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Julie, le couple, la communauté

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      Texte

      Julie ou la Nouvelle Héloïse a été définie par Gustave Lanson comme « un rêve de volupté redressé en instruction morale ». Le rêve de volupté ne se confond pas plus avec une flambée sensuelle entre un homme et une femme que l’instruction morale avec l’apologie d’un couple marié s’occupant de l’éducation de ses enfants et de l’exploitation de ses terres. Derrière le rêve d’amour entre Julie et Saint-Preux s’esquisse une vie amoureuse à trois : Claire n’est-elle pas présente au premier baiser aussi bien qu’à la scène fameuse de l’inoculation de l’amour ? Julie avait prévenu Saint-Preux qu’ils n’iraient « point ensemble dans le bosquet sans l’inséparable cousine » (Rousseau 1990, II, 63). Claire sert au couple à la fois d’encouragement et de censure, de prétexte et de limite. « Redoutable témoin » (II, 64), elle interdit une effusion trop directe, trop prolongée, mais elle seule permet le baiser dans l’obscurité des bois de Clarens. « En approchant du bosquet j’aperçus, non sans une émotion secrète, vos signes d’intelligence, vos sourires mutuels, et le coloris de tes joues prendre un nouvel éclat. » Un premier baiser donné à Claire est un préambule à celui qui est échangé avec Julie, et c’est dans les bras de Claire que Julie tombe en défaillance. Dans les Sujets d’estampes, estampes pour lesquelles Boucher a été approché, mais qui sont réalisées par Gravelot, Rousseau précise le moment : « Julie vient de donner à son ami un baiser cosi saporito, qu’elle en tombe dans une espèce de défaillance. On la voit dans un état de langueur se pencher, se laisser couler sur les bras de sa cousine, et celle-ci la recevoir avec un empressement qui ne l’empêche pas de sourire en regardant du coin de l’œil son ami. » (II, 762-763). Le latin sert souvent à dire l’indicible érotique ; l’italien, langue des poètes, exprime ici une intraduisible saveur. À la façon de Diderot dans les Salons, Rousseau dans les Sujets d’estampes détaille le moment comme le moteur d’une dynamique, et le tableau comme une histoire. Il fait bien du baiser un scénario à trois. Exclue du rapprochement des amants, Claire est essentielle dans les instants qui précèdent et qui suivent. Les dessinateurs qui ont pris le relais de Gravelot1, Moreau le jeune, Monsiau, Schall, Mallet, De Gouy ont volontiers transformé le passage en une scène libertine : les amants sont enlacés et Claire mise à l’écart, parfois même assise. Desrais, qui intitule l’estampe « Le danger des bosquets », fait défaillir Julie dans les bras de Saint-Preux, contre la lettre du texte. Desenne relègue la cousine dans l’ombre. Seul Daniel Chodowiecki à Berlin en 1783 et en 1787 suit les consignes du romancier et le modèle de Gravelot, tandis que Prud’hon et Moreau le jeune dans une seconde interprétation de la scène au début du XIXe siècle réunissent les trois jeunes gens dans un enlacement général qui efface la subtilité du dispositif d’origine, mais rend bien le rêve d’effusion collective. La nuance que Rousseau réclame donne toute son importance à Claire. L’étreinte des cousines suit celle des amants, elle contraint Saint-Preux à un peu plus de subtilité : « Julie doit se pâmer et non s’évanouir. Tout le tableau doit respirer une ivresse de volupté qu’une certaine modestie rend encore plus touchante. » (II, 763). L’évanouissement interrompt la conscience, la pâmoison la rend plus vague, l’un suspend la jouissance, l’autre la prolonge. Le « toucher délicieux » (II, 64) se change en une émotion « encore plus touchante » pour le lecteur ou le spectateur, même si le jeune homme, qui n’a pas compris la leçon sur le moment et dans la lettre qu’il compose à sa suite, se plaint surtout de la censure et de l’âcreté du baiser.

      Quelques lettres plus loin, Saint-Preux tente de mettre en mots la fonction libidinale de Claire. Le plaisir de voyeur est aussi leçon pour un érotisme moins prédateur, moins phallique :

      Quel ravissant spectacle ou plutôt quelle extase, de voir deux beautés si touchantes s’embrasser tendrement, le visage de l’une se pencher sur le sein de l’autre, leurs douces larmes se confondre, et baigner ce sein charmant comme la rosée du Ciel humecte un lis fraîchement éclos ! J’étais jaloux d’une amitié si tendre ; je lui trouvais je ne sais quoi de plus intéressant qu’à l’amour même […] Non, rien, rien sur la terre n’est capable d’exciter un si voluptueux attendrissement que vos mutuelles caresses, et le spectacle de deux amants eût offert à mes yeux une sensation moins délicieuse (II, 115).

      La sensualité entre les deux femmes apporte au trio une dimension qui serait absente du couple traditionnel qu’on appellera plus tard hétérosexuel. Saint-Preux y apprend des « délices inconnues » et une « tristesse enchanteresse ». Vertueux commentateur de La Nouvelle Héloïse en 1964 dans la Bibliothèque de la Pléiade, Bernard Guyon éprouve le besoin de commenter le passage en note : « Rien ne nous autorise à trouver à cette page un sens équivoque. » Rousseau est en effet, explique-t-il, « un amoureux très orthodoxe » (II, 1408)2. Rien n’est moins sûr, rétorque Paule Adamy dans les presque sept cents pages de ses Corps de Jean-Jacques Rousseau (Paris, Champion, 1997) où elle accumule les anecdotes, les rapprochements et les documents pour prouver le contraire. Sans les détailler, ni reprendre son argumentation, contentons-nous d’une lecture interne de La Nouvelle Héloïse. Saint-Preux reconnaît dans le déni une attirance érotique pour Claire : « Ah, qu’en ce moment j’eusse été amoureux de cette aimable cousine, si Julie n’eût pas existé » (II, 115). L’érotisation gagne de proche en proche tous les objets qui entourent Julie, qui participent de sa personne, qui en deviennent le prolongement et le substitut, le supplément : « […] Julie elle-même répandait son charme invincible sur tout ce qui l’environnait. Ta robe, ton ajustement, tes gants, ton éventail, ton ouvrage ; tout ce qui frappait autour de toi mes regards, enchantait mon cœur […] » (II, 115-116). Le couple ne se referme pas sur lui-même, il s’affirme dans une expansion centrifuge, il se prolonge dans un épanouissement fétichiste sur le décor. Dans la lettre écrite du cabinet de Julie, avant leur nuit d’amour, Saint-Preux dessine la personne de sa maîtresse à partir des éléments épars de son habillement : coiffe légère, heureux fichu, déshabillé élégant et simple, mules mignonnes, corps délié au sens de corset (II, 147) (voir Delon 2002, 339‑50).

      Une fois la liaison rompue, un contact physique momentané est à nouveau permis par Claire, devenue Mme d’Orbe. Julie est alitée à cause d’une variole. Claire cède aux demandes pressantes de Saint-Preux et organise une entrevue. Elle l’accompagne par la main jusque dans la chambre de la malade. Elle le racontera ensuite à sa cousine, cette fois encore demi-consciente, demi-responsable entre le rêve et réalité. Rousseau précise dans les Sujets d’estampe : « Elle a le transport » (II, 765)3. Claire décrit la scène :

      Sans le voir, tu sortis machinalement une de tes mains ; il s’en saisit avec une espèce de fureur ; les baisers de feu qu’il appliquait sur cette main malade t’éveillèrent mieux que le bruit et la voix de tout ce qui t’environnait (II, 333)4.

      Claire se charge ensuite de faire sortir Saint-Preux, puis commente sa visite à Julie :

      En me rappelant la manière dont il baisait ta main, je ne puis douter qu’il ne se soit inoculé volontairement. On ne pouvait être plus mal préparé ; mais c’était l’inoculation de l’amour, elle fut heureuse.

      Gravelot a réuni, l’un contre l’autre, Julie, prête à se lever, la femme de chambre qui la retient, Saint-Preux qui est encore penché sur sa main et qui est entraîné par Claire. Rousseau commente dans les Sujets d’estampe : « Il faut qu’on remarque dans tous les personnages une action très vive, et bien prise dans l’unité du moment » (II, 765). Dans l’alcôve comme dans le bosquet, Claire autorise, puis interdit, elle circonscrit le lien, introduisant l’amant et suspendant bientôt le contact. Après le mariage de Julie et de M. de Wolmar, Saint-Preux ne peut plus entrer en contact avec elle que par l’intermédiaire de Claire.

      Dès le décès de M. d’Orbe, Julie insiste pour que Claire et sa fille viennent vivre auprès elle. M. de Wolmar lui-même invite à Clarens Saint-Preux revenu de son tour du monde pour achever de transformer une relation binaire en une affection communautaire. De même que le désir du corps de Julie s’exerçait sur les parties de son habillement, il se déplace vers l’Élysée de Clarens, îlot de spontanéité naturelle, semble-t-il, au milieu des terres cultivées. Cet Élysée devient aux yeux de Saint-Preux « l’intérieur » même de celle qui a baptisé le lieu (II, 487). L’instruction morale, qui se dégage de la seconde moitié du roman, suggère une communauté originale où le couple laisse place à d’autres configurations amoureuses, dans le contexte d’une économie qui s’écarte de l’aliénation du travail et de l’exploitation de la nature. Il dépasse ce qu’il y a d’égoïste dans l’amour pour faire s’épanouir une dimension collective. Le lien entre deux individus passe par bien d’autres personnes. Un trio de deux hommes et une femme remplace le trio initial de deux femmes et un homme. M. de Wolmar emmène son épouse et Saint-Preux « dans les bosquets, et précisément [selon les mots de Julie à Claire] dans ce même bosquet où commencèrent tous les malheurs de ma vie » (II, 489). Ce nouveau trio doit fonder un art de vivre inédit. Wolmar prend la main des anciens amants et leur déclare : « […] nous pouvons être unis tous les trois d’un attachement durable, propre à faire notre bonheur commun, et ma consolation dans les ennuis d’une vieillesse qui s’approche » (II, 490). Le rappel par Wolmar de son âge insinue qu’une vie serait possible pour les amants après le décès du mari. En attendant, la communauté de Clarens semble exclure la sexualité, la dénier. La tentation de retrouvailles sensuelles entre Julie et Saint-Preux déclenche la crise finale, provoque peut-être l’accident et la mort de Julie.

      La crise sert de révélateur au désir de Claire pour Saint-Preux et au plaisir qu’elle prend à s’occuper de lui. Elle s’aperçoit même quelquefois que le jeu ne déplaît pas trop au jeune homme (voir II, 643). Julie mourante propose à Saint-Preux d’épouser Claire. Les liens explicites sont duels entre amants et entre époux selon les catégories linguistiques et institutionnelles qui sont à la disposition des personnages et de leur romancier. Flotte pourtant sans cesse dans la fiction le rêve inavouable d’une autre relation dont Jean-Jacques a sans doute fait maladroitement l’expérience dans la vie et qu’il manie avec brio dans la fiction. Le romancier n’a pas voulu inclure dans son œuvre ce qui serait le contrepoint de cette union idéale des âmes, à savoir la communauté proposée par la marquise italienne à milord Edouard : il resterait sentimentalement avec elle et réserverait ses relations sexuelles à la petite Laure recrutée par la marquise. Ce marchandage suppose une hiérarchie entre les êtres et une acceptation du commerce des corps. Edouard Bostom se révolte et l’épisode romain est exclu du roman, résumé dans une annexe qui en constitue une extension, pour ne pas employer de terme narratologique plus technique (paratexte éditorial5 ?). L’écriture de Diderot, l’ami éloigné, se prête particulièrement aux perspectives qui l’analysent en termes de marge ou de supplément, dans deux volumes récents (Cabane 2009 ; Belleguic 2014). La catégorie de supplément mérite sans doute chez Rousseau des développements qui la libèreraient de la référence obligée à Derrida.

      Ce qui s’ébauche dans La Nouvelle Héloïse est explicité dès l’époque dans des fictions comme Les Deux Amis de Saint-Lambert ou dans cette autofiction que Casanova nomme Histoire de ma vie et que ses premiers éditeurs ont appelée Mémoires. Les grands textes littéraires produisent un imaginaire qui dépasse leur lettre et suscite des possibles, explicités par ailleurs. Le respect philologique du texte doit aller de pair avec une prise en compte des discours qu’il produit. Ces discours le travaillent, l’écartèlent, le déconstruisent6, à condition de récuser ce qui dans cette notion dérape vers une post-vérité, vers une dissolution de toute critique objective, donc de tout dialogue intellectuel. Saint-Lambert, qui, dans la réalité vécue, a traversé les rêves communautaires de Jean-Jacques, a composé Les Deux Amis, conte iroquois. Mouza et Tolho, deux jeunes Iroquois, amis à la vie et à la mort, s’éprennent de la même jeune fille et, après avoir prouvé à tous leur courage à la guerre et leur ­dévouement l’un à l’autre, ils mettent en scène une incontestable virilité militaire pour faire accepter un partage contraire à l’idée traditionnelle de virilité, ils imposent à leur tribu une vie à trois. Tolho propose : « Pourquoi ne pourrais-je partager les plaisirs de l’amour avec l’ami de mon cœur, l’ornement de ma vie ? »

      Mouza fut longtemps sans répondre ; il dit enfin : Je viens de m’interroger. Je t’avoue que si la belle Érimé donne son cœur à l’un et à l’autre, ou si elle nous laisse ignorer qui des deux elle préfère, je sens que je serai heureux de ton bonheur et du mien7.

      La conclusion est heureuse : « La passion des deux amants, éveillée de temps en temps par un peu de jalousie, se conserva longtemps dans sa force ; Érimé ne parut pas se refroidir pour l’un ni pour l’autre de ses époux. » (p. 141). L’avis personnel de la jeune femme reste prudemment éludé.

      La vie conjugale est sagement alternée dans la cabane iroquoise ; les amours deviennent joyeusement ou cyniquement plurielles dans les aventures de Casanova qui privilégie la multiplicité des partenaires dans un même lit pour exorciser tout risque d’exclusivité conjugale. On peut confondre la réorganisation à trois d’une vie conjugale et la dispersion qui exclut toute continuité conjugale, mais une même configuration de scène appartient aux deux. L’Histoire de ma vie donne de nombreux exemples de nuits à trois. Une des plus fameuses se déroule dans un casin vénitien avec deux nonnes compréhensives, au terme d’une longue propédeutique et dans le luxe du libertinage aristocratique. Les amants se connaissent assez, deux par deux, pour pouvoir inventer un jeu érotique à trois. Ils se sont même risqués, grâce à la compréhension de l’abbé de Bernis qui a l’initiative des configurations, à un quadrille de deux couples avant de parvenir au difficile équilibre du trio.

      Enivrés tous les trois par la volupté et par les frustratoires, et transportés par des continuelles fureurs nous fîmes dégât de tout ce que la nature nous avait donné de visible et de palpable, dévorant à l’envi tout ce que nous voyions, et nous trouvant devenus tous les trois du même sexe dans tous les trios que nous exécutâmes8. (Casanova 1993, 796, 2013, 837)

      Frustratoire, employé ici en tant que substantif, est défini par le Trévoux comme « ce qu’on élude, ce que par de mauvais artifices on fait venir à néant ». Mais l’acte procédurier, qui élude le jugement, s’inverse en préliminaires infiniment prolongés. L’attitude condamnable du plaideur de mauvaise foi devient disponibilité de l’amant idéal. Docteur en droit canon et civil, Casanova se joue du lexique juridique pour mieux échapper à toute juridiction. Il suggère un brouillage du partage binaire dans ces folles nuits qui ne durent pas plus d’une saison ou une bouffée de passion. Le trio est à la fois une formation de corps-instruments et les compositions musicales qu’elle interprète ; Jean-Jacques Rousseau affirme dans son Dictionnaire de musique que « cette espèce de composition passe pour la plus excellente » parce que l’accord parfait est formé de trois sons (V, 1131). Le moralisme calviniste du Genevois ne peut être ramené à l’immoralisme catholique du Vénitien, ni l’éloge de la pudeur confondu avec le triomphe du cynisme, mais les tentations de Clarens appartiennent au même imaginaire que les ébats de Murano. L’expansion sentimentale, du couple à la communauté, a quelque chose à voir avec la multiplication des corps dans le libertinage.

      On connaît, à la Ca’Rezzonico à Venise, la fresque de Giandomenico Tiepolo, peinte à la fin du siècle, qui montre une femme à la promenade. Elle est de dos et donne le bras à deux hommes, l’un au catogan noué d’un gros ruban noir est sans doute le mari, le plus jeune aux cheveux noués sous un bicorne est alors le sigisbée. À cette époque où le mariage est souvent considéré par l’élite sociale comme une convention sociale, le couple à trois est également présent dans l’imaginaire français comme une importation italienne. Le sigisbée est-il un chaste accompagnateur de la dame dans le monde ou bien un amant plus ou moins acceptable par le mari ? un chevalier servant qui se contente de soupirer ou bien un compagnon moins platonique ? Les voyageurs et les romanciers interprètent la situation triangulaire dans un sens ou dans l’autre (voir Bizzocchi 2016), mais l’idée s’impose d’une relation complexe au-delà de la simple monogamie. Au début du XIXe siècle, le romancier René Jean Durdent associe ce qu’il nomme le sigisbéisme originel à la vogue du platonisme et du pétrarquisme en Italie, mais il reconnaît une évolution des mœurs.

      Un assez grand nombre de voyageurs étrangers se sont élevés contre le cigisbéisme [sic] avec tant de force, surtout dans ces derniers temps, que plusieurs de leurs passages ne pourraient guère être rapportés. Les Italiens […] n’ont pas manqué de traiter de calomniateurs ceux qui s’étaient permis de telles censures. Ils ont rappelé avec orgueil la noble et pudique origine de l’usage critiqué, et ont prétendu que les choses allaient encore, sous ce rapport, tout aussi bien que du temps de leurs ancêtres. (Durdent 1818, t. I, p. vi-vii)

      L’intrigue illustre le dévoiement de la coutume ; le mari de Clémentina peut conclure : « O Italie ! contrée si admirable, sous tant de rapports, mère des arts et du génie, quand tes enfants cesseront-ils d’admettre, d’excuser le funeste cigisbéisme ! » (Durdent 1818, t. II, p. 232). L’utopie amoureuse de Clarens se définit d’autant plus contre les mœurs italiennes qu’elle esquisse peut-être une forme nouvelle de sigisbéisme vertueux.

      Il n’est pas jusqu’à Sade qui, dans ses suites d’excès et d’orgies au grand nombre d’acteurs, ne revienne plusieurs fois au principe d’un double mariage où le libertin épouse en même temps une femme et un homme ou plutôt un partenaire passif et un actif9, dédoublement et parodie du sacrement, tandis que l’Histoire de Juliette s’achève sur un semblant de paix conjugale à trois : l’héroïne trouve une forme de plénitude entre un époux et une épouse, Noirceuil et la Durand. Elle vient de provoquer la mort de sa sœur, comme un peu plus tôt celle de son père, elle inaugure une configuration inédite, libérée du modèle naturel de la procréation et de la hiérarchie sociale entre les êtres.

      Lorsque Charles Fourier a composé Le Nouveau Monde amoureux, il connaissait Sade, mais ne pouvait avoir lu les mémoires de Casanova qui n’ont commencé à paraître en français qu’en 1826. Lui-même a laissé son manuscrit inachevé sans le publier. Il approfondit le lien entre modèle économique et lien libidinal. Il théorise la disparition du mariage monogame, tout en préservant les ressources de la céladonie et du sentimentalisme pour ceux qui peuvent y trouver leur plaisir. Il envisage dans une société harmonique l’amour polygame qui associe plusieurs unions et même l’amour omnigame, car il faut un lexique nouveau pour imaginer des relations différentes. L’harmonie élargit le trio en multiples formes orchestrales.

      Le lien d’amour en infiniment grand est celui de l’orgie qui établit une confusion générale entre les initiés ; le lien en infiniment petit est celui des manies amoureuses ou manies, coutumes et fantaisies que chacun contracte en amour comme en toutes passions. L’harmonie classera toutes ces fantaisies et associera en sectes tous ceux qui sont adonnés à chacune10.

      Le classement ici n’est pas hiérarchique, mais combinatoire. La communauté sensuelle s’appuie sur une révolution économique et sociale qui prolonge la réflexion rousseauiste.

      Ce n’est pas hasard si, impubliable du vivant de Fourier, Le Nouveau Monde amoureux paraît avec un siècle et demi de retard (ou de maturation) chez Jean-Jacques Pauvert, l’éditeur de Sade et de Bataille. Le volume est publié en 1967 et devient une des références de mai 68. Roland Barthes associe bientôt Sade, Fourier, Loyola comme autant d’inventeurs d’un nouvel art de dire et d’aimer11. La timide rêverie de La Nouvelle Héloïse retrouve dans ces années une actualité imprévue. Un roman comme Jules et Jim que Henri-Pierre Roché avait tiré d’une expérience personnelle avec Franz Hessel et Helen Grund et qui est publié en 1953 n’a connu la célébrité que porté à l’écran par François Truffaut en 1962, lorsque Jeanne Moreau, Oskar Werner et Henri Serre ont prêté leur visage aux personnages de Catherine, de Jules l’Allemand et de Jim le Français. Catherine tente de concilier un mariage, une vie de famille, l’éducation d’un enfant (cet enfant qui deviendra dans la réalité historique Stéphane Hessel « l’indigné ») et les droits à l’imprévu, à la surprise, au caprice érotique. Comme dans La Nouvelle Héloïse qui réunit des Vaudois, un Balte, un Anglais et des Italiennes, la communauté amoureuse dans Jules et Jim s’inscrit dans un rêve d’amitié cosmopolite sur fond de guerre mondiale. Elle oppose l’utopie amoureuse à la réalité des nationalismes haineux et destructeurs. Quand elle veut s’émanciper de Jules et de Jim, ou de ce mari bicéphale qu’est devenu Jules-et-Jim, Catherine fait intervenir un troisième homme, elle se ménage une escapade avec un guitariste, Cyrus Bassiak, c’est-à-dire « va-nu-pied » en russe, qui est joué par Serge Rezvani, né d’une mère juive russe et d’un père persan. Serge Rezvani a composé la chanson « Le tourbillon », incarnant le rythme du film :

      On s’est connu, on s’est reconnu
      On s’est perdu de vue, on s’est r’perdu d’vue
      On s’est retrouvé, on s’est réchauffé
      Puis on s’est séparé

      Le On n’est plus seulement un Nous familier, c’est l’indéfini d’amants qui passent, toujours disponibles, jamais fixés, dans une circulation qui déborde même le couple à trois. Le rêve se brise sur les réalités d’une vie qui ne peut se confondre avec une telle apesanteur. La voiture où se trouvent Catherine et son amant d’un moment franchit le parapet du pont qui restait l’expression du passage d’une rive à l’autre, d’un compagnon à l’autre. Elle plonge dans le fleuve sous les yeux horrifiés de Jules et de Jim.

      En laissant de côté la réalité des trios amoureux dans la vie de Shelley ou peut-être de Schiller, lecteurs de Rousseau, en n’interrogeant pas plus la tradition romanesque et les échos entre La Nouvelle Héloïse et Les Affinités électives, il nous suffira de citer quelques fictions cinématographiques qui, de mai 68 au début du XXIe siècle, font le procès d’un couple ou d’une famille, refermés sur eux-mêmes pour ouvrir la vie amoureuse à des communautés, à toute une géométrie passionnelle. Le choix de 68 n’ignore ni les audaces antérieures, telle la Sérénade à trois d’Ernst Lubitsch (1933), ni la rapide récupération commerciale de l’élan libérateur de mai. Le cinéma est l’expression privilégiée des générations qui se cherchent et s’essaient dans ces décennies, il constitue l’équivalent peut-être de ce qu’a été le roman au XVIIIe siècle et de ce que sont les séries pour la jeune génération aujourd’hui. Il renouvelle la tension entre le réel et l’imaginaire, la présence et le fantasme12. Non moins culte que les héros de Truffaut est le trio de personnages interprété par Miou-Miou, Gérard Depardieu et Patrick Dewaere dans Les Valseuses de Bertrand Blier (1972), mais la jeune femme jouée par Miou-Miou doit rappeler son besoin d’amour à des partenaires peu scrupuleux et leur expliquer qu’il ne faudrait pas prendre son « cul pour un moulin ». Cette même année 1972, Pourquoi pas ! un film, sans doute moins célèbre, de Coline Serreau, raconte la cohabitation d’Alexa, Fernand et Louis dans un pavillon de banlieue. Télérama caractérisait le film comme un « antivaudeville », c’est-à-dire un essai pour réinventer la vie à plusieurs sans assigner de rôle a priori aux trois sommets du triangle, sans s’attarder complaisamment à des chassés-croisés qui reviennent finalement à la norme monogamique hétérosexuelle. L’inventivité se cherche plutôt dans les marges de la société, en dehors des exigences d’un travail régulier et d’un statut professionnel.

      Bernardo Bertolucci se réfère à l’utopisme ambiant des années 68 dans le film sorti à la fin 2003, intitulé en anglais The Dreamers et en français Les Innocents. L’intrigue se situe à Paris en 1969 et rend hommage au cinéma comme un rêve éveillé, une dynamique d’invention. Isabelle et son frère jumeau Théo fréquentent la Cinémathèque où ils rencontrent Matthew, un étudiant américain. Eva Green, Louis Garrel et Michael Pitt offrent leur fraîcheur canaille aux trois personnages. Dans le sillage du printemps 68, ils aménagent des vacances prolongées au milieu de la norme sociale, incarnée vaguement par des parents lointains et concrètement défendue par des CRS bien présents, ils se rêvent libres de toute règle, en deçà de toute culpabilité, innocents dans leur anarchisme moral, oubliant les interdits pesant sur l’homosexualité, sur l’inceste. Cette rêverie reste insistante jusqu’à aujourd’hui. Elle continue à se manifester sur les écrans : représentation, préfiguration ou simple inversion d’une réalité sociale qu’elle irrigue. Je prendrai pour finir des exemples récents, presque aléatoires parmi tant d’autres possibles : deux films allemands et deux films français. Drei est un film allemand de Tom Tykwer au titre parlant. Il a été nommé pour le Lion d’or au Festival de Venise en 2010. Deux hommes et une femme se découvrent amants deux à deux et finissent tant bien que mal, avec le temps, par accepter la situation à trois, tandis que Freier Fall, « Chute libre », réalisé par Stephan Lacant en 2013, développe la version sombre et suicidaire d’une situation qui reste pour eux invivable. Le contexte professionnel des deux films explique leur tonalité différente. Drei se déroule dans les milieux intellectuels et scientifiques berlinois, alors que les deux amants masculins de Freier Fall sont des policiers, pas particulièrement aidés par leurs collègues de commissariat dans la province allemande. Berlin perpétue la joyeuse tradition libertaire des années 20, tandis que la norme sociale broie toute velléité de différence, loin de la capitale13. En France, Happy Few d’Antony Cordier en 2010 et Apnée de Jean-Christophe Meurisse en 2016 proposent d’autres variations, douce-amère ou burlesque. Happy Few relève du quadrille marivaudien ou mozartien où s’opère un chassé-croisé, un échange de partenaires, double triangle qui ne remet pas en cause les rôles masculin et féminin. Marina Foïs et Roschdy Zem, Elodie Bouchez et Nicolas Duvauchelle jouent les deux couples. Apnée s’ouvre sur le trio d’une femme et de deux hommes qui réclament à cor et à cri dans une mairie de pouvoir se marier tous les trois, écho ironique aux débats dans nos sociétés autour du mariage pour tous14. Les titres évoquent une dissidence morale, celle des happy fews ou des plongeurs en eau profonde, avant-garde ou marge irréductible à quelque ordre établi. Les lois sociales changent, les lois de l’inconscient sont peut-être moins transhistoriques que l’affirme la psychanalyse. Quel est donc le statut de cet ailleurs dont se réclame la fiction ? La langue elle-même n’est pas seulement l’expression de l’ordre contraignant, elle enregistre les courants contradictoires de la vie sociale. Le français a entériné le terme compersion pour désigner la participation au plaisir et au bonheur du partenaire, cette compassion joyeuse qui marque le contraire de la jalousie et qui s’oriente soit vers un échangisme ponctuel, soit vers une reconfiguration plurielle de la conjugalité. Il parle de polyamour, mais aussi du risque d’ubérisation de la vie sentimentale15. Il vient de consigner le néologisme trouple, trio, couple et troupe, ménage à trois où les trois font ce qu’ils veulent, couchent, découchent ou même ne couchent pas. Comme l’inventivité lexicale est sans limites, un écrivain demande récemment : « Que se passe-t-il lorsqu’un trouple trivorce? » (Guyonnet 2014, 121)

      Sommes-nous si loin de Clarens ? Le succès de La Nouvelle Héloïse a investi dans le roman toutes les frustrations et les attentes de l’époque, tant économiques que sentimentales. L’utopisme du texte est de suggérer plutôt que d’édicter, d’essayer plutôt que de conclure. Les trios constitués par Julie, Claire et Saint-Preux et par Julie, Wolmar et Saint-Preux, sans même parler des situations vécues par Edouard à Rome, sont des compromis divers, des transactions irréductibles à un simple modèle. L’expérimentation à trois menace une opposition binaire à laquelle Rousseau se montre par ailleurs attaché. L’opposition de Gustave Lanson dont nous sommes partis est simpliste. Explorer ou simplement formuler des « rêves de volupté » relève aussi de l’ « instruction morale ». Et deux cent cinquante ans plus tard, la tâche reste ardue et urgente pour les lecteurs de Rousseau comme pour les citoyens que nous sommes, entre le rêve et la commercialisation qui menace toujours, entre l’invention utopique et la récupération marchande.

      Bibliographie

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      Séité, Yannick. 2002. Du livre au lire: La nouvelle Héloïse, roman des Lumières. Dix-huitièmes siècles 67. Paris: Honoré Champion.


      1. Voir Alexis François (1920) et plus récemment Nathalie Ferrand, « La Nouvelle Héloïse illustrée par Gravelot », « La Nouvelle Héloïse illustrée par Moreau », dans Scherf et Ambrus (2012, 67‑83).

      2. Autre éditeur du roman, Henri Coulet est plus radical dans la dénégation : « Que, pour parodier une note de Baudelaire, l’interprétation saphique de l’amitié entre Julie et Claire retombe sur la conscience de ceux qui la proposent ! » (« Couples dans La Nouvelle Héloïse » (1989), repris dans Études sur le roman français au XVIIIe siècle (2014)).

      3. Quand il rédige Les Confessions, Rousseau développe l’expression  : « dans le transport de ma fièvre » (Rousseau 1959, vol. 1, liv. II, t.I, p. 293), « dans le transport de la fièvre » (Rousseau 1959, vol. 1, liv. VIII, t.I, p. 363).

      4. Voir Alain Grosrichard (1999) et Catriona Seth (2008).

      5. « La question du statut paratextuel du fragment connu sous le nom d’Amours de milord Edouard Bomston illustre bien l’intérêt d’une définition à la fois étendue et souple de la notion de paratexte » (Séité 2002, 435).

      6. Ils le disséminent aussi, comme j’ai essayé de le montrer dans « Julie ou la dissémination » (Delon 2012).

      7. Saint-Lambert, Les Deux Amis (1770), à la suite de Diderot, Les Deux Amis de Bourbonne (2002, 129). Le conte s’inscrit dans une série qu’on peut restituer : « Les Deux Amis selon Diderot et Meister » (Delon 2008).

      8. « Transportés » : le transport érotique explicite le transport de la fièvre rousseauiste, évoqué, plus haut, dans la note 3. La Justine de Sade met en garde contre l’ivresse, « le transport d’une fièvre ardente » et les illusions du libertinage (Sade 1995, t. II, p. 547).

      9. Le modèle est fourni par la vie de Néron, telle que la raconte Suétone : voir Catherine Cusset (1990, 409).

      10. Le Nouveau Monde amoureux, à la suite de Théorie des quatre mouvements et des destinées générales (Fourier 1967, 296).

      11. Voir Michel Bozon (2005). Tiphaine Samoyault présente Sade, Fourier, Loyola comme « le livre de Mai » et comme la suggestion d’un « mai réussi » (Samoyault 2015, 444‑45). Barthes s’intéressera à La Nouvelle Héloïse dans les Fragments d’un discours amoureux (ibid., p. 657).

      12. La fonction de l’imaginaire est superbement exploitée par Dona Flor et ses deux maris, roman de Jorge Amado (1966) et film de Bruno Barreto (1976), dans un contexte latino-américain.

      13. De 2013 date aussi Die geliebten Schwester, « Les Sœurs aimées », où Dominik Graf imagine le trio formé par Friedrich Schiller, son épouse Charlotte et sa belle-sœur Caroline.

      14. Télérama a présenté le film comme une « sarabande libertaire, situationniste et burlesque », un « inventif charivari de poésie, de provoc, d’humour absurde, au bord du film à sketches » (Jérémie Couston, 22 novembre 2017). Mais la fiction est talonnée par la réalité. La Colombie aurait officiellement reconnu début juin 2017 une famille composée de trois hommes, l’ensemble de la presse a rapporté l’histoire de cette « trieja » ou « famille polyamoureuse ».

      15. Voir la chronique de Maïa Mazaurette, « Échangisme, candaulisme, polyamour : la fidélité s’écrit (aussi) au pluriel », Le Monde (17 février 2019). Le candaulisme consiste à « prêter » son ou sa partenaire : « c’est la version acceptée et sublimée du cocufiage ». Le terme tire son origine du roi Candaule qui, d’après Hérodote, tint à révéler la beauté de son épouse à Gygès. Le candaulisme postule une réussite là où l’histoire antique se révèle tragique.

      Delon Michel
      Melançon Benoît 0000-0003-3637-3135
      Amann Flora 0000-0002-4171-6975
      Larue Renan 0000-0002-3180-7523
      Vitali-Rosati Marcello male 0000-0001-6424-3229
      Julie, le couple, la communauté
      Michel Delon
      Département des littératures de langue française
      2104-3272
      Sens public 2019/09/30 Rousseau 2019
      Julie ou La Nouvelle Héloïse n’est-elle qu’« un rêve de volupté redressé en instruction morale » ? La passion initiale des deux amants et le mariage de M. et Mme de Wolmar ont en commun de ne pouvoir être vécus sans un tiers. Claire est « l’inséparable » et Saint-Preux semble non moins nécessaire au couple Wolmar. S’esquisse chez Rousseau une expérience du couple à trois qui est exposée sur le mode conjugal par alternance chez Saint-Lambert dans Les Deux Amis et sur le mode érotique par concomitance chez Casanova dans l’Histoire de ma vie. On peut relire Rousseau à travers le prisme de Fourier et des utopies amoureuses de mai 68 qui continuent à nourrir la fiction cinématographique contemporaine.
      Is Julie ou la Nouvelle Héloïse simply « a voluptuous dream rectified as a moral lesson? » Common to the two lovers’ initial passion and to M. and Mme de Wolmar’s marriage is that both must include a third party. Claire is ‘inseparable’ from the the lovers and to the Wolmar couple Saint-Preux seems no less necessary. Rousseau sketches out the experience of three people living as a couple, which is developed in terms of marriage and alternation by Saint-Lambert in Les Deux Amis, and then of eroticism and simultaneity by Casanova in the Histoire de ma vie. Rousseau can be reread through the prism of Fourier and the amorous utopias of May ’68 that continue to feed contemporary cinematic fictions.
      Roman http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb11940505s FRBNF119405056
      Arts et lettres http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb12021811z FRBNF120218114
      Cinéma http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb119361188 FRBNF119361186
      Utopie http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb119337395/ FRBNF11933739
      Rousseau http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb119228797 FRBNF119228798
      couple, trio, polyamour, utopie, roman, illustration, cinéma, Rousseau, Saint-Lambert, Casanova, Tiepolo, Fourier, Truffaut
      couple, trio, polyamory, utopia, novel, illustration, cinema, Rousseau, Saint-Lambert, Casanova, Tiepolo, Fourier, Truffaut