblent indiquer le contraire : en Occident, on va définir le temps par la série numérique des Instants quantitativement identiques, définissant une histoire linéairement chronologique (-500, 578, 1645, 2010…) ; en Chine, on va définir le temps par une succession de Périodes qualitativement différentes, définissant une histoire dynastique (Dynasties Tang, Song, …, Ming, Qing…).

      Mais ce qui complique encore un peu plus les choses, c’est que notre esprit, loin d’être modelé par nos inclinations culturelles, cherche au contraire toujours à s’en libérer. Ainsi en Occident, on va d’autant plus insister sur les moments charnières, chercher à définir des grandes ruptures historiques, que la perception du temps est fondée sur l’idée d’une succession d’instants tous égaux en droit. Inversement, en Chine, on va d’autant plus insister sur une continuité plus ou moins mythique, unissant 5000 ans d’histoire, que le repérage chronologique est fondé sur la distinction de périodes et de régimes se succédant sans solution de continuité Deuxième point : i l n’y a pas plus de mobilité en Chine qu’en Occident mais c’est plutôt la trajectoire du mobile qui n’est pas la même.

      Politique et Culture : du « confucianisme »

      Les philosophes français des Lumières comme Diderot et Voltaire voyaient dans la Chine l’idéal d’un État sans religion car reposant uniquement sur l’éthique, celle de Confucius. Dans leur déni de la complexité de la religion chinoise et de l’influence et du poids des traditions bouddhistes et taoïstes, ironiquement, ils ont pavé la voie à l’idéologie chinoise officielle de la « civilisation Confucéenne ».

      Mais l’idée de « civilisation confucéenne » pour désigner la Chine en son ensemble a peu de sens du point de vue conceptuel : comme le remarquait un des meilleurs commentateurs, à savoir William Theodore du Bary (The Trouble with Confucianism), elle a surtout une valeur politique et, après avoir servie à fonder l’idéologie conservatrice de l’État singapourien, elle a été reprise par la Chine post-Mao pour servir avant tout de ferment culturel au levain nationaliste.

      Si la notion de civilisation confucéenne est douteuse au sens conceptuel, ce n’est pas simplement parce que Confucius n’a jamais été influent de son vivant sur la direction des affaires du Royaume, ni même parce que le confucianisme fondé par ses successeurs n’a pas régenté uniformément la vie intellectuelle ni fondé continument la culture politique d’État (prépondérant sous les Han (-206/+ 220), il fut éclipsé par le taoïsme et le bouddhisme jusqu’à l’époque des Song (960-1279) : néoconfucianisme) mais parce qu’il est difficile de trouver dans Confucius de quoi véritablement fournir l’armature idéologique dont le pouvoir aurait besoin pour gouverner.

      Certes Confucius affirme que le respect hiérarchique de l’inférieur pour le supérieur (fils/père ; sujet/souverain…) mais si le respect filial est sans condition car « naturel », le respect civique dépend lui de la vertu du souverain, qui est donc soumis à un idéal supérieur, celui de la moralité et du rite : c’est parce que le souverain gouverne avec excellence (vertu et justice) que son peuple lui obéit, ou plutôt, que le peuple obéissant par lui-même et de lui-même respecte la loi (Entretiens 2.3). En fondant le pouvoir sur la valeur de celui qui gouverne, Confucius s’oppose, de fait, à la loi de la force (donner à chacun autant de pouvoir qu’il a de valeur réelle, à savoir la méritocratie, n’est-ce pas le véritable fondement de la démocratie ?). D’ailleurs, en affirmant que les personnes exemplaires aident les personnes nécessiteuses et n’agissent pas en sorte que le riche soit plus riche encore (Entretiens 6.4), il ne semble pas que Confucius se situe dans le cadre dans lequel le Pouvoir se place, ou que ce soit ce genre de conseil qui ait été le plus suivi d’effets, en Chine comme ailleurs. Enfin, la référence à Confucius pour rendre compte de la valeur de l’éducation et justifier l’institutionnalisation politique des examens et concours pour recruter les cadres intellectuels de l’État ne va pas sans contradiction. N’est-ce pas Confucius qui affirmait qu’il était moins important de connaître les textes que de respecter les valeurs morales et qui disait : ne t’inquiète pas de ne pas avoir une position officielle, demande toi plutôt ce qui te coûterait pour en obtenir une (Entretiens 4.4) ?

      Que la philosophie de Confucius ait été une référence intellectuelle aussi constante en Chine que Platon en Europe est évident. Mais vouloir en tirer une idéologie d’État pour justifier la pratique conservatrice des inégalités réelles est aussi périlleux que contradictoire : Platon, dans la République, voulait aussi que les philosophes soient rois et dirigent la Cité ; la lecture mondiale de l’Histoire Européenne, passée comme récente, ne nous permet pas d’affirmer qu’il a été véritablement entendu…

      De quelques signes anciens et modernes sur les deux faces de la Muraille

      La meilleure objection à l’affirmation selon laquelle le monde chinois ignorerait le sens du terme Liberté et serait pour des raisons culturelles historiques étranger à l’expérience démocratique, tient en un mot : Taiwan. Taiwan est dans le monde chinois culturellement, du moins depuis 1661 – ce qui est somme toute très récent : l’île fut occupée par des aborigènes austronésiens jusqu’à l’arrivée des colons européens (vers le milieu du seizième siècle), Hollandais, lesquels voulant accéder au marché chinois furent obligés de résider à l’extérieur de la Chine, donc à Taiwan, pour pouvoir commercer avec l’Empire. Mais Taiwan est à côté de la Chine politiquement : régi par un pouvoir distinct de fait, Taiwan est une démocratie constitutionnelle. En outre, malgré le socle ethnoculturel commun, l’histoire récente de la Chine et de Taiwan divergent : Taiwan a connu l’occupation japonaise pendant 50 ans (1895-1945) ; la Chine a connu la révolution maoïste.

      Or un des effets de cette histoire divergente est aussi culturel puisqu’il touche l’écriture : la Chine maoïste a simplifié les caractères à de multiples reprises (1956, 1964, 1977 et 1986) alors que Taiwan (comme Hong-Kong) n’a pas connu cette simplification et a gardé les caractères traditionnels. Considérons de plus près quelque temps les implications de ce phénomène.

      Si certains changements ne semblent pas particulièrement signifiants (comme entre deux manières de dire « assez », 夠 et 够, où le « beaucoup » 多 se place soit à droite – traditionnel – soit à gauche – simplifié – de la « phrase » 句), d’autres sont plus intrigants : comme la « situation » qui se dit kuàng et s’écrit soit 況 soit 况 c’est-à-dire soit avec un radical lié à l’eau shuǐ : 水> 氵; soit avec un radical liée à la glace bīng : 冰 >冫. Changement qui concerne également de nombreux autres caractères où le radical de l’eau fait place au radical de glace (par exemple jìng, propre, qui s’écrit 淨 en traditionnel ou 净 en simplifié) sans être non plus systématique, et donc sans cohérence linguistique apparente. Peut-on chercher un sens à cette opération de simplification ? Est-il possible de l’interpréter comme révélateur des enjeux politiques et sociaux nouveaux ? Faut-il voir dans le changement entre 況 et 况, une manière de marquer dans le langage, l’idée même de Révolution comme celle d’une transformation de la Situation, d’un changement d’état révélée par une transition de phase qui fait passer de l’eau à la glace ? Étrangement, ce changement de situation révolutionnaire serait l’analogue d’une « congélation ». Mais cet exemple n’est pas le plus probant du fait de l’incertitude qui entoure la valeur sémantique fluctuante au cours du temps du radical 冫.

      D’autres changements sont d’abord graphiquement spectaculaires : ainsi, la beauté lì qui s’écrit 麗, en caractères dits traditionnels ou « compliqués », s’écrit, en caractères dits simplifiés ou « non-orthodoxes », 丽. La comparaison poétique implicite à la biche 鹿, présente dans le caractère traditionnel 麗, a disparu. Dans ce premier exemple, on peut véritablement parler de simplification : un seul des éléments du signe originel est conservé. Ce n’est pas le cas, par exemple, de yù « mélancolique » – qui s’écrit soit 鬱, traditionnel, soit 郁, simplifié – 郁 au sens d’élégant et 郁 sens de mélancolie ont été réunis dans la forme simplifiée là où ils étaient complément distincts dans la forme traditionnelle (fallait-il cacher la tristesse derrière les formes de la politesse ?).

      Ces transformations ne sont pas que graphiquement spectaculaires, elles semblent parfois aussi signifiantes. Ainsi, tǐ le corps qui s’écrivait en Chine et s’écrit toujours à Taiwan et Hong-Kong 體, s’écrit maintenant 体 en Chine : au caractère traditionnel qui définit le corps, presque anatomiquement, comme une union des os 骨 et de la chair, de l’opulent 豊 s’oppose le caractère simplifié qui définit, métaphysiquement, le corps comme le principe même běn 本 de l’homme rén 人 (radical 亻). Bien entendu on pourrait noter qu’il s’agit de simplifier en s’appuyer sur la proximité phonétique de běn 本 et rén 人. Mais on pourrait aussi voir plus loin, descendre dans l’inconscient de la langue pour saisir dans cette nouvelle graphie du corps, la traduction « imagée », en caractères, de la perspective de pensée du matérialisme historique : l’essence ou le principe 本 de l’homme 人, c’est son corps 体.

      Certains changements paraissent donc révélateurs et marquer, du moins dans une perspective plus philosophique que philologique, des implications culturelles et politiques différentes. Par exemple l’amour ài s’écrit soit 愛 (traditionnel), soit 爱 (simplifié) : la différence est subtile mais révélatrice. Ce qui a disparu dans le caractère simplifié, c’est le radical du cœur xin1 心, qui a été « remplacé » dans le caractère simplifié par l’amitié yǒu 友. Est-ce une manière de dire : « l’amour, au sens sexué, est bourgeois, nous sommes tous camarades (asexués par définition) » ? Notons d’ailleurs que la censure de la pornographie sur internet, quoiqu’à l’efficacité relative, et celle des images érotiques dans les films (censure du film Une jeunesse chinoise de Lou Ye, mise à l’écart de toute production cinématographique de Tang Wei l’actrice de Lust, Cautious ou Désir, Danger de Ang Lee…) reste toujours d’actualité. On pourra noter aussi que le mot qui signifiait camarade tóngzhì 同志, en chinois littéralement « volonté commune », s’emploie aujourd’hui pour désigner, de façon dérogatoire, l’homosexuel : comme si, revanche de l’histoire, le produit de la sexuation réprimée de la relation, à savoir la camaraderie, s’était chargé de désigner une pratique sexuelle plus refoulée encore.

      Enfin pour revenir au politique, un changement hautement symboliquement est celui qui affecte le « caractère-concept » de Nation ou État : guó qui s’écrit soit 國 (traditionnel), soit 国 (simplifié). Ce qui est commun aux deux caractères, c’est le caractère wéi 囗 qui désigne une enceinte : une Nation, un État sont caractérisés nécessairement par une frontière, une enceinte, ou un rempart qui clôture l’espace et pose la différence entre intérieur et extérieur. Mais ce que contient cette enceinte diffère. Le caractère traditionnel est une combinaison de wéi 囗 + huò 或 ; le caractère simplifié est une combinaison de wéi 囗 + yù 玉. Si la combinaison 囗 + 或 = 國 du caractère traditionnel semble phonétique (mais peut-être pas simplement – nous le verrons), la combinaison 囗 + 玉= 国 semble par contre sémantique.

      En effet, 玉 désigne le jade, symbole en Chine, plus que l’or, de ce qui est précieux – jadéite ou néphrite ont été rattachés à la fonction impériale au moins depuis les Shang (-1570 à -1045). Dans cette perspective, le rôle de l’État, c’est de mettre à l’abri, ce qui est précieux. Cette analogie est d’autant plus évidente qu’elle se raccorde à un changement parallèle : bǎo, le trésor, ce qui est précieux passe de 寶 (traditionnel) à 宝 (simplifié). Alors qu’il n’y avait dans la forme traditionnelle aucun rapport entre l’État 國 et le trésor 寶, la forme simplifiée, en créant une relation visuelle entre l’État 国 et le trésor 宝, sous le dénominateur commun 玉, crée une nouvelle connexion neuronale dans l’inconscient de la langue. L’État protège nos biens comme il nous protège pour notre bien ; il est lui-même notre trésor, notre bien le plus précieux.

      Si 玉, inclus dans 国, signifie jade, inversement, 或, inclus dans 國, signifie simplement « peut-être ». Plus encore, associé à un cœur 心 (xīn), 或 (huò) devient 惑 (huò), à savoir confus, en proie au doute. Du point de vue philologique, on rappellera sans doute qu’il n’y a pas de raison sémantique présidant à l’association entre 或 et 國 (si ce n’est que 或 est la combinaison d’une hallebarde gē 戈, d’une bouche kǒu 口), mais simplement une raison phonétique. Notons cependant que, du fait de la triple association entre 國, 或 et 惑 l’impératrice Wu (624-705) voulu substituer à 國 le caractère 圀 où la nation se comprend ce qui comprend et retient en elle les quatre 四 (sì) directions 方 (fāng).

      Ainsi nous proposerons de lire dans 國 la possibilité d’une autre définition de l’État, écartée de fait par 国 : l’État, c’est simplement ce qui réunit un ensemble conjecturel d’éléments ; c’est la solidification d’une probabilité, la systématisation des relations de hasard. Il y aurait donc deux « discours » implicites à lire derrière ces deux caractères : d’un côté, 国 révèlerait une conception « naturaliste » du politique où l’État se doit de protéger une chose désignée comme ayant la plus haute valeur en soi ; de l’autre, 國 révèlerait une conception « conventionnaliste » du politique où seule l’instauration d’une frontière, précaire et fragile, permet à un ensemble d’éléments disparates de trouver une unité sociale signifiante. Quant au caractère 囻, l’État à nouveau mais mettant le peuple 民 (mín) au milieu de l’enceinte 囗, lui donnant ainsi les clefs du royaume, apparu en 1912 avec la fondation de la République de Chine (民國 mínguó), il n’a été ni repris par la Chine (中华人民共和国), ni préservé par Taiwan (中華民國)… : le peuple – toujours le même qu’on oublie ?

      Consensus/Non réconciliés

      En 2004 paraissait l’ouvrage The Beijing Consensus de Joshua Cooper Ramo dans lequel celui-ci décrivait comment la « Real Politik » chinoise redessinait les échanges diplomatiques et économiques internationaux. Le livre se voulait et est souvent présenté comme une réplique au livre de John Williamson, What Washington Means by Policy Reform, publié en 1989, illustrant l’opposition entre le capitalisme libéral occidental et le capitalisme autoritaire chinois. En réalité, le consensus de Washington ne représente que de façon marginale le libéralisme au sens politique de la défense des droits de l’homme. Il consiste surtout en la présentation d’une liste de paramètres permettant de réguler les pays en voie de développement et de les « aider » à sortir de la crise (discipline budgétaire, réorganisation des dépenses publiques, réforme fiscale, libéralisation des taux d’intérêt, taux de changes compétitifs, libéralisation du commerce extérieur, libéralisation des investissements, privatisation, déréglementation, propriété privée) – ce qui a constitué, depuis, peu ou prou la feuille du route du FMI. La différence entre le consensus de Washington et le consensus de Beijing est que le consensus de Washington cherche à réformer les pays en développement et conditionne les prêts à la mise en œuvre de ses mesures, tandis que le consensus de Pékin désigne une stratégie d’exploitation commerciale des ressources naturelles étrangères, rétribuée en nature par la construction d’infrastructures par une main d’œuvre chinoise. Des deux côtés, le problème de la liberté des peuples et des droits de l’homme semble plutôt secondaire.

      En effet le consensus de Pékin, sur le plan intérieur, consiste à affirmer que l’amélioration de la condition de vie économique des sujets justifie l’autoritarisme politique du Parti. Le problème est qu’il est difficile de dire où commence l’intérêt économique et où commence la liberté politique. Par exemple, lors de mon séjour en Chine, Facebook fut définitivement interdit, de même que Twitter et MSN : pour mon usage modéré et pour ce que j’en pense (la transformation de la vie privée en un espace marchand, donc transparent et ouvert), cela ne me fit ni chaud ni froid. Parallèlement, QQ, le Facebook chinois, connut une propagation foudroyante. De ce point de vue, le but semble moins politique qu’économique : prendre pour prétexte des raisons de sécurité intérieure (l’OMC acceptera plus facilement la raison d’État d’un État sécuritaire que la mise au ban économique d’un produit commercial « universel »), afin de protéger les entreprises nationales fournissant les mêmes services et les développer sous le même modèle. Cependant, au vu de l’usage apparent de Twitter et Facebook dans les soulèvements qui secouent les pays en développement au Maghreb et dans le Proche-Orient, la raison économique semble se redoubler d’une raison politique : dans les conditions économiques actuelles du capitalisme étatique à la chinoise, le QQ chinois pourrait-il servir un jour au même usage ? Cette problématique du libéralisme politique me semblait presque fallacieuse avant d’aller en Chine. Mais se trouver confronté en Chine à une forme de censure, qui reste plus symbolique que réelle en Europe, plus de l’ordre de l’omission et de la propagation de la bêtise que du mensonge et de la construction d’une contre-vérité, a changé mon point de vue sur la question : il n’y a pas plus de « consensus » de Pékin que de consensus de Washington ; il y a un ordre mondial partagé auquel se heurte le dissensus anonyme des peuples.

      Coda. Les idéologies sont tristes hélas et j’ai vu tous les films : l’Azur…

      Pékin est une grande ville moderne un peu triste, comme un immense Manhattan version discount, où pas un bâtiment ne semble de l’extérieur avoir plus de vingt ans et de l’intérieur paraît déjà obsolète, où il faut deux heures pour se rendre d’un point à un autre de la ville, où la politesse est étouffée par le nombre, et où quelques enclaves magiques permettent de suspendre le temps et de redonner à Pékin sa place dans la Chine et non pas simplement apparaître comme une GloboPolis internationalisée où l’on parlerait chinois.

      Faut-il préférer à cet ordre fade le chaos organique de New Delhi avec ses légendaires et néanmoins réelles vaches blanches marchant, comme tout le monde, sur le trottoir quand il y a en un, avec son quartier Main Bazar où semblent s’être donnés rendez-vous tous les « hippies » passés et récents de la vieille Europe goûtant en colons désargentés les charmes doucereux et opiacé d’un monde ancien en ruine mais pas encore écroulé, avec ses magasins de souvenirs pour touriste où, derrière la tenture, le visage d’un enfant de dix ans complètement recouvert de la fine poussière verte, belle et suffocante, de l’émeraude qu’il est en train de tailler, vous regarde en souriant ?

      Sortons des grandes villes : allons à Hangzhou, flâner au bord du lac où sont nés les poèmes du poète Song, Su Dongpo, pour avoir la chance troublante d’assister à une éclipse totale, faisant taire le pépiement apeuré des oiseaux mais non le beuglement rustre des klaxons, sans que la prémisse d’un monde mort et sans soleil ne se révèle ni angoissante ni apaisante ; allons sur les contreforts d’Amber, aux abords d’un temple de Shiva dont le prêtre prenant des cours de français à l’Alliance Française de Jaipur nous aborde pour quelques questions de grammaire, nous asseoir sur les marches flanquées de divinités pulpeuses et aguichantes qu’une femme, enveloppée d’un sari rose et or, en tenant sur la tête un vase plein de l’eau clapotante issue de la fontaine où, en contrebas, à moitié nus, enfants et adultes se lavent machinalement, monte lentement. Plus loin encore, sortons des continents, allons sur les îles : de retour en Europe, à Palerme, pour déguster des pâtes à l’espadon suivies de tagliatelles à la morue et aux câpres, puis en grignotant des cannoli farcis à la ricotta s’enfoncer dans les rues, longeant les façades lépreuses d’un palais magnifique, pour déboucher sur un parc dont le banyan immense me rappelle mon autre île, non celle dont je viens mais celle où j’arrive.

      Taiwan

      J’aime l’odeur du papier de Joss brûlé au petit matin quand, dans le temple surmonté d’un dragon hirsute et bariolé, après le pont sous lequel se déverse une eau sale que ne dédaigne pas pourtant une aigrette blanche venue des mangroves proches, les poissons fraîchement tirés de la mer sur les étals du marché battent à l’agonie des cils absents.

      “The Pacific is the most discreet of live, hot-tempered oceans: the chilly Antarctic can keep a secret too, but more in the manner of a grave. And there is a sense of blessed finality in such discretion, which is what we all more or less sincerely are ready to admit – for what else is it that makes the idea of death supportable? End! Finis! the potent word that exorcises from the house of life the haunting shadow of fate. This is what – notwithstanding the testimony of my eyes and his own earnest assurances – I miss when I look back upon Jim’s success. While there’s life there is hope, truly; but there is fear too.’

      Heurtebise Jean-Yves
      Wormser Gérard masculin
      La Muraille de Signe
      Heurtebise Jean-Yves
      Département des littératures de langue française
      2104-3272
      Sens public 2011-10-31

      L’idéal serait de faire avec la Chine ce que Barthes avait fait pour le Japon. Partir d’expériences singulières parce que quelconques pour réverbérer un sentiment vague mais insistant. Avec les mots de la langue dont on part introduire une brèche dans la muraille des signes. Ce ne serait pas un article académique. Ce ne serait pas un livre de voyage. Ce ne serait pas une thèse de sinologie. Ce serait un objet bancal : une tentative de traduire des intuitions qui couvent dans notre sang et se précipitent, à l’occasion de rencontres anodines, en idées que l’on souhaiterait caractéristiques. Comme une esquisse pour un tableau qui, de toute façon, ne viendra jamais.

      We would like to do for China what Barthes did for Japan. From ordinarily singular outcomes sketching out a faint but somewhat pervasive vision. With the usual words of our own mother language filing down the Great Wall of Signs until opening a vent. It won’t be something for the Academia, neither a Guide Book, nor a Dissertation on Chinese Linguistics. But a wonky guy, to whom you won’t give a dime, but will nevertheless carefully listen to for it will be nothing but the translation into words of a bundle of encounters, reminiscences and intuitions erupting from the swinging lava flowing in his neural vessels and pointing out to a crystallizing notion of It. Like the refined construction of a dainty jetty for a boat that will whatever never come.

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