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Structures sociales et mécanismes guerriers : la guerre dans la sociologie wébérienne

Informations
  • Résumé
  • Mots-clés (8)
      • Mot-clésFR Éditeur 53 articles
        53 articles
        Mot-clésFR Éditeur 9 articles
        9 articles
        Mot-clésFR Éditeur 96 articles 3 dossiers,  
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        Mot-clésFR Éditeur 184 articles 4 dossiers,  
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        Mot-clésFR Éditeur 59 articles 1 dossier,  
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        Mot-clésFR Éditeur 211 articles 14 dossiers,  
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        Mot-clésFR Éditeur 485 articles 14 dossiers,  
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        Mot-clésFR Éditeur 10 articles
        10 articles
      Texte

      Lorsqu’on se situe dans une perspective historique et empirique, on est souvent paralysé par l’impression de ne rien pouvoir dire de général sur les causes de la guerre : chaque guerre aurait des causes spécifiques, et toute généralisation serait simplificatrice. La guerre se présente en effet comme un « phénomène social total » 1  : c’est un phénomène qui mêle et combine toutes les dimensions constitutives de la vie sociale, politique bien sûr, mais aussi économique, juridique, religieuse, technique, scientifique… Il est donc complexe, polymorphe, et, semble-t-il, irréductiblement singulier. Complexe, car en elle se croisent en un écheveau inextricable un grand nombre de facteurs et de mobiles. Polymorphe, car le poids respectif de ces divers facteurs varie dans chaque guerre particulière, et il est donc dans la « nature » de la guerre de prendre des formes très différentes, et d’avoir des motifs très variés. Et l’on peut même dire que chaque guerre est le résultat d’une composition absolument singulière de tous ces facteurs. Par conséquent, la guerre « en général » n’existe pas : le concept de guerre se résorbe entièrement dans la multiplicité de ses manifestations singulières, et il en va de même pour ses causes, au point que certains sont tentés de considérer comme « des légendes et des histoires de vieilles femmes » 2 l’idée que la guerre en général a des causes identifiables, ou qu’il y a des causes générales de guerre.

      La guerre semble résister, plus que d’autres phénomènes, à toute compréhension générale, et le seul discours légitime (vérifié empiriquement) à son propos serait celui de l’historien qui se garde de toute affirmation générale sur la guerre et ses causes, mais tend alors, comme le regrette Moses I. Finley 3 , à se cantonner à la présentation de la série, toujours singulière et plus ou moins contingente, des événements politiques et diplomatiques « précédant », et donc censés « provoquer » telle guerre déterminée. Sur le coup, comme le remarque Fernand Braudel :

      « La polémologie n’est qu’une science dans l’enfance, si même elle est une science. Il lui faudrait, dépassant les incidents, saisir les rythmes longs, les régularités, les corrélations. » 4

      C’est dans cette direction, qui nous est indiquée par deux historiens dont la démarche a de grandes affinités avec la sociologie historique, que je voudrais travailler. Il s’agit de dépasser l’interdit de la généralité qui semble peser sur les études empiriques des causes de la guerre, autrement dit, de réconcilier l’empirique et le général dans l’analyse des causes de guerre, ou encore : de poser les linéaments d’une sociologie historique de la guerre analysée dans une perspective étiologique.

      L’approche strictement historienne, c’est-à-dire l’approche empirique et « singularisante », trouve en effet ses limites immédiates dès lors que la guerre est un phénomène social chronique, endémique, voire quasiment permanent. Tel est justement le cas dans le monde antique, et tout particulièrement dans la Grèce et la Rome classique 5 . Or, quand la guerre est à ce point régulière qu’elle en devient quasiment permanente, ne faut-il pas l’expliquer par des facteurs qui sont eux-mêmes permanents, et distinguer dès lors deux niveaux de causalité, les événements politiques et diplomatiques précédant la guerre constituant les causes prochaines, auxiliaires et conjoncturelles qui ne font que déclencher un « mécanisme guerrier » qui, poussant structurellement à la guerre et n’attendant qu’une impulsion pour se déclencher, représente un niveau plus durable et plus général de causalité ?

      Par mécanismes guerriers, j’entends les mécanismes sociaux qui travaillent en permanence à la guerre. Je prends donc le concept de mécanisme dans une perspective causale ou étiologique, en mettant l’accent sur la dimension répétitive de tout mécanisme : un mécanisme, c’est un dispositif produisant de manière périodique un effet identique. Dans le concept de mécanisme guerrier, la guerre apparaît comme l’effet récurrent de structures qu’il s’agit d’identifier. Le concept de mécanisme guerrier, c’est donc le concept d’un niveau général et structurel de causalité conduisant à la guerre : il répond à l’interrogation sur les causes de la guerre d’une manière générale.

      Mon projet est de tester la validité empirique de l’hypothèse conceptuelle des mécanismes guerriers en m’appuyant sur les analyses que Max Weber a fait du monde antique 6 . Sa démarche sociologique se distingue de celle de l’historien par un plus haut degré de généralité obtenu par la mise en évidence de structures sociales, c’est-à-dire de configurations stables d’éléments fondamentaux. On passe de l’événementiel au structurel, niveau qui permet d’atteindre la généralité des analyses, sans pour autant quitter le champ de la réflexion empirique. Mon projet est donc de voir si, dans les structures sociales antiques telles que Weber les met en évidence, on ne peut pas reconnaître des mécanismes guerriers. C’est une remarque de la conférence sur La profession et la vocation de politique qui m’a mis sur cette voie : Weber y dénonce l’attitude de ceux qui veulent trouver les coupables d’une guerre, quand « c’est la structure de la société qui a produit la guerre » (S P, p. 187). Les structures sociales peuvent-elles être analysées comme des mécanismes producteurs de guerre ?

      Il y a un lien entre les concepts de structure et de mécanisme. Un mécanisme, comme le dit Canguilhem, est « une configuration de solides en mouvement telle que le mouvement n’abolit pas la configuration » 7 . C’est donc une structure stable malgré le mouvement qui la traverse. Cette structure se définit comme un système de relations réglées entre divers éléments : les éléments sont solidaires et leurs relations sont réglées, tel mouvement de l’un entraîne nécessairement tel mouvement d’un autre. Parler de « mécanismes sociaux », c’est implicitement se référer à un tel concept de mécanisme : les mécanismes sociaux désignent les relations réglées qui s’établissent entre les divers éléments d’une structure sociale, c’est-à-dire les corrélations que l’on peut mettre en évidence entre les diverses composantes d’une société en montrant que les évolutions de ces composantes sont solidaires, autrement dit, que tel changement à tel niveau de la structure sociale a des répercussions à tel autre niveau, ou encore, que telle caractéristique d’un élément de la structure sociale engendre un comportement spécifique pour un autre élément de la structure. Par exemple, les caractéristiques du mode de production esclavagiste antique ne sont pas étrangères au caractère chronique de la guerre dans l’Antiquité.

      On peut alors parler de mécanisme guerrier au sens où la guerre est le produit récurrent d’une structure sociale dont on peut dire qu’elle intègre la guerre comme une de ses composantes essentielles : la guerre y devient un phénomène structurel, fonctionnel. Mais il ne s’agit pas d’élaborer une théorie « fonctionnaliste » de la guerre qui fasse l’économie des intentions des acteurs. Il faut au contraire comprendre comment une structure sociale peut pousser les individus à vouloir la guerre : le concept sociologique de mécanisme guerrier est le concept d’une structure sociale aux effets bellicistes. Ce qui pousse à la guerre en l’occurrence, ce sont des intérêts, et les intérêts moteurs d’une société sont le reflet de sa structure : si une structure sociale fonctionne comme un mécanisme guerrier, c’est qu’elle génère des intérêts poussant à la guerre, et c’est cette genèse qu’il s’agit de comprendre.

      Nous analyserons tout d’abord les particularités de la structure sociale antique, et ses évolutions typiques. Pour en cerner la logique, nous éluciderons ensuite les principes fondamentaux de la constitution militaire, afin d’en venir enfin aux logiques sociales de l’impérialisme antique. Nous achèverons cette analyse sommaire par des réflexions plus générales de Weber sur un ultime mécanisme guerrier : il y a, au sein même de la sphère politique, une logique qui pousse à la guerre, la quête du prestige conféré par la puissance. Les analyses de Weber nous conduisent donc à deux types de mécanismes guerriers : d’une part, des mécanismes à penser en termes de structure sociale, et basés sur des intérêts « matériels », et d’autre part, un mécanisme à penser en termes de dynamique politique, et basé sur des intérêts « symboliques ».

      Les particularités de la structure sociale antique

      Selon Weber, la « structure sociale antique » se caractérise fondamentalement par trois particularités : c’est une civilisation urbaine, côtière, et esclavagiste (ESA, pp. 65-67 et 90-93). La ville joue en effet un rôle fondamental dans l’Antiquité : c’est elle qui supporte la vie politique, mais aussi économique puisque l’économie y correspond au type de « l’économie urbaine ». Plus précisément, ce sont les villes côtières qui sont les principaux acteurs de l’histoire politique antique, mais aussi de sa vie commerciale qui est essentiellement maritime. Enfin et surtout, la civilisation antique est esclavagiste : certes, le travail n’est pas uniquement le fait des esclaves, mais le recours au travail servile est systématique et croissant, et c’est cette particularité de la structure sociale antique qui est au cœur de la question de la guerre. Mais avant d’en venir là, il faut introduire le principal outil conceptuel élaboré par Weber pour analyser l’évolution des structures sociales antiques, la typologie des sept « stades d’organisation » :

      « Ce qu’on peut reconnaître de façon nettement plus claire, ce sont certains stades d’organisation qui semblent s’être répétés, jusqu’à un certain point, chez tous les peuples "antiques" qui, de la Seine jusqu’à l’Euphrate, ont connu un développement urbain de quelque nature que ce soit. »

      (ESA, p. 120)

      Cette typologie est construite en référence au « développement urbain » : la civilisation antique étant une civilisation urbaine, c’est sur la base de l’évolution urbaine que pourront se comprendre les grandes évolutions historiques de l’Antiquité. En outre, comme le précise Weber, ces sept types ont été « distingués d’après des critères purement militaires » (ESA, p. 129) : la ville antique typique est en effet une « organisation technique militaire extrêmement élaborée », une « association militaire » ou encore une « corporation de guerriers », par opposition à la ville médiévale typique qui a une orientation plutôt économique, industrielle et commerçante. En conséquence, le citoyen antique est avant tout un homo politicus, alors que le citoyen médiéval est surtout un homo œconomicus (Ville, pp. 193 et 201-202 ; ESA, p. 373). Cependant, ces deux types de ville, antique et médiévale, partagent cette caractéristique d’être des « communes », des corporations de citoyens : si le concept général de ville se définit comme ensemble unifié de forteresse et de marché, la ville typiquement occidentale se caractérise de son côté comme « commune », c’est-à-dire comme organisation politico-administrative autonome d’une classe de citoyens porteurs de certains droits politiques 8 .

      Puisque le centre de gravité de la civilisation antique est urbain, et que la vie urbaine antique est essentiellement politique et militaire, il est donc légitime, pour distinguer des stades d’organisation antiques, de suivre le fil conducteur de l’organisation militaire.

      La typologie des stades d’organisation (ESA, pp. 120-130)

      1. La communauté rurale est la situation pré-urbaine et pré-étatique dont partent les analyses de Weber. Du point de vue politico-militaire, il s’agit d’une organisation défensive sans pouvoir politique durablement constitué. Dans cette « communauté populaire paysanne », la différenciation sociale est encore très limitée. Cette situation a ensuite évolué dans le sens d’une cristallisation croissante du pouvoir politique :

      2. La royauté de château fort se caractérise par l’existence d’une forteresse où résident un roi permanent, qui est à la fois chef de guerre et premier commerçant, et sa suite personnelle composée de ses compagnons de table (commensaux) et de ses compagnons d’armes, qui, compte tenu de la position du roi de plus en plus différenciée, extérieure voire étrangère à la communauté populaire, tend à devenir une troupe de mercenaires. À ce stade, la ville n’est pas encore une commune. Deux lignes d’évolution sont alors possibles : soit vers le renforcement du pouvoir royal et la mise au point d’une organisation bureaucratique, soit vers son renversement et la constitution de communes :

      3. La cité nobiliaire est une étape supplémentaire vers le concept de ville typiquement occidentale, la « commune » caractérisée par l’existence d’un ordre séparé de « citoyens », en l’occurrence ici une classe de lignages nobles qui, entraînés au métier des armes, économiquement capables de s’équiper eux-mêmes et disponibles pour la vie de chevalerie noble, constituent le corps d’armée permanente. C’est le premier stade de la « polis synœcisée », c’est-à-dire du rassemblement en un même lieu de résidence de la classe des guerriers indépendants qui se constitue en souveraine de la Cité-État (cf. ESA, p. 208 sq.). Le processus fut le suivant : la noblesse inféodée de l’ancien roi châtelain s’émancipe de sa domination et se constitue par synœcisme en commune urbaine s’administrant elle-même, structurée militairement mais sans bureaucratie.

      4. La royauté urbaine bureaucratique est la seconde ligne d’évolution, typiquement orientale, à partir de la royauté de château fort (type 2) : le roi renforce sa position de pouvoir en se dotant d’un corps de fonctionnaires hiérarchiquement structuré et entièrement en son pouvoir, une bureaucratie. L’armée est composée de serfs et de mercenaires qui sont équipés et entretenus par le roi, et lui restent donc personnellement attachés. L’armée et l’administration sont donc en sa possession, les soldats et les fonctionnaires n’ont aucune indépendance. Ce stade évolue en général vers :

      5. L’État liturgique autoritaire se caractérise par une rationalisation croissante de la couverture des besoins étatiques qui est assurée par un système élaboré de « liturgies », c’est-à-dire de charges publiques assumées par les plus riches sujets. L’État se transforme en bureaucratie fiscale, et incarne selon Weber une sorte de despotisme « éclairé » de l’Antiquité orientale. Il tend à se constituer en « monarchie militaire universelle » 9 .

      6. La cité hoplitique est le stade d’organisation qui succède à la cité nobiliaire (type 3). Il correspond au renversement de la domination des lignages nobles par la paysannerie, et se définit par « la domination de la ville par les paysans capables d’assurer leur équipement militaire » (ESA, p. 367). Une transformation profonde de la technique militaire entraîne la constitution de l’infanterie hoplitique, qui signifie une démocratisation des institutions militaires et entraîne celle des institutions politiques. Le service militaire et la pleine citoyenneté politique reposent alors sur la petite propriété foncière : les hoplites sont pour l’essentiel des paysans, et l’armée est une armée de citoyens s’équipant eux-mêmes. Une étape suivante de cette ligne d’évolution typiquement occidentale peut alors être :

      7. La cité démocratique de citoyens correspond à une démocratisation accrue, rendue possible par le déplacement, lié à l’impérialisme, de l’effort militaire de la terre vers la mer, de l’infanterie hoplitique vers le service naval. Les charges militaires sont alors émancipées de la propriété foncière, et avec ces obligations militaires, comme toujours, la pleine citoyenneté. Le centre de gravité de la vie politique se déplace alors de la paysannerie rurale vers le demos urbain. Mais ces déplacements impliquent aussi la progression de l’armée mercenaire ou de l’armée césariste de prolétaires, et la Cité-État sera peu à peu remplacée par des formes de monarchie liturgique et militaire (type 5).

      Les principes fondamentaux de la constitution militaire

      Pour comprendre comment les structures sociales antiques fonctionnaient comme des mécanismes guerriers, il est nécessaire de saisir la logique de cette typologie. Elle se structure autour de deux lignes d’évolution 10  : à partir de la royauté de château fort, l’évolution a pris soit la direction d’une bureaucratisation du pouvoir politique royal (c’est l’évolution typiquement orientale : 1 ñ 2 ñ 4 ñ 5), soit celle d’une démocratisation progressive, toujours relative et finalement transitoire, de ce pouvoir (c’est l’évolution typiquement occidentale : 1 ñ 2 ñ 3 ñ 6 ñ 7 ñ 5). Une première question se pose alors : comment expliquer une telle différence d’évolution ?

      Selon Weber, c’est la question de la compétence militaire et de ses fondements socio-économiques qui est décisive pour comprendre cette divergence (Ville, pp. 82-84). En effet, la différence essentielle entre ces deux développements concerne la constitution militaire (Militärverfassung, W G, p. 756), c’est-à-dire le mode global d’organisation de l’armée (mode incluant des aspects politiques et socio-économiques, mais aussi techniques et tactiques), et il y a deux types fondamentaux de constitutions militaires reposant sur deux principes opposés : d’une part, le principe de la séparation entre les soldats et les moyens de faire la guerre (Die Trennung des Soldaten von den Kriegsmitteln), ce qui signifie que les soldats sont équipés et entretenus par le roi, et d’autre part le « principe de l’auto-équipement de l’armée » (Prinzip der Selbstequipierung der Heere, W G p. 756) qui signifie que les soldats doivent pourvoir eux-mêmes à leur équipement militaire. L’évolution orientale repose sur le premier principe alors que l’évolution occidentale repose sur le second :

      « En Orient, à partir des commensaux et des compagnons d’armes du roi de la ville se constitua l’armée strictement royale, équipée, approvisionnée et donc aussi dirigée de manière bureaucratique. […] À l’inverse, en Grèce, les suites des rois des châteaux forts s’amenuisaient : elles ne redevinrent un facteur politique vivant que chez les commensaux des souverains conquérants macédoniens. Ainsi voit-on s’affaiblir la position des souverains dans son ensemble et s’amorcer une évolution dont le résultat final, au début de la période "classique" est de déplacer l’obligation militaire, et avec elle le pouvoir politique, vers les citoyens paysans qui pourvoient eux-mêmes à leur équipement. »

      (ESA, p. 203)

      Dans les citadelles orientales, le roi a pris en mains propres l’administration de l’armée : il la recrute, l’équipe et l’entretient. Deux conséquences en résultent : le soldat est « coupé » des moyens de faire la guerre, et le sujet incapable de se défendre militairement 11 . Le soldat en effet, n’étant pas propriétaire des moyens de faire la guerre, est économiquement et militairement dépendant du roi : il ne peut faire la guerre par ses propres moyens. Quant au peuple, il est désarmé, et ne peut donc pas résister au pouvoir tendanciellement despotique du roi : sa démilitarisation est la source de son assujettissement. La bureaucratisation de l’armée implique donc un double assujettissement, celle du soldat et celle du sujet, double assujettissement rendu précisément possible par la séparation de ces deux figures. Le soldat ne coïncidant pas avec le citoyen, il ne peut y avoir de constitution de commune.

      En revanche, l’évolution des villes occidentales vers le type de la commune urbaine s’explique essentiellement par le fait qu’en Occident, les armées continuèrent à s’équiper elles-mêmes. L’organisation militaire y repose donc sur l’indépendance économique et militaire des soldats : ayant les moyens économiques de pourvoir eux-mêmes à leur équipement militaire, ils ont alors les moyens militaires de résister si nécessaire au pouvoir royal qui reste donc dépendant du bon vouloir de son armée. Cette autonomie militaire rend alors possible la figure du citoyen-soldat : dans les villes occidentales de l’Antiquité, « prestation militaire et droit de citoyenneté sont simplement identiques », et le citoyen de plein droit est avant tout un « réserviste de l’armée astreint à l’entraînement » (ESA, pp. 373 et 118). Sur ce fondement, l’évolution politique occidentale a donc pris la voie de la constitution de communes de « citoyens », alors que l’évolution orientale a plutôt pris la voie de la constitution de royaumes de « sujets ».

      La question décisive porte donc sur le rapport entre les soldats et les conditions matérielles de l’activité guerrière : les soldats s’équipent-ils eux-mêmes ? Sont-ils propriétaires de leur équipement, et sont-ils donc indépendants du roi ? Si oui, alors ils sont susceptibles de faire advenir la figure du citoyen-soldat ; si non, alors ils seront des « serfs » possédés par le roi (ESA, p. 124), et il n’y aura pas de citoyens à proprement parler, mais seulement des sujets. Cette question des fondements économiques de la compétence militaire, c’est-à-dire la question de la propriété de l’armement, de la capacité économique des citoyens à s’armer eux-mêmes, est une extension au domaine politico-militaire de la problématique marxiste du rapport entre les travailleurs et les moyens de production : les travailleurs sont-ils les propriétaires des moyens de production ? Dans sa conférence sur Le socialisme, Weber généralise ce principe d’analyse à l’organisation militaire 12  :

      « Le chevalier du passé était propriétaire de son cheval et de son armement. Il devait s’équiper et s’approvisionner lui-même. La constitution militaire reposait à cette époque sur le principe de l’auto-équipement. Dans les villes antiques aussi bien que dans les armées médiévales de chevaliers, on devait fournir son armure, sa lance et son cheval, ainsi qu’apporter des provisions. L’armée moderne est née au moment où la régie princière (die fürstliche Menage) s’est introduite, et donc où le soldat et l’officier […] n’étaient plus propriétaires des moyens d’entreprendre la guerre (Kriegsbetriebsmittel). C’est là-dessus que repose toute la structure (Zusammenhalt) de l’armée moderne. »

      (GASS, p. 499)

      Si cette question du rapport entre le guerrier et les moyens matériels de faire la guerre est centrale, c’est parce qu’elle conditionne la solution au problème du « rapport de force » entre le roi et son armée (ESA, p. 204) : le rapport entre le roi et son armée dépend en effet plus fondamentalement du rapport entre l’armée et son armement. Sur la base de ce principe d’analyse, on peut donc distinguer deux types d’armée fondamentalement opposés : d’une part l’armée « bureaucratique » recrutée et entretenue par le prince, et d’autre part l’armée « citoyenne » ou « populaire » s’équipant elle-même. À la première catégorie correspondent notamment les armées de mercenaires, l’armée césariste de prolétaires et généralement toutes les armées bureaucratiques modernes. À la seconde catégorie, l’armée de chevaliers nobles, la phalange hoplitique et les milices bourgeoises médiévales.

      La question de la constitution militaire et de ses fondements économiques joue ainsi le rôle d’une « infrastructure » : le rapport du soldat à son équipement est socialement structurant, puisque c’est lui qui décide de la nature de la structure politique. L’importance de la constitution militaire est confirmée par l’évolution ultérieure des villes occidentales :

      « L’effondrement des patriciens et le passage à la démocratie ont été conditionnés par le changement de technique militaire : ce furent les hoplites (armée disciplinée s’équipant elle-même) qui ont mené le combat contre la noblesse et ont abouti à son élimination militaire puis politique. »

      (Ville, p. 190 sq.)

      Ce qui explique le processus de démocratisation menant de la cité nobiliaire (type 3) à la cité hoplitique (type 6), c’est donc encore la constitution militaire et plus précisément la « technique militaire », ce par quoi il faut entendre moins le type d’arme utilisé que le mode d’organisation des hommes, la tactique, et en l’occurrence, c’est la mise en place de la discipline qui est fondamentale 13  : on passe d’une technique aristocratique et individuelle de combat centrée sur les duels de chevaliers à une technique démocratique et collective centrée sur l’infanterie disciplinée des hoplites. En effet, sur la base du principe de l’auto-équipement de l’armée, si la technique militaire est centrée sur la chevalerie, elle prendra alors nécessairement un « caractère aristocratique » (W G, p. 803) compte tenu du coût de la panoplie chevaleresque. Par contre, la panoplie de l’hoplite étant moins coûteuse, la technique militaire de la phalange hoplitique permet d’« élargir le cercle des propriétaires fonciers économiquement en mesure de satisfaire à des obligations militaires » (ESA, p. 209), et ouvre donc la voie à un processus de démocratisation de l’armée et partant des institutions politiques. C’est le même principe qui permet de comprendre l’évolution de la cité des hoplites (type 6) à celle des citoyens (type 7) :

      « La démocratie des hoplites a disparu partout où le centre de gravité de la puissance militaire s’est déplacé en direction de la puissance maritime. »

      (W G, p. 805 ; Ville, pp. 192 et 201)

      Comme les frais d’équipement d’un rameur sont quasiment nuls, la constitution d’une flotte militaire, liée à l’émergence de l’impérialisme maritime, ouvre la voie à une démocratisation encore plus poussée. Mais cela entraîne alors le déclin des hoplites, qui étaient essentiellement des petits propriétaires ruraux, et donc un renversement des rapports ville/campagne : c’est désormais le demos urbain, et plus précisément le nautikos ochlos (la « plèbe navale »), qui domine la vie politique. Au final, cette démocratisation liée à l’impérialisme va se retourner contre elle-même : en effet, la défense d’un empire implique le recours à des armées permanentes, et donc le remplacement des armées citoyennes par des armées bureaucratiques, prolétaires ou mercenaires, ce qui conduit à la démilitarisation des citoyens et ouvre la voie au despotisme. Il y a ainsi une « dialectique » entre l’impérialisme et la démocratie : d’une part, il favorise une certaine démocratisation, mais de l’autre, il contribue aussi à l’avènement de royautés liturgiques.

      Sur la base du principe de l’auto-équipement de l’armée, l’évolution de la structure politique dépend donc de l’évolution de la constitution militaire : comme le dit Weber, les « péripéties » politiques de la ville antique occidentale sont « liées à des considérations d’ordre strictement militaire » (Ville, p. 192). Il s’agit maintenant d’analyser les structures sociales antiques en termes de mécanismes guerriers.

      Les logiques sociales de l’impérialisme antique

      L’armée est inscrite au cœur de la cité antique. Mais pour autant, ce n’est pas (seulement) un prétendu besoin d’expression périodique et gratuite de cette armée omniprésente qui peut expliquer le caractère chronique de la guerre. Les Anciens ne faisaient pas la guerre pour le plaisir : même si leur code axiologique était centré sur les valeurs guerrières, ils connaissaient le prix de la paix 14 . On ne fait jamais la guerre sans que de puissants intérêts, notamment matériels, y poussent : rappelons que pour Aristote, il va de soi que la guerre est une méthode naturelle d’acquisition (Politiques, 1256 b 23). Cependant, ces intérêts sont historiquement très variables : si donc les cités antiques ont été structurellement bellicistes, encore faut-il identifier les intérêts qui les poussaient à la guerre, et saisir la genèse de ces intérêts à partir de leurs structures sociales. Je me référerai essentiellement à l’impérialisme d’Athènes et de Rome, mais les mécanismes guerriers identifiés, qui sont liés à la spécificité de l’esclavagisme antique et à la dynamique de démocratisation d’une structure politico-militaire fondée sur le principe de l’auto-équipement, ont une valeur plus générale.

      L’encasernement des esclaves

      Une des caractéristiques centrales de la civilisation antique est son fondement esclavagiste, et de ce fait, « la guerre, dans l’Antiquité, est en même temps une chasse aux esclaves » (ESA, p. 67). Ne situer le mobile de la guerre que dans la volonté de se fournir en esclaves serait certes réducteur : la guerre n’est pas uniquement une chasse aux esclaves. Mais l’importance structurelle de l’esclavage dans l’organisation antique du travail fait que toute guerre est en même temps une chasse aux esclaves. Autrement dit, à côté des facteurs conjoncturels et variables qui motivent chaque guerre, l’esclavage n’en est pas moins un facteur constant et finalement structurel : un facteur qui ne suffit certes pas à emporter la décision de faire telle guerre contre tel ennemi déterminé, mais qui pousse en permanence à la guerre. C’est donc un mécanisme guerrier qui n’attend qu’une impulsion pour se déclencher.

      Encore faut-il préciser la nature de l’esclavage antique pour bien comprendre la manière dont il suscite la guerre : à côté de la servitude communautaire imposée collectivement à une population avoisinante (c’est le cas des hilotes à Sparte, qui disposent de certaines garanties, vivent en famille et peuvent donc se reproduire), il y a l’esclavage proprement dit, l’esclavage-marchandise 15 qui frappe à titre individuel des êtres déracinés de leur communauté originelle et traités en objets dépourvus de tout droit, c’est-à-dire en marchandises 16 . Ce « cheptel humain », quand il est utilisé à des fins de production économique (par distinction du service domestique), vit majoritairement en caserne et est donc privé de famille (ESA, p. 71). C’est cette spécificité de l’organisation esclavagiste antique, l’encasernement, qui est déterminante pour saisir le caractère belliciste de la structure sociale antique, c’est-à-dire pour l’interpréter en termes de mécanisme guerrier. En effet, cette organisation a deux conséquences centrales : la nécessité d’un approvisionnement constant en esclaves et un déficit chronique en céréales.

      Le système de l’esclavage-marchandise basé sur la caserne d’esclaves ne peut pas, contrairement à celui de la servitude communautaire, se reproduire lui-même : il est donc tributaire d’un approvisionnement continuel en esclaves, et, comme le droit du vainqueur était d’asservir les vaincus, « l’état de guerre chronique » permettait d’assurer cet approvisionnement (ESA, p. 105). C’est donc moins le caractère esclavagiste en général que la spécificité de l’organisation antique de l’esclavage-marchandise, l’encasernement, qui explique le caractère endémique de la guerre.

      Le faible nombre d’esclaves grecs sur le sol grec ne me semble par ailleurs pas être un argument probant contre cette dimension esclavagiste des guerres antiques. En effet, les prisonniers asservis pouvaient faire l’objet de deux valorisations différentes : leur utilisation directe comme valeur d’usage, force de travail, ou leur mise en valeur indirecte comme valeur d’échange (compte tenu du caractère de marchandise de l’esclave), et ce de deux manières, soit par la simple vente des prisonniers sur le marché « normal » des esclaves (approvisionné en général par la traite des barbares), soit par leur rançonnement qui était de loin plus rentable – valorisation indirecte qui permettait de s’approvisionner ensuite sur le marché « normal » en esclaves d’origine barbare.

      Mais le mode spécifique d’utilisation antique des esclaves, l’encasernement, avait une deuxième conséquence travaillant en permanence à la guerre : un déficit de céréales. En effet, compte tenu des techniques antiques de céréaliculture, la production céréalière exigeait un travail attentif et intensif qui ne pouvait être accompli par des esclaves encasernés :

      « La culture des céréales (surtout avec la technique de l’Antiquité) exigeait trop fortement l’intérêt personnel de l’esclave pour être normalement ouverte à l’exploitation esclavagiste. »

      (ESA, pp. 110 et 106)

      Compte tenu de leurs conditions de vie en caserne, les esclaves ne sauraient être ni intéressés, ni appliqués à leur travail : l’emploi massif d’esclaves est donc presque toujours une « utilisation de travail non qualifié » (ESA, p. 107).

      L’encasernement des esclaves est donc aussi à l’origine de cette « dépendance permanente par rapport à des approvisionnements céréaliers de provenance lointaine » (ESA, p. 99), notamment dans les cas de Rome et d’Athènes. Et cette dépendance alimentaire est un ressort permanent de guerre, soit pour se fournir directement en céréales (sous forme de butin, de tributs réguliers…), soit, de manière plus indirecte, pour s’assurer le contrôle des voies maritimes d’acheminement des céréales – contrôle qui représente aussi un formidable moyen de pression politique sur les autres cités 17 , motif de guerre qui ne doit pas être négligé.

      La structure sociale antique est ainsi confrontée à deux problèmes structurels : d’une part, la nécessité d’un approvisionnement constant en esclaves, et de l’autre, l’impossibilité d’une autosuffisance céréalière. Ces deux problèmes sont en fait les deux faces d’une même médaille : l’encasernement des esclaves. En effet, c’est ce mode d’organisation du travail qui est à l’origine de ce double besoin en esclaves et en céréales, et la guerre permet de répondre à ces deux besoins que l’on peut qualifier de vitaux : les esclaves constituent la main d’œuvre à laquelle recourent massivement l’organisation du travail et le service domestique, et les céréales sont des aliments de base dont on sait que le prix est d’une importance politique considérable. La guerre a donc une fonction sociale essentielle : elle vient équilibrer un système social structurellement déficitaire en ressources essentielles, et devient de ce fait un phénomène structurel, comme le montre son caractère endémique. C’est donc cette double dépendance structurelle qui donne au système social antique une orientation structurellement belliciste. Encore faut-il préciser quelles sont les couches sociales particulièrement intéressées à la guerre.

      Ce double déficit structurel vis-à-vis de ressources indispensables, et la double dépendance qui en résulte, produisent évidemment de puissants intérêts à la guerre, et ces intérêts sont largement répartis dans la population : le bas prix du pain et des esclaves est susceptible de profiter à tous les citoyens. Mais pas de la même manière : autrement dit, les profits tirés varient en fonction de la position sociale, les intérêts suscités ne sont pas les mêmes, et n’ont pas la même force pour toutes les catégories sociales, et certaines catégories seront donc plus intéressées que d’autres à la guerre. Il va de soi que les plus pauvres sont les plus fortement intéressés, de manière directe et vitale, à un bas prix des céréales (car ce sont eux qui pâtissent les premiers de son augmentation), ce qui n’est pas tout à fait vrai en ce qui concerne les esclaves : certes, leur bas prix est toujours susceptible d’intéresser tous les citoyens (pour le service domestique), mais les plus fortement intéressés étaient en l’occurrence les capitalistes grands propriétaires d’esclaves.

      Prenons le cas de Rome, où, comme le dit Weber, la grande exploitation esclavagiste devint « la forme nationale de l’économie » (ESA, p. 348). Compte tenu du système de l’encasernement, la grande exploitation esclavagiste est « dévoreuse d’hommes » : pour fonctionner, elle est tributaire d’un apport régulier en esclaves, et pour être rentable, ces esclaves doivent être bon marché. Autrement dit, ce mode de production reste tributaire de guerres constantes : du point de vue capitaliste, il n’est viable que s’il est couplé à un état de guerre chronique entretenant le bas prix des esclaves. Et il trouve justement sa limite dans

      « la dépendance à l’égard d’un approvisionnement continuel du marché des esclaves, c’est-à-dire de guerres victorieuses. Car une exploitation pleinement capitaliste de leur force de travail n’était possible qu’à la condition que les esclaves soient, non seulement juridiquement mais aussi réellement, sans lien de famille : dans un système de caserne, mais qui rendait alors impossible la reproduction de la classe des esclaves à partir d’elle-même. Sinon, les coûts d’entretien des femmes et d’élevage des enfants auraient pesé comme un poids mort sur le capital investi. »

      (ESA, p. 105)

      On pourrait en effet se demander pourquoi les Romains n’ont pas concédé à tous les esclaves ce qu’ils ont concédé au villicus, c’est-à-dire sa « propre quasi-famille (contubernium) et son propre quasi-bien (peculium) » (ESA, p. 108) ? Cela n’aurait-il pas permis de résoudre les deux problèmes structurels de l’approvisionnement en esclaves et du caractère non qualifié du travail servile ? En fait, une telle solution, qui signifie rien moins que le démantèlement de la caserne d’esclaves, impliquait que l’on renonçât à une exploitation sans limite de la force de travail des esclaves, renoncement qui ne pouvait signifier qu’une « perte sèche de profit » pour le grand propriétaire d’esclaves (ESA, p. 105). Le système de l’encasernement génère donc de puissants intérêts capitalistes à la guerre : le grand propriétaire ne peut y renoncer sans renoncer à de « juteux » profits, mais en même temps, ce système ne peut être vraiment « juteux » que si les esclaves sont bon marché, et donc que si la guerre est chronique. Il y a donc un lien entre le capitalisme antique et la guerre : compte tenu du fondement servile du travail antique, le capitalisme y poussait systématiquement à la guerre.

      Ainsi, la structure spécifique de l’organisation antique du travail, fondée de manière croissante sur l’esclavage en caserne, provoque un double déficit, et donc une double dépendance en esclaves et en céréales, et c’est cette double dépendance structurelle qui fonctionne comme un mécanisme guerrier en produisant de larges et puissants intérêts à la guerre. C’est de cette manière complexe que la structure esclavagiste antique peut être interprétée comme un mécanisme guerrier.

      Colonialisme hoplitique et impérialisme capitaliste

      Il faut maintenant analyser la manière dont le processus de démocratisation de la structure politico-militaire des villes antiques occidentales a pu lui aussi fonctionner comme un mécanisme guerrier. Pour bien saisir la spécificité de ce mécanisme qui a donné lieu au colonialisme hoplitique, je le ferai contraster avec le mécanisme guerrier, fondé notamment sur le système esclavagiste antique, qui a présidé à l’impérialisme capitaliste. Nous nous concentrerons essentiellement sur le cas de Rome :

      « Rome est, au début – après la victoire de la plèbe – un État de paysans conquérants ou, mieux, une cité-État paysanne. Chaque guerre se traduit par la prise de terres ouvertes à la colonisation. Le fils du citoyen propriétaire foncier, s’il ne trouve pas sa part dans l’héritage paternel, combat à l’armée pour obtenir sa propre terre et devenir citoyen de plein droit. Ici réside le secret de la force expansive de Rome. Cette situation cesse avec les conquêtes outre-mer : celles-ci ne sont plus régies par les intérêts de la colonisation paysanne, mais par l’exploitation des provinces au profit de l’aristocratie. Ces guerres visent la chasse à l’homme et la confiscation de terres, destinées à être exploitées dans de grands domaines affermés et arrentés. »

      (ESA, p. 68 sq.)

      Weber distingue ici deux mécanismes guerriers : le premier est porté par la paysannerie et pousse à la colonisation agraire, le second est porté par l’aristocratie capitaliste et pousse à l’impérialisme outre-mer. Ces deux logiques bellicistes correspondent à deux étapes dans le processus de démocratisation propre à la ville occidentale : le passage de la cité nobiliaire à la cité hoplitique (3 ñ 6), puis celui de cette dernière à la cité démocratique des citoyens (6 ñ 7).

      Le passage à la cité hoplitique s’accompagne d’un expansionnisme continental qui permet d’assurer aux nouvelles générations de citoyens-soldats potentiels un lot de terre, condition sine qua non de leur capacité économique à pourvoir eux-mêmes à leur équipement militaire, et donc de l’accès à la pleine citoyenneté. « Le secret de la force expansive de Rome », c’est-à-dire dans notre perspective le mécanisme guerrier, repose donc sur l’association du principe de l’auto-équipement à l’extension de la citoyenneté : si le soldat doit s’équiper lui-même, alors il faut garantir à tous les soldats nécessaires les moyens économiques de pourvoir à leur équipement, donc des parcelles de terre. Démocratisation et colonisation se conditionnent alors réciproquement :

      « L’ascension politique de la paysannerie se produisit alors dans le sillage de la considérable expansion militaire de l’État vers l’intérieur des terres, entre le milieu du 5e siècle et le début du 3e siècle, et elle en fut comme partout autant cause que conséquence. »

      (ESA, p. 323)

      Sur la base d’intérêts essentiellement paysans, l’extension de la citoyenneté et l’expansion territoriale vont de pair :

      « Avec le pouvoir croissant de l’armée de paysans, l’élément moteur devient l’expansion vers l’intérieur des terres, c’est-à-dire l’intérêt pour l’acquisition de terres. »

      (ESA, p. 328)

      La structure sociale globale de la cité hoplitique romaine, faisant coïncider le soldat, le citoyen, le paysan et le petit propriétaire foncier, fonctionne donc comme un mécanisme guerrier : cette structure produit en effet un intérêt constant et massif à l’expansion territoriale. Ce sont donc tout d’abord les intérêts des citoyens paysans qui expliquent le bellicisme romain dans sa première phase coloniale.

      Mais le bellicisme de l’expansion outre-mer a fonctionné sur des bases différentes : émigrer outre-mer ne saurait séduire les paysans qu’en cas d’extrême détresse. C’est ailleurs qu’il faut chercher les intérêts qui ont constitué le moteur de l’impérialisme romain :

      « L’expansion outre-mer était capitaliste… Ce sont les intérêts capitalistes des marchands et des fermiers des impôts et des domaines qui ont imposé la destruction des anciens centres de commerce : Carthage, Corinthe, Rhodes firent les premiers frais de la politique d’annexion outre-mer, laquelle servait les intérêts de la mise en valeur du capital et non pas ceux des paysans libres, c’est-à-dire la colonisation. »

      (ESA, p. 345 sq.)

      Ce sont donc des intérêts capitalistes qui ont nourri l’impérialisme maritime romain. Encore faut-il préciser l’orientation de ces intérêts capitalistes, et la nature du capitalisme antique, pour ne pas faire de contresens à propos de la connexion établie ici par Weber entre capitalisme et impérialisme. L’impérialisme maritime romain est porté tout d’abord par des intérêts capitalistes au sens purement économique, c’est-à-dire par les intérêts des marchands et des grands propriétaires d’exploitation terrienne et esclavagiste qui cherchent à maximiser leur profit par l’échange sur le marché. Mais il est aussi porté par un « capitalisme politique », qui repose moins sur le marché que sur les finances publiques, c’est-à-dire par les intérêts des fermiers des impôts et des grands fournisseurs d’État. C’est ce capitalisme à orientation politique qui est caractéristique du monde antique. Cependant, il ne faut pas trop forcer la distinction entre capitalisme purement « économique » et capitalisme « politique » en ce qui concerne le monde antique, car, comme le précise Weber, « les incitations spécifiquement antiques du "capitalisme" […] étaient toujours liées à l’expansion politique » (ESA, p. 263). En effet, dans l’Antiquité, le développement d’une cité dépendait essentiellement de ses actions militaires :

      « C’est pourquoi le capitalisme y vivait en fin de compte du seul politique ; il n’était économique qu’indirectement, si l’on peut dire : son élément, c’était les hauts et les bas de la cité, avec les aléas de la ferme d’État et des rapts d’hommes et (spécialement à Rome) de terres. »

      (ESA, p. 383)

      L’accumulation du capital, que ce soit sur la base du marché ou des finances publiques, était donc fondamentalement déterminée par le devenir politico-militaire de la Cité, et toute expansion politique augmentait les chances de croissance économique. C’est pour cette raison que le capitalisme antique était particulièrement belliciste : non pas que le capitalisme médiéval et moderne ne se soit pas lui aussi nourri, de manière essentielle et continue, de la guerre, mais il n’a plus dépendu seulement des aléas de la vie politico-militaire. Cependant, ce ne sont pas pour autant uniquement des intérêts capitalistes qui ont suscité les guerres antiques : c’est la classe des petits paysans qui a été le moteur de l’expansion coloniale, alors que c’est l’aristocratie capitaliste qui avait été le moteur de l’impérialisme outre-mer. On peut donc parler de deux mécanismes guerriers distincts, un mécanisme colonial basé sur la paysannerie, un mécanisme impérial basé sur le capitalisme.

      La dynamique politique de l’impérialisme : prestige et puissance

      Mais la guerre en général n’a pas sa source seulement dans des structures sociales globales fonctionnant comme des mécanismes guerriers : il y a aussi, au cœur de la sphère politique, une dynamique spécifique poussant à la guerre. Il faut donc revenir sur le terrain proprement politique pour compléter les éléments que l’on a pu tirer des analyses des structures sociales antiques globales, en ajoutant un nouveau niveau de mécanisme guerrier qui, lui, est intrinsèque à la sphère politique.

      En effet, quand Weber aborde théoriquement la question de l’impérialisme, il cherche manifestement à éviter des simplifications de type marxiste-léniniste 18  : la guerre n’est pas seulement suscitée par des intérêts économiques capitalistes au sens strict, et l’abolition du capitalisme moderne ne se traduira pas ipso facto par la disparition de l’impérialisme. Il y a en effet une dynamique proprement politique de l’impérialisme. Au sein même de la sphère politique, c’est ce qui apparaît comme un intérêt « symbolique » qui est décisif pour une compréhension adéquate des mécanismes guerriers, l’aspiration au prestige :

      « La "puissance" d’une formation politique porte en elle une dynamique spécifique : elle peut être la base d’une aspiration spécifique au "prestige" chez ses membres, aspiration qui influence leur comportement vers l’extérieur. »

      (W G, p. 520)

      L’impérialisme est certes relié à des mécanismes sociaux globaux, mais il est aussi lié, dans l’optique de Weber, à un mécanisme interne à la sphère politique des grandes puissances, réglé selon une logique de prestige.

      La guerre, vecteur de légitimité charismatique

      Cette aspiration au prestige doit être articulée à la question politique fondamentale de la légitimité. Selon Weber, il est quasiment impossible d’asseoir une domination durable sans que les individus dominés croient en la légitimité de cette domination :

      « Le fondement de toute domination, et donc de toute docilité, est une croyance, croyance au "prestige" du ou des gouvernants. »

      (W G, p. 153, E S I, p. 345)

      La croyance en la légitimité d’un ordre politique est donc toujours associée à la croyance au prestige de ceux qui sont à la tête de cet ordre, et la quête de prestige est plus fondamentalement une quête de légitimité.

      La guerre victorieuse apparaît alors comme un vecteur de légitimité, comme un moyen de faire croire que l’on est qualifié à dominer. Cependant, il ne s’agit pas de n’importe quel type de légitimité. La légitimité que la guerre confère est en effet la légitimité charismatique, fondée dans la croyance au caractère exceptionnel de la personne qui domine. Le charisme, c’est en effet, au sens premier, la grâce divine, mais Weber étend ce concept à tout personnage dont on croit qu’il est doté de qualités extraordinaires le qualifiant comme « chef ». Il y a divers types de chefs charismatiques : le prophète, le chef de guerre, le monarque dynastique… et pour toutes ces figures, la guerre victorieuse a fondamentalement le sens d’une confirmation de leur qualification.

      En effet, faire la guerre, c’est s’en remettre à l’épreuve des armes pour trancher un conflit. On renonce donc à toute médiation diplomatique et juridique, à tout arbitrage terrestre, humain, ce qui signifie, symboliquement, que l’on s’en remet à « Dieu ». Toute victoire sera alors interprétée comme un signe « divin » venant confirmer le chef. À partir de cette caractérisation de la victoire militaire comme confirmation, on comprend alors les diverses significations politiques que la guerre peut avoir pour un régime donné :

      « Les défaites militaires sont dangereuses pour les "monarchies" en faisant apparaître leur charisme comme non "confirmé" ; les victoires ne le sont pas moins pour les "républiques" en présentant le général victorieux pour charismatiquement qualifié. »

      (W G, p. 154 ; E S I, p. 346)

      Sur cette base, on peut mieux comprendre l’impérialisme : les intérêts non spécifiquement politiques à la guerre, et les couches sociales porteuses de ces intérêts, ne suffiraient peut-être pas à entraîner la guerre s’ils ne rencontraient pas des intérêts plus spécifiquement politiques qui, eux, ne portent pas seulement sur les profits « matériels » (richesses de toutes sortes : terres, argent, esclaves…) que l’on peut attendre de la guerre, mais sur ses profits symboliques et proprement politiques (le prestige, la légitimité). Autrement dit, l’impérialisme, si l’on veut l’expliquer de manière structurelle, se situe au croisement de deux logiques : les mécanismes guerriers liés à la structure globale d’une société particulière, et celui intrinsèque à la sphère politique, la dynamique du prestige et de la légitimité.

      *  *  *

      Mon projet était de montrer concrètement comment une structure sociale peut générer de puissants intérêts à la guerre et donc fonctionner comme un mécanisme guerrier, autrement dit de montrer la validité empirique du concept sociologique de mécanisme guerrier. Grâce aux analyses de Weber, nous avons repéré trois types de mécanismes guerriers, d’une part ceux qui résultent de la double dépendance (en esclaves et en céréales) d’une organisation du travail largement basée sur l’esclavage en caserne, puis ceux liés à la démocratisation d’une structure politico-militaire fondée sur le principe de l’auto-équipement, et enfin celui lié à la dynamique politique de la puissance et de la légitimité charismatique.

      Sur la base de ces analyses, nous avons pu accéder à un compréhension sociologique, et plus seulement historienne, de la guerre et de ses causes : saisir le fonctionnement de certaines structures sociales comme des mécanismes guerriers, c’est en effet atteindre un plan général et durable de causalité menant régulièrement à la guerre, un niveau de causalité qui ne se situe plus sur le plan de la série des événements politiques et diplomatiques précédant la guerre, mais sur celui de structures sociales qui sont en elles-mêmes bellicistes, c’est-à-dire produisent continuellement des intérêts à la guerre.

      Mais ce niveau général de causalité n’est pas pour autant anthropologique : il reste proprement sociologique 19 . L’approche sociologique des mécanisme guerriers que j’ai privilégiée a cet avantage de ne pas recourir à l’hypothèse d’une nature humaine foncièrement belliciste pour expliquer le caractère endémique que prend parfois la guerre. La guerre n’est pas la manifestation irrépressible d’une pulsion, d’un instinct de guerre en l’homme : elle est toujours articulée à la société. Et quand elle devient chronique, on peut supposer qu’elle est socialement fonctionnelle, qu’elle a une nécessité dans le système social donné. Mais cette nécessité n’est pas « systémique » 20  : le bellicisme ne fonctionne pas « par dessus » les consciences et les intentions individuelles, il est au contraire articulé aux intérêts des individus. Si la guerre est « fonctionnelle », c’est parce qu’elle est conditionnée par une structure sociale qui génère l’intérêt à la guerre : sa fonction est alors de satisfaire ces intérêts. Le bellicisme n’est ni pulsionnel, ni systémique : il est calculé. Weber nous permet donc de sortir à la fois de l’approche historienne de la guerre, et de l’approche anthropologique, sans tomber pour autant dans une approche fonctionnaliste de la guerre qui ferait l’économie des intentions individuelles.

      J’espère avoir ainsi montré, sur la base du monde antique, la validité empirique de l’hypothèse des mécanismes guerriers, et son intérêt théorique. Reste à tester sa pertinence heuristique dans d’autres contextes, les impérialismes modernes par exemple.

      Bibliographie des ouvrages cités de Max Weber

      Max Weber Gesamtausgabe, Tübingen, J. C. B. Mohr, 1984- (MWG).

      Wirtschaft und Gesellschaft (W G), 5e édition, Tübingen, J. C. B. Mohr, 1980.

      Économie et société (E S), 2 vol., trad. J. Chavy et al., Paris, Plon, Pocket, 1995.

      Économie et société dans l’Antiquité Les causes sociales du déclin de la civilisation antique (ESA), trad. C. Colliot-Thélène et F. Laroche, Paris, La Découverte, 1998.

      Essais sur la théorie de la science (ETS), trad. J. Freund, Paris, Plon, Pocket, 1992.

      Le Savant et le politique (S P), trad. C. Colliot-Thélène, Paris, La Découverte, 2003.

      La Ville (Ville), trad. Ph. Fritsch, Paris, Aubier, 1982.

      Gesammelte Aufsätze zur Soziologie und Sozialpolitik (GASS), J. C. B. Mohr, Tübingen, 1924.


      1.  J’emprunte cette notion à Marcel Mauss : dans les phénomènes sociaux totaux « s’expriment à la fois et d’un coup toutes sortes d’institutions : religieuses, juridiques et morales », politiques et familiales, économiques, esthétiques et morphologiques. Un phénomène social est total s’il met « en branle la totalité [ou presque] de la société et de ses institutions », autrement dit si en lui viennent se mêler toutes les dimensions constitutives de la vie sociale. Cf. Mauss, Marcel, « Essai sur le don », in Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1995, pp. 147 et 274.

      2.  Cf. Rapoport, Anatol, « Tolstoï und Clausewitz », p. 702, in G. Dill (éd.), Clausewitz in Perspektive, Frankfurt am Main/Berlin/Wien, 1980, pp. 696-718.

      3.  Finley, Moses I., « La guerre et l’Empire », in P. Brulé et J. Oulhen (éds.), La guerre en Grèce à l’époque classique, Rennes, PUR, 1999, pp. 93-99.

      4.  Braudel, Fernand, La méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, 2e édition, Paris, Armand Colin, 1966, vol. II, p. 164.

      5.  Cf. Garlan, Yvon, Guerre et économie en Grèce ancienne, Paris, La Découverte, 1999, pp. 9-12 ; et Finley, Moses I., art. cité, pp. 85-86.

      6.  Je m’appuie essentiellement sur : La ville (trad. de Philippe Fritsch, Paris, Aubier, 1982 – Cité : Ville), qui est en fait un chapitre de la partie non traduite d’Économie et société intitulée « Sociologie de la domination » (W G, II, chap. 9, section 7) et sur : Économie et société dans l’Antiquité (trad. de Catherine Colliot-Thélène et François Laroche, Paris, La Découverte, 1998 – cité : ESA), trad. de la 3e version (1909) des Agrarverhältnisse im Altertum (Les structures agraires dans le monde antique), précédée du célèbre article de Weber sur Les causes sociales du déclin de la civilisation antique.

      7.  Canguilhem, Georges, « Machine et organisme », in La connaissance de la vie, Paris, Vrin, 1998, p. 102.

      8.  « À propos du concept de ville et des divers types de villes », cf. Ville, chap. 1 et 5.

      9.  « Universel » par opposition au « particularisme » des cités occidentales qui sont des communes autonomes.

      10.  De même que chaque « stade d’organisation » est un idéaltype, c’est-à-dire un « tableau de pensée unitaire » que le sociologue construit en sélectionnant et en accentuant certains éléments, et qui dans sa pureté ne correspond souvent à aucune donnée existante (Weber parle « d’utopie conceptuelle »), ces deux types d’évolution sont des « idéaltypes de développement », c’est-à-dire des représentations schématiques des différents stades par lesquels les institutions sont susceptibles de passer. À propos de cette méthode idéaltypique de Weber, cf. Essais sur la théorie de la science, pp. 171-194.

      11.  « Die Trennung des Soldaten von den Kriegsmitteln und die militärische Wehrlosigkeit der Untertanen » (W G, p. 756).

      12.  Dans sa conférence sur La profession et la vocation de politique, Weber étend ce principe d’analyse au domaine administratif : il y a deux catégories d’administration, soit l’état major et les fonctionnaires sont eux-mêmes propriétaires des moyens de gestion, soit ils en sont « coupés » comme le prolétaire et l’employé le sont des moyens de production matérielle dans l’entreprise capitaliste ; cf. S P, pp. 129-133.

      13.  « Le fer, l’arme d’estoc, le combat rapproché discipliné des hoplites cuirassés engendrèrent l’armée des gros paysans et des petits bourgeois, et partant, l’antique "polis des citoyens" » (ESA, p. 379). Mais c’est moins le fer, le type d’armes, que la discipline, l’organisation tactique des hommes qui constitue la révolution technique dont parle Weber : « Ce n’est pas le fer comme tel qui a entraîné le changement […]. C’est au contraire la discipline hoplitique des hellènes et des romains. […] On voit ainsi que le type d’arme est une conséquence, et non la cause du développement de la discipline. » (W G, p. 683)

      14.  À ce propos, cf. Garlan, Yvon, op. cit., pp. 7-9.

      15.  J’emprunte ces catégories à Yvon Garlan, op. cit., pp. 79 sqq.

      16.  L’esclavage proprement dit, comme le dit Finley, c’est en effet le statut selon lequel « un homme est la possession, la marchandise d’un autre homme ». Cf. Finley, Moses I., Économie et société en Grèce ancienne, trad. Jeannie Carlier, Paris, La Découverte, 1984, p. 145.

      17.  Comme le remarque Finley, grâce à l’instrument « mer fermée », Athènes pouvait couper certaines cités de leur source de ravitaillement. Cf. Finley, Moses I., Économie et société en Grèce ancienne, trad. Jeannie Carlier, Paris, La Découverte, 1984, p. 82.

      18.  Cf. par exemple : Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Paris, Éditions Sociales, 1952, 1e édition, 1917. Il semble cependant que Weber ait écrit le texte que nous commentons avant la première guerre mondiale, sans donc avoir pu lire cet ouvrage de Lénine.

      19.  C’est un niveau général, mais pas universel : c’est une généralité liée à une structure sociale historique particulière.

      20.  Ce n’est pas une nécessité holiste faisant l’économie des intentions des acteurs, en affirmant par exemple que la guerre serait périodiquement nécessaire comme moment de destruction et d’effervescence sociale…

      Berlan Aurélien
      Premat Christophe masculin
      Wormser Gérard masculin
      Structures sociales et mécanismes guerriers : la guerre dans la sociologie wébérienne
      Berlan Aurélien
      Département des littératures de langue française
      2104-3272
      Sens public 2005-03-02
      Les mécanismes guerriers

      Lorsqu'on se situe dans une perspective historique et empirique, on est souvent paralysé par l'impression de ne rien pouvoir dire de général sur les causes de la guerre : chaque guerre aurait des causes spécifiques, et toute généralisation serait simplificatrice. La guerre se présente en effet comme un « phénomène social total » : c'est un phénomène qui mêle et combine toutes les dimensions constitutives de la vie sociale, politique bien sûr, mais aussi économique, juridique, religieuse, technique, scientifique... Il est donc complexe, polymorphe, et, semble-t-il, irréductiblement singulier. Par conséquent, la guerre « en général » n'existe pas : le concept de guerre se résorbe entièrement dans la multiplicité de ses manifestations singulières, et il en va de même pour ses causes, au point que certains sont tentés de considérer comme « des légendes et des histoires de vieilles femmes » l'idée que la guerre en général a des causes identifiables, ou qu'il y a des causes générales de guerre.

      Weber, Max (1864-1920)
      Clausewitz, Carl von (1780-1831)
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