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Barack Obama et l'audace d'espérer

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      • Mot-clésFR Éditeur 20 articles 1 dossier,  
        20 articles 1 dossier,  
        Mot-clésFR Éditeur 63 articles 1 dossier,  
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        Mot-clésFR Éditeur 72 articles 3 dossiers,  
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      Texte

      Dreams from my father 1 , itinéraire d’un Ulysse noir

      En cette première moitié de la décennie 1990, l’homme qui fait face à son manuscrit en devenir hésite. Avant d’avoir à faire ses premiers pas dans le monde des écritures, ce corps haut d’1m90 environ, peau d’ébène, savait pourtant de quoi il allait parler, ce à quoi il s’était résolu de donner naissance : une œuvre bien ciselée sur les droits civiques, l’égalité raciale, l’affirmative action, et toute une pléthore de sujets toujours à la mode aux États-Unis, pays sans cesse travaillé par les questions de races. Téméraire, il était allé jusqu’à s’imposer un calendrier, ambitionnant d’achever un certain nombre de chapitres en quelques mois.

      Platitudes. Il n’en sera heureusement rien.

      Alors qu’un éditeur a donné carte blanche à cet homme devenu quelques années auparavant le premier Noir à occuper la position prestigieuse de président de la Harvard Law Review, c’est tout autre chose qui va naître sous la plume de ce personnage spirituel au passé rempli d’alchimies les plus fabuleuses. Publié avant le début de la carrière politique de Barack Obama - c’est l’année suivante, en 1996, qu’il est élu au Sénat de l’Illinois -, Dreams from my father retrace la vie de celui qui deviendra, moins d’une décennie plus tard, une véritable icône du Parti démocrate.

      De sa naissance à Hawaï en 1961, de l’union d’un Africain et d’une Américaine, à l’enfance insouciante en Indonésie, du retour chez les grands-parents restés dans le 50e État des États-Unis, où il passe une grande partie de son adolescence, à Los Angeles, où il mène la vie des jeunes Américains de son âge, de la prestigieuse université de Columbia, à New York, aux quartiers pauvres de Chicago, citadelle noir de l’Amérique où il devient travailleur social (community organizer), c’est une existence riche - peut-être plus commune aujourd’hui mais si rare il y a encore quelques décennies -, un destin à nul autre pareil qui s’imposent à lui, où s’entrelacent les cultures, les combats, les religions et les couleurs de peaux, toutes fondues en une mosaïque exceptionnelle dont sa vie forme le creuset. D’où l’épaisseur du vécu de ce Blaise Cendrars afro-américain, de ce nautonier cosmopolite qui se forge une identité à force de n’en avoir pas, parce que sans cesse remise en cause jusqu’à ses vingt ans. Jusqu’à ce qu’il se mette en quête de ses racines, après avoir retrouvé une proche parente, et entreprenne un voyage qui le mènera sur le continent de ses ancêtres paternels.

      Retour sur soi, condensé de tous les paradoxes qui ont été normalité pour le jeune homme, cette autobiographie relate avant tout un voyage vers une Ithaque intérieure, l’identité : le jeune Barack a toujours dû réconcilier malgré lui tout ce qu’il y avait de contradictoire et de conflictuel dans la sienne propre, reflet d’un monde en pleine mutation, miroir des transhumances globales autant que des tensions de l’Amérique ordinaire. Or, parvenir à l’unité, voilà peut-être un trait dominant du personnage, qui ressort de l’ouvrage.

      Mais c’est aussi une tentative pour savoir qui était ce père qu’il n’a pas connu (au-delà de sa prime enfance, le métis ne le verra qu’un mois, à Hawaï, alors qu’il a dix ans) mais dont ses grands-parents et sa mère ont fait un personnage mythique, et dont on lui annonce la mort brutalement, alors qu’il est étudiant à New York. Un père brillant, dont les prises de position politiques, les critiques à l’endroit d’un pouvoir qui a favorisé les Kikuyu au détriment des Luo - son ethnie -, lui ont cependant valu une lente et amère déchéance dans son Kenya natal, fait qui a peut-être aiguisé la conscience politique de ce futur sénateur. Il est d’ailleurs curieux de constater combien Obama fera souvent référence à ce père qu’il n’a que peu connu directement, à tout propos, que ce soit pour parler de politique étrangère ou d’opportunités offertes par la société américaine.

      Mais au sortir de la lecture de ce livre, c’est indéniablement la profondeur du personnage qui impressionne, son vécu parlant pour lui. Ce livre est d’autant plus intéressant à replacer dans le contexte de la présidentielle américaine de 2008 qu’il traite du voyage d’Obama au Kenya, où il se pénètre du sens de la démocratie - il est d’ailleurs parfois difficile de saisir la densité de certains passages de ses discours, voire de ses thèmes de campagne, sans avoir lu cette autobiographie - et de son engagement dans la vie publique au travers de son action dans le quartier de South Side, dans le Chicago des années 80, où il s’installe à l’âge de 24 ans sans y connaître personne, quand il aurait pu, diplômé de Columbia, choisir de travailler pour une grande firme et un bien meilleur salaire. Mais c’est, au fond, ce que ce livre révèle : il y a de la foi, chez Obama.

      Ce récit aurait toutefois aisément pu tomber dans l’oubli si son auteur n’en avait fait le point de départ d’une odyssée américaine peu commune qui ne demandait qu’à être connue.

      Une étoile est née : Le discours de la Convention démocrate de juillet 2004

      Après la publication de son premier livre, Barack Obama a décidé de se lancer dans la politique. A partir de 1997, et jusqu’en 2004, il occupe un siège au Sénat de l’État de l’Illinois, où il se fait remarquer pour ses talents de conciliateur. En 2000, il tente même d’atterrir à la Chambre des Représentants. En vain.

      C’est le 27 juillet 2004, à quelques mois de la présidentielle, dans un climat politique effervescent, que Barack Obama va s’imposer. Instantanément. Il aura fallu dix-sept minutes d’un discours qu’il est venu prononcer en soutien à John Kerry pour qu’il devienne l’étoile montante du Parti démocrate et, quelques années plus tard, l’un des deux candidats à avoir le plus de chances de remporter l’investiture de son parti - ce, alors même qu’il n’était qu’un simple homme politique de l’État de l’Illinois en quête d’un siège au Sénat américain !

      Ce jour-là, c’est d’abord sa vie qu’il entreprend de narrer, dans des propos qui font écho à son autobiographie. Évoquant ses racines - fils d’un Kenyan ayant obtenu une bourse pour étudier dans un « lieu magique, l’Amérique » et petit-fils d’un cuisinier de colons britanniques -, il décrit une histoire, la sienne, celle de la réconciliation des races au travers de son père, africain, et de sa mère, une femme blanche du Kansas, un « amour improbable ». Mais son histoire est aussi et avant tout celle de l’Amérique, de ses combats intérieurs, de ses opportunités, de ses espérances. Ses parents l’ont nommé Barack parce qu’ils estimaient que « dans une Amérique tolérante, votre nom n’est pas une barrière au succès ». Ils ont rêvé de le voir étudier dans les meilleures universités parce que « dans une Amérique généreuse, vous n’avez pas besoin d’être riche pour accomplir votre potentiel ». Miraculeuse, son histoire n’est, selon lui, possible « dans aucun autre pays sur Terre ». Au fond, il fait revivre le rêve américain en une époque sombre. Message irrésistible. L’audience s’embrase.

      Rappelant les principes fondamentaux que défend son pays, l’égalité entre tous, le droit à la vie, la liberté et la poursuite du bonheur, il lance des piques à l’administration au pouvoir, rappelant qu’aux États-Unis, chaque vote est pris en compte - « au moins la plupart du temps », référence au décompte obscur qui avait eu lieu en 2000 en Floride. Aux États-Unis, dit-il encore, « on peut avoir une idée et monter sa propre affaire sans payer de pot-de-vin », une chance dont l’auteur de Dreams from my father, qui a connu les réalités du Kenya ou de l’Indonésie, a bien conscience.

      Évoquant le lot quotidien des laissés pour compte de l’Amérique, il développe une vision progressiste, au sens américain, de la politique :

      « Les gens n’attendent pas du gouvernement qu’il résolve tous leurs problèmes. Mais ils sentent, au fond d’eux-mêmes, qu’avec une légère inflexion dans les priorités, on peut s’assurer que chaque enfant en Amérique ait un sort décent et que les portes de la chance restent ouvertes à tous. ».

      Barack Obama, pour qui le gouvernement ne peut pas tout mais dont les interventions, bien calibrées, peuvent beaucoup pour améliorer les conditions de vie des Américains, semble faire écho à la politique de Bill Clinton, dont il pourrait être un héritier. Plus loin dans son discours, n’affirme-t-il pas : « Il n’y a pas une Amérique progressiste et une Amérique conservatrice - il y a les États-Unis d’Amérique », précisant que « l’on révère un Dieu Tout-puissant dans les États bleus, et que l’on n’aime pas voir les agents fédéraux farfouiller dans les bibliothèques dans les États rouges » ou qu’il y a « des patriotes qui se sont opposés à la guerre en Irak et il y a des patriotes qui ont soutenu la guerre en Irak » ?

      Obama refuse clairement les divisions, entend surmonter celles progressivement apparues aux États-Unis depuis les années 1970. Formé au droit, c’est un négociateur qui recherche les voies consensuelles, ne veut pas diviser mais voir tout le monde se mettre d’accord sur un point qui pose problème. Ce qu’il a au fond tâché de faire depuis sa prime enfance : réconcilier les contradictions. Or, c’est aujourd’hui devenu l’un des thèmes majeurs de ses discours sur la politique telle qu’elle se fait à Washington. A noter que par le passé, Bill Clinton, héraut de la Troisième voie, s’est également décrit lui-même comme « un petit peu rouge, un petit peu bleu » (« a little bit of red and a little bit of blue »). Mais son discours n’en est pas moins rempli de références qui l’ancrent davantage à gauche qu’au centre sur le spectre politique américain, à l’inverse d’Hillary Clinton.

      Au travers de chaque Américain, estime-t-il, c’est le sort de la société américaine qui est en jeu. Il rappelle la devise des États-Unis : « E pluribus unum ». Ses critiques de la guerre en Irak, où l’Amérique commence alors à perdre pied, soulèvent un tonnerre d’applaudissements. Et d’attaquer son thème majeur « Participons-nous à une politique du cynisme ou à une politique de l’espoir ? », interroge-t-il. Un peu plus loin : « L’espoir - l’espoir face à la difficulté. L’espoir face à l’incertitude. L’audace de l’espoir ! ». Le mot est lancé : Obama, l’espoir fait homme.

      Cette année-là, John Kerry perd l’élection présidentielle face à George W. Bush, les Républicains gagnent des sièges à Capitole Hill, mais Obama décroche sans peine aucune, face à des adversaires qui trébuchent devant lui, un siège de sénateur, devenant ainsi le cinquième sénateur noir de l’histoire des États-Unis. Une voie royale s’ouvre ainsi à lui. A Washington, le sénateur Obama parrainera plus de 150 lois ou résolutions et se fera remarquer par son assiduité, voire, sa capacité à travailler avec des Républicains.

      Comme tant d’autres médias, l’hebdomadaire britannique The Economist, pourtant pro-Républicain dans sa ligne éditoriale, est tombé sous le charme et fait régulièrement montre à son endroit d’un enthousiasme particulier, n’hésitant pas à affirmer que c’est le « meilleur orateur » 2 de tous les candidats, en expliquant qu’il donne l’impression, dans ses discours, de s’adresser à chaque individu venu l’écouter. En somme, le charismatique Obama crée des liens avec chacun, une force, pour celui qui cherche à devenir le dirigeant d’une nation.

      Au reste, s’il est encore difficile de saisir les nuances entre les programmes des trois principaux candidats démocrates - Obama a ainsi lui-même reconnu que les différences entre son plan quant à la réforme du système de santé et ceux d’Hillary Clinton ou de John Edwards étaient « modestes » -, ce sont bien leurs personnalités, à ce stade, qui risquent de faire la différence. A ce titre, il est assez significatif que les Démocrates associent plus spontanément son personnage avec les mots « optimiste » ou « énergique » qu’avec John Edwards ou Hillary Clinton (cf. l’enquête du Pew Research Center du 20 septembre 2007). Si cette dernière, symbole même du politique expérimenté, l’emporte sur trois qualités (« résistante », par une large mesure, et également « intelligente » et « compatissante »), Barack Obama est, lui, le candidat qui apparaît le plus « honnête », le plus « amical », le plus « équilibré », etc. En d’autres termes, le plus humain. Face à la machine de guerre politique qu’est devenue Hillary Clinton, c’est un pari pour le moins audacieux. Mais c’est bien là le cœur d’une stratégie qui vise non plus à imposer une idéologie (la « nouvelle Gauche », le « conservatisme compatissant », le centrisme d’Hillary Clinton, le combat contre la pauvreté de John Edwards) mais un homme. Pari insensé ? Il est pourtant difficile d’oublier l’image d’un certain gouverneur de l’Arkansas qui avait aussi séduit en jouant du saxophone, il y a de cela plus d’une décennie.

      L’audace d’espérer 3

      Barack Obama a laissé s’écouler deux ans entre son fameux discours et un nouveau livre. Sa pensée a mûri. Publié en octobre 2006, à quelques semaines de la reconquête fabuleuse du Congrès par les Démocrates, c’est un véritable programme politique, un appel au changement, que dévoile alors le sénateur noir dans cette Audace d’espérer devenu rapidement un best-seller.

      Dans cet ouvrage massif, à la prose légère et vive, Barack Obama apparaît d’abord résolument consensuel par essence et entend en finir avec l’esprit bipartisan qui caractérise la politique contemporaine aux États-Unis, n’hésitant pas pour cela à vanter à plusieurs reprises des qualités anciennes du dialogue telle que la courtoisie comme élément clé du consensus et du débat, par opposition à la pratique des spots publicitaires visant à salir ou à détruire un adversaire politique, négatifs, selon lui, pour la démocratie.

      Obama a quelques idées-phares, qu’il introduit rapidement, pour les développer au fil des chapitres : ainsi, offrir des opportunités à tous les Américains, en favorisant, par l’éducation, une mobilité ascendante ; réformer un système de santé national qui est cher, inefficace, inadapté à une économie où l’emploi à vie n’est plus une réalité - rappelons que, à l’inverse de ce qui se fait en Europe, perdre son emploi aux États-Unis signifie perdre sa couverture santé ; lutter contre le terrorisme, le thème de la sécurité nationale ne pouvant décidément plus être abandonné aux Républicains ; ou encore, encourager la foi et la culture, sources, selon le Démocrate, de bien être et de compréhension mutuelle.

      L’auteur devient plus intéressant quand il livre sa vision de l’Amérique contemporaine, de son évolution depuis 1945. Rappelant que la Seconde guerre mondiale, la guerre froide et la domination économique des États-Unis ont été des éléments favorisant le consensus politique qui a longtemps prévalu dans son pays, il relève que le New Deal rooseveltien et la prospérité d’après-guerre ont contribué à cimenter ce consensus. Mais celui-ci a commencé à se briser dès les années 1960, suite à l’apparition d’expressions minoritaires les plus diverses, de cultures et de contre-cultures ; la politique est devenue une attitude, la manifestation et la revendication d’une manière d’être davantage qu’une affaire de classes. On aura deviné que le sénateur, appartenant à une génération plus jeune, héritière de ces combats pour les droits civiques mais fatiguée de les voir se rejouer encore et toujours en ce début de 21e siècle, est volontiers critique de cette époque. Il estime au demeurant que la gauche américaine pourrait amorcer une rupture, une régénération. De fait, la droite, qui avait capitalisé sur une réaction quasi épidermique des Américains conservateurs à ces années 1960, avait su se réinventer dès les années 1970 pour propulser un Reagan sur le devant de la scène en 1980, initiant ainsi la domination par les Républicains de la politiques américaine pour presque trois décennies - même sous la présidence Clinton, la Chambre des Représentants tombe rapidement aux mains de ses adversaires. Selon Obama, Reagan a touché une corde sensible des Américains en s’engageant à se tenir aux côtés de ceux qui travaillaient dur, obéissaient à la loi, prenaient soin de leur famille et aimaient leur pays. Une droite « plurielle », aux piliers solides - religion, démographie favorable aux États républicains, entreprises, groupes anti-taxes, etc. -, s’est engagée sur la voie de la « révolution conservatrice ». Face à elle, la gauche s’est épuisée dans son combat pour les droits civiques sans trouver à régénérer son logiciel. Reagan prendra l’avantage sur elle - mais signera en même temps la mise à mort politique des élites, de leur influence, en somme, de la politique telle qu’elle pouvait se pratiquer avant lui, et favorisera l’émergence du « populisme » dans le quotidien de la vie politique. L’Amérique d’aujourd’hui est l’héritière de ces grands bouleversements.

      Ce constat bien établi, Barack Obama n’oublie pas d’analyser les propres faiblesses de la gauche, dont l’individualisme des années 1960 a contribué à ronger le contrat social américain pendant que la droite devenait, d’après lui, absolutiste dans sa vision d’un fondamentalisme de marché proscrivant les taxes, anéantissant régulation et filet de sécurité, réduisant le gouvernement au strict minimum - seulement de quoi défendre la propriété privée, quintessence de la pensée de droite, et fournir une défense nationale forte. « Le Parti démocrate est cependant principalement devenu le parti de la réaction » 4 et a renoncé à se montrer offensif face à des Républicains qui l’ont été toujours davantage. La gauche s’est fatiguée à la poursuite des idéaux du New Deal ou vers le centrisme. Surtout, cette tension bipolaire semble depuis se rejouer perpétuellement, aidée en cela par une démographie favorable à la génération des baby boomers : « Dans le va-et-vient entre Clinton et Gingrich, et lors des élections de 2000 et 2004, j’ai eu, de temps à autre, l’impression que je regardais le psychodrame de la génération du baby boom - […] -, joué sur la scène nationale » 5 . Et c’est là que la rupture générationnelle apparaît, de fait, comme un combat propre à Barack Obama, jeune politique né en 1961.

      Réinventer la politique, réinventer la gauche, tels sont les deux paris d’Obama, pour qui il faut rattacher le plus grand nombre possible d’Américains à ce combat, en s’adressant à tous les citoyens, Démocrates, Républicains ou indépendants. Pour le sénateur de l’Illinois, surmonter les divisions, cela passe par l’ouverture. C’est pouvoir, comme il le redira plus tard, travailler avec des Républicains comme les sénateurs Richard Lugar (Indiana), John Warner (Virginie) ou Tom Coburn (Oklahoma), des initiatives qu’il a déjà prises : ainsi, au Sénat, le Démocrate a par exemple collaboré avec Tom Coburn pour faire passer une législation créant un moteur de recherche facilitant la consultation des dépenses publiques. Le candidat Obama a également rencontré Colin Powell, la « colombe » de l’administration Bush, qui s’était montré le moins convaincu par l’invasion de l’Irak, contrairement aux faucons. Il pense que la réconciliation peut être un message très puissant dans une Amérique épuisée par ses divisions.

      Mais les Démocrates auraient tort, selon lui, de ne pas reconquérir un terrain largement abandonné aux Républicains : celui des valeurs, auxquelles l’auteur consacre tout un chapitre 6 . Le sénateur s’interroge d’abord sur ce que les Américains ont en partage, et songe à ces principes qui ont marqué la Constitution américaine, à laquelle il consacre un autre chapitre 7 , et les grands textes américains : le droit à la vie, la liberté et la poursuite du bonheur, toutes les valeurs ancrées dans un optimisme fondamental et dans la foi en le libre arbitre - un passage du livre faisant largement écho à son discours de juillet 2004. Cette liste s’étend à la famille, aux devoirs intergénérationnels qu’elle sous-tend ; à la communauté ; au patriotisme et aux devoirs qu’impose la citoyenneté ; un sens du devoir et du sacrifice pour la nation ; voire, une série de qualités favorisant l’altérité, la générosité, la courtoisie ou la politesse.

      Et d’insister :

      « Voilà l’une des choses qui font de moi un Démocrate, je suppose, cette idée que nos valeurs communes, notre sens de la responsabilité mutuelle et de la solidarité sociale ne devraient pas seulement s’exprimer à l’église, à la mosquée ou à la synagogue, pas seulement dans le pâté de maisons où nous habitons, dans les lieux où nous travaillons, ou au sein de nos familles, mais aussi au travers de notre gouvernement. Comme beaucoup de conservateurs, je crois au pouvoir de la culture dans la détermination du succès individuel et la cohésion sociale, et je pense que nous ignorons les facteurs culturels à notre propre péril. Mais je pense aussi que notre gouvernement peut jouer un rôle pour modeler cette culture pour le meilleur - ou pour le pire » 8 .

      D’après lui, ces valeurs peuvent servir à un consensus national. Or, la méthode Obama, c’est aussi cela : d’abord trouver les points sur lesquels tout le monde est d’accord, puis entreprendre ensuite d’élargir le consensus.

      Pour replacer ces valeurs au cœur de la politique, Obama a conscience que les obstacles sont grands, surtout quand on doit pour cela ne pas se compromettre dans les liens qu’entretiennent entre eux médias, argent, groupes d’intérêts au cœur de la politique de Washington, à laquelle il consacre tout un chapitre 9 . D’où la nécessité pour lui de changer les usages en vigueur dans la capitale, message que le candidat va sans cesse marteler au cours de sa campagne.

      Le chemin que prend actuellement l’Amérique, et dans son sillage, nombre de pays industrialisés, est un autre enjeu de taille. Le constat vaut ici pour les États-Unis, mais il pourrait concerner mêmement d’autres pays : voilà une nation en voie de stratification économique et sociale, avec une classe d’individus prospères, informés, vivant dans des enclaves coupées du reste de la société, à même d’acheter ce qu’ils veulent sur le marché : école privée, santé « privée », sécurité privée, jets privés ; face à elle s’élargit la masse des citoyens contraints d’enchaîner des boulots dans les services qui ne paient guère, exposés aux délocalisations, obligée de travailler toujours plus et dépendants, pour leur santé, leur retraite ou l’éducation de leurs enfants, d’un secteur public inefficace, sous-développé, en manque cruel d’investissements. Et, au-delà du creusement des inégalités, la panne de l’ascenseur social guette les plus jeunes générations, qui risquent désormais d’être moins bien loties que leurs aînées.

      Pour y remédier, Obama est bien évidemment loin de renier le pouvoir du business, de l’esprit d’entreprise, ce qui fait également de lui un vrai libéral au sens classique du terme. Sa foi dans la méritocratie davantage que dans l’aristocratie confirme d’ailleurs ce point. Estimant cependant que la révolution conservatrice a été portée à son faîte par George W. Bush, et qu’elle est désormais à bout de souffle, il juge qu’il est plus que temps d’agir : face à la Chine et à l’Inde, les États-Unis ne pourront sans cesse, selon Obama, abaisser les coûts. La gauche ne pourra non plus s’acharner à ressusciter le New Deal d’antan. C’est pourquoi il propose, au cœur du chapitre le plus passionnant du livre 10 un nouveau consensus économique reposant sur l’éducation, la science et la technologie, et l’énergie. Il faut investir dans l’école du 21e siècle, dans la recherche et dans l’écologie, points qu’il développe en détails. Ensuite, avoir une nouvelle approche vis-à-vis de l’économie, en dopant la compétitivité et en redynamisant le projet social de Roosevelt. Enfin, répartir la richesse par le biais des taxes 11 - idée qui l’ancre à gauche sur le spectre politique américain. Obama le note d’ailleurs : des riches trop riches, ça ne sert à rien, et si l’on peut faire un bon repas aux États-Unis pour une vingtaine de dollars, pourquoi vouloir dépenser plus - idée qui pourrait porter en creux une critique du luxe ?

      Transcender le concept de race

      Barack Obama est-il assez noir ? Voilà une question qui continue à agiter les médias américains. Ce métis, fils d’un Luo du Kenya et d’une Blanche du Kansas, s’est vu reprocher à de nombreuses reprises de n’être pas un « vrai » Noir, descendant d’esclaves. A ce débat, curieux pour un étranger de passage, fait écho l’histoire agitée des Afro-américains. Dans un entretien à Newsweek 12 , le candidat observe : « Je pense que l’Amérique est toujours prise dans une brèche temporelle : la narration de la politique noire reste modelée par les années 60 et le black power ». Le sénateur de l’Illinois a au demeurant une conscience forte de cette histoire, comme ses écrits le révèlent souvent. Comment pourrait-il en être autrement ? Cinquième sénateur noir de l’histoire des États-Unis, premier Afro-américain à la tête de la Harvard Review of Law, travailleur social dans les quartiers majoritairement noirs de Chicago, forgeant son identité jusqu’à la fin de son adolescence, il symbolise mieux que quiconque cette ascension fulgurante dont peuvent rêver les Noirs aux États-Unis. Mais s’il refuse de nier cette histoire, il n’en souhaite pas moins aller de l’avant, la transcender.

      Le chapitre 7 de son ouvrage 13 dévoile une perspective intéressante de la question : si le sort de la communauté noire aux États-Unis n’est guère enviable - le passage de l’ouragan Katrina devait en apporter des preuves récentes -, Obama estime que la situation a évolué, que l’Amérique n’est plus ce qu’elle était il y a plusieurs décennies. Le racisme est toujours là, mais à une échelle moindre. Il faut donc parfaire l’œuvre des droits civiques par des lois supplémentaires sur l’éducation, le logement et l’emploi. Mais au-delà, selon lui, la meilleure manière de refermer le fossé qui sépare les minorités des travailleurs blancs peut n’avoir rien à voir avec la question de la race. Des programmes universels plutôt que raciaux peuvent améliorer le sort de tous. Ainsi, une couverture santé universelle pourrait beaucoup pour réduire les disparités entre minorités et Blancs. Sous Bill Clinton, l’effet « marée montante » d’une économie dynamique et de politiques de redistribution ont entraîné toutes les couches de la population, bien mieux que des initiatives du type de l’affirmative action. Quoi de mieux, en ce cas, qu’un solide programme à gauche ? Mais c’est aussi replacer la question des classes au centre de la politique, et mettre l’accent sur la valeur « travail » et la dignité individuelle plutôt que sur l’État providence, ou sur ce que l’on appellerait en français, sans doute de manière péjorative, « l’assistanat ». Au travers de cette vision libérale - ou tolérante, mais n’est-ce pas historiquement la même chose ? -, on retrouve aussi une certaine admiration pour l’œuvre de Bill Clinton - que la Prix Nobel de littérature Toni Morrison surnomma d’ailleurs le « premier président noir ».

      L’enjeu des races reste déterminant dans la campagne. Selon une enquête diffusée à l’été par Newsweek , 59% des sondés pensent aujourd’hui que l’Amérique est prête à avoir un président afro-américain, contre 37% en 2000. Certains expliquent néanmoins que les Américains de race blanche ont envie de voter pour lui parce que c’est un geste symbolique, démontrant qu’ils ne sont plus racistes, mais traduisant aussi une forme de culpabilité. Le candidat démocrate ne s’est pour sa part jamais montré agressif sur ce type de questions, à l’inverse de beaucoup de Noirs américains qui légitiment leur action politique au nom de leur couleur de peau et de ce que l’Amérique a fait subir à leurs ancêtres. Mais Obama séduit aussi l’électorat noir. Une étude du Pew Research Center («  Black Enthusiasm for Clinton and Obama Leaves Little Room for Edwards  ») est claire sur ce point : si le vote noir est crucial pour les Démocrates, John Edwards n’a pas encore réussi à toucher ces électeurs alors qu’Obama change peu à peu la donne en sa faveur, face à une Hillary Clinton toujours très populaire auprès de la communauté noire.

      Éviter que l’Amérique ne se divise davantage sur la politique ou sur les races, c’est tout un. Obama pourrait-il être ce ciment unificateur ? L’on pourrait résumer l’esprit résolument optimiste du livre, de son auteur, en citant ce passage :

      « L’audace de l’espoir. Voilà le meilleur de l’esprit américain, pensais-je ; avoir l’audace de croire, malgré toutes les indications contraires, que nous pouvions restaurer un sens de la communauté au sein d’une nation déchirée ; l’audace de croire que malgré des revers personnels, la perte d’un emploi, un malade dans la famille ou une enfance empêtrée dans la pauvreté, nous avions quelque emprise - et, par conséquent, une responsabilité - sur notre propre destin » 14 .

      De fait, le sous-titre de l’ouvrage compte peut-être davantage même que son titre. Thoughts on reclaiming the American Dream : ne sont-ce pas, égrainées là, autant de pensées pour se réapproprier le rêve américain ?

      Ce livre avait tout l’air d’un programme. Ne restait plus, pour son auteur, qu’à se lancer dans la course à l’élection présidentielle américaine de 2008.

      Une nouvelle génération de Démocrates

      Alors qu’une exceptionnelle vague de froid s’est abattue sur le nord des États-Unis en ce mois de février 2007, que le thermomètre est bien au-dessous de zéro, Obama rayonne.

      L’annonce de sa candidature le samedi 10 février 2007 à Springfield (Illinois) ne surprend pas. Évoquant le souvenir d’Abraham Lincoln, qui avait prononcé en 1858 un discours fameux contre l’esclavage, enjeu qui divisait alors profondément la nation américaine, précisément là où Obama se tient ce jour-là, il reconnaît qu’il y a une « certaine présomption, une certaine audace » 15 dans sa démarche. S’il n’a pas passé beaucoup de temps à Washington, il y a suffisamment été pour savoir que les pratiques dans la capitale doivent changer, déclare-t-il, devant une foule enthousiaste, venue braver des températures glaciales ce matin-là. Dans son discours, il est question de mettre fin à la guerre en Irak, d’éliminer la pauvreté, d’offrir une couverture maladie universelle, ou encore, de créer les conditions pour l’indépendance énergétiques de l’Amérique. Pour cela, il appelle une nouvelle génération d’Américains à dépasser la crise de son pays et à l’aider à transformer la nation. Avec Rimbaud, l’on serait presque en droit de s’interroger : « Il a peut-être des secrets pour changer la vie ? ». Cette promesse de changement - une constante, en politique - n’est crédible que si l’on prête à celui qui la fait un pouvoir transfigurateur manifeste. Or, le sénateur est-il ce démiurge de la politique ? Avec ses discours, Obama se dresse en tout cas comme le héraut des plus jeunes générations, une démarche qui rencontre un franc succès auprès des jeunes Américains.

      Dans The Audacity of Hope, Obama insistait sur le fait qu’il ne reniait pas l’héritage des années 1960, dont il demeure « en un sens, un pur produit » 16 . Lui-même n’est-il pas le fils d’un mariage rendu possible uniquement grâce à ces combats ? Sa mère n’a-t-elle pas été pétrie des valeurs des mouvements civiques, transmises au fils lors de son éducation ? L’engagement d’Obama dans les quartiers de Chicago ne découle-t-il pas naturellement de cette influence ?

      Pour autant, le sénateur noir, qui a mûri, juge aujourd’hui cette ère comme trop romantique et entend sortir son pays de vingt-quatre années de luttes entre les Bush et les Clinton, de clivages entre Républicains et Démocrates. La rupture générationnelle est devenue chez Obama un thème souvent revendiqué, lui-même pouvant se présenter comme un « post-boomer ». L’analyse du New York Times 17 est à cet égard enrichissante, qui rappelle que 2008 sera la première élection présidentielle aux enjeux radicalement détachés des années 1960 : l’Irak, la guerre contre le terrorisme, le réchauffement climatique, l’énergie, les technologies et la mondialisation. Mais il serait absurde pour M. Obama, relève non sans ironie le quotidien new-yorkais, de se présenter comme le candidat « anti-boomer », pour la simple et bonne raison que la génération du baby boom - dont certains, selon le même article, font remonter le début à 1943 et la délimitent à 1960 quand d’autres la datent de 1946 à 1964 - est la plus large génération de l’histoire aux États-Unis, et qu’elle vote !

      Quoi qu’il en soit, le sénateur est désormais dans la course pour devenir le premier président noir des États-Unis d’Amérique.

      Politique étrangère, le talon d’Achille d’Obama

      Lors d’une élection présidentielle, la politique étrangère est rarement le facteur décisif dans le choix d’un futur dirigeant. On se souviendra d’ailleurs que George W. Bush, avant son arrivée au pouvoir, ne savait pas même nommer le président du Pakistan - pourtant devenu un allié clé depuis les attentats du 11 septembre 2001. Pour autant, l’enlisement en Irak aujourd’hui, à l’instar de la guerre du Vietnam par le passé, va peser de tout son poids sur l’élection à venir. Sur ce point au moins, Barack Obama est l’un des rares candidats à avoir la conscience en paix, lui qui s’était opposé à la guerre dès l’automne 2002, en déclarant qu’il n’était pas opposé à toutes les guerres, mais aux « guerres débiles » (« dumb wars »), développant un argumentaire finalement assez proche de la position française d’alors. Il propose par ailleurs de mettre fin aux opérations sur place. C’est là indéniablement un puissant atout qui joue en sa faveur, surtout aux yeux des Démocrates, contrairement à Hillary Clinton, à qui l’on reproche aujourd’hui de ne pas vouloir admettre son erreur - semblant suivre en cela l’idée de l’un de ses conseillers, Mark Penn, pour ne pas apparaître « faible » à l’heure où le thème de la sécurité nationale est devenu prépondérant en politique.

      La guerre en Irak ne devrait donc pas nuire à Obama, mais il faut toutefois relever que la politique étrangère n’est pas sa carte principale, tant s’en faut, lui qui a déjà trébuché sur les questions diplomatiques. Tout juste candidat à la présidentielle, il a déjà réussi à irriter, par des déclarations à l’emporte pièce, les dirigeants de pays alliés du gouvernement américain, l’Australie et le Pakistan, et Hillary Clinton lui a reproché d’être « irresponsable et franchement naïf » lorsque il s’est dit disposé à rencontrer les dirigeants de pays comme Cuba, l’Iran, la Syrie, la Corée du Nord, ou le Venezuela, à l’occasion d’un débat de l’été 2007.

      Mais là comme ailleurs, Barack Obama a laissé des écrits dévoilant ses réflexions intimes sur le sujet. S’il consacre un large chapitre de son livre à la politique étrangère 18 , c’est dans la revue de référence Foreign Affairs qu’il devait exposer de façon structurée ses vues en matière de politique étrangère 19 .

      Considérant la tentation de l’isolationnisme, après l’échec en Irak, comme une erreur, il propose de renouveler le leadership - moral, diplomatique et militaire - de l’Amérique afin de faire face aux nouvelles menaces du 21e siècle. Obama prévient : l’Amérique ne pourra répondre seule à ces défis, pas plus que le monde ne peut le faire sans elle. « Aujourd’hui, nous sommes de nouveau appelés à apporter un leadership visionnaire », explique-t-il sans détour. Les nouvelles menaces (prolifération des armes de destruction massive, terrorisme, États voyous ou États faibles, réchauffement climatique) ne sont pas moindres que celles du siècle précédent. Dénonçant la réponse conventionnelle de l’administration Bush face à une attaque, celle du 11 septembre 2001, qui ne l’était pas, il condamne une vision fondée sur le passé, envisageant les problème comme reposant sur les États et s’attachant à vouloir les régler par des réponses militaires. Vision qui devait conduire à la guerre en Irak et aux sévices d’Abou Ghraib, qui porteraient à leur tour un coup fatal à la confiance du monde en les principes et les objectifs des États-Unis. En réponse, ce nouveau leadership que recherche Obama doit, selon lui, s’inspirer de l’intuition des Roosevelt, Truman et autre Kennedy, pour qui la sécurité et le bien-être de chaque Américain dépend de la sécurité et du bien-être de ceux qui vivent au-delà des frontières des États-Unis.

      Les enjeux-clés pour renouveler le leadership sont ensuite exposés les uns après les autres. D’abord, mettre fin de manière responsable à la guerre en Irak et revoir la politique sur tout le Moyen-Orient. Selon Obama, une solution militaire ne peut être imposée pour régler la guerre civile qui déchire Sunnites et Chiites ; le mieux est d’encourager les deux parties à trouver une solution politique, pression qui peut être exercée par un retrait des troupes américaines - Obama évoque alors la date du 31 mars 2008. Dans le même temps, une initiative diplomatique régionale et internationale serait activée pour négocier la fin de la guerre civile. Cette impulsion aiderait les États-Unis à se concentrer sur de nouveaux enjeux, à l’instar du conflit israélo-palestinien. Obama entend revigorer la diplomatie américaine à travers tout le Moyen-Orient, y compris dans les négociations avec la Syrie ou l’Iran - quitte même à parler directement à cette dernière pour éviter sa nucléarisation, et sans pour autant rejeter une solution militaire le cas échéant. Le candidat démocrate tient à préciser que des changements dans l’attitude de l’Iran pourraient se traduire en retour par un engagement économique des États-Unis, une garantie pour sa sécurité et l’établissement de relations diplomatiques. Face à la Syrie, la diplomatie et des pressions pourraient amener le régime à se montrer plus modéré - et cela pourrait contribuer à stabiliser l’Irak, isoler l’Iran, libérer le Liban de l’emprise de Damas et améliorer la sécurité d’Israël.

      S’il privilégie la diplomatie, Barack Obama n’en estime pas moins capital de revitaliser et de renforcer l’armée américaine, indispensable, selon lui, au maintien de la paix. La modernisation de l’armée américaine passerait par l’augmentation du nombre de militaires, la fourniture de nouveaux équipements et de nouveaux entraînements - y compris, détail intéressant, des formations aux langues étrangères. Et si, en tant qu’éventuel futur chef des armées, le candidat estime nécessaire de faire usage de la force au-delà de la simple légitime défense, il précise que tous les efforts seront toujours faits pour expliquer les démarches américaines et obtenir le soutien et la participation des alliés.

      Pour avoir déjà travaillé sur des législations contre la propagation des armes de destruction massive avec le sénateur républicain Richard Lugar, Obama évoque un thème qui lui est cher quand il parle de l’urgence de mettre fin à la prolifération des armes nucléaires et entend qu’un effort international soit initié, sous l’égide des États-Unis, pour sécuriser les armes nucléaires et le matériel entreposés sur les sites sensibles, le tout en l’espace de quatre années. Pour cela, le sénateur de l’Illinois remarque que la coopération active de la Russie serait indispensable. Au-delà, s’il devait être élu, Barack Obama négocierait, selon ses dires, un plan d’interdiction mondial, vérifiable, de la production de nouveaux matériels pour les armes nucléaires et initierait d’autres actions à cette fin. L’Iran et la Corée du Nord ne sont pas oubliés, contre qui Obama souhaiterait voir une coalition internationale forte se former pour contrer leurs efforts pour parvenir à la nucléarisation.

      Le terrorisme mondial n’est pas non plus occulté. Pour Obama, c’est sur l’Afghanistan et le Pakistan qu’il faut se concentrer, au travers d’une série d’actions qu’il détaille, favorisant la diplomatie et ayant pour but d’isoler les taliban et de traquer Ben Laden et ses lieutenants. Une fois élu à la Maison Blanche, il envisagerait par ailleurs d’encourager le dialogue entre l’Inde et le Pakistan, notamment sur la question du Cachemire, et entre le Pakistan et l’Afghanistan. Il entend également établir une alliance forte face au terrorisme mondial, comparable au bloc de l’Ouest dans sa lutte contre le communisme. De nombreuses initiatives seraient aussi mises en œuvre pour améliorer la sécurité intérieure des États-Unis. Pour lutter contre le terrorisme, Obama suggère de comprendre les racines du mal et d’exporter des valeurs d’espoir pour défaire l’extrémisme. Prenant acte de ce débat crucial qui se tient avec l’Islam, Obama veut renforcer, au travers de l’accès à l’éducation et aux soins, par le commerce et l’investissement, les forces modérées pour établir une relation apaisée.

      Renouveler le leadership américain passe par la refondation des alliances, des partenariats et des institutions indispensables pour faire face aux nouvelles menaces et renforcer la sécurité commune. A cet égard, Obama évoque notamment le cas de l’OTAN, à laquelle il souhaiterait que les alliés de Washington apportent davantage de troupes pour les opérations de sécurité collective. Une réforme de l’ONU est également présentée comme essentielle. Cette refonte des alliances et des institutions internationales en faveur de davantage de multilatéralisme aurait aussi, peut-être surtout, pour but de faire face à cette menace moderne qu’est le changement climatique. Élu président, Obama voudrait mettre en œuvre un système réduisant considérablement les émissions de CO2 de l’Amérique - le plus gros pollueur mondial. Mais la réponse ne peut être que globale, selon le Démocrate.

      Enfin, à la présidence, Obama proposerait de construire des sociétés plus démocratiques, plus justes, plus sécurisées, en investissant dans une humanité que nous avons en partage. « Notre engagement à l’échelle mondiale ne peut être défini par ce à quoi nous sommes opposés ; il doit être conduit par une idée claire de ce que nous représentons ». Une série importante d’enjeux et de promesses à cette fin est énumérée.

      Et de conclure sur le thème du renouvellement des générations : « Je crois que [les Américains] seront également d’accord pour penser qu’il est temps pour une nouvelle génération d’entreprendre de narrer la prochaine grande histoire de l’Amérique. » Et d’évoquer cette image de l’Amérique généreuse de JFK comme d’un idéal pas si difficile à réaliser de nouveau...

      Dans tout cela, dans ce vaste programme de politique étrangère, Obama oublie seulement de dire comment il réaliserait concrètement ses idées. L’oubli n’est pas minime !

      Plus tard, fin août 2007, en déplacement à Miami, en Floride, le candidat devait proposer de réviser les restrictions imposées aux Américains d’origine cubaine afin qu’ils puissent voyager plus facilement et envoyer davantage d’argent à leurs proches restés au pays de Fidel Castro, afin d’apporter un souffle de liberté dans l’île, pour la transformer de l’intérieur, non de l’extérieur. Dans une tribune pour le Miami Herald 20 , Obama va même plus loin : « Si un gouvernement post-Fidel entreprend d’initier un changement démocratique à Cuba, les États-Unis (le président collaborant avec le Congrès) est prêt à prendre des mesures pour normaliser les relations et alléger l’embargo qui a régi les relations entre nos deux pays au cours des cinq dernières décennies. » A bon entendeur...

      Aux yeux des observateurs politiques, les voix de ces exilés cubains sont considérées comme capitales pour gagner l’État de Floride lors de la présidentielle. Mais au-delà du calcul politique, celui qui ne verrait pas là les signes annonciateurs d’une diplomatie « transformative » se tromperait de beaucoup.

      Ainsi, loin de céder à la tentation du repli sur soi, un réflexe que l’on pourrait juger naturel après les erreurs historiques des dernières années, une Amérique dirigée par Barack Obama ferait certainement sentir tout son poids dans l’arène des relations internationales. Pour le meilleur et pour le pire.

      O8AMA ?

      Serait-on cependant tenté, avec Shakespeare, de soupirer : « words, words, words », des mots, des mots, des mots ? On reproche en effet à Barack Obama son manque d’expérience, le flou de son programme, surtout face à Hillary Clinton. Mais un Ronald Reagan, ancien acteur, était-il, à son arrivée au pouvoir, l’homme le plus qualifié pour être président des États-Unis ? Obama balaie d’une boutade ces critiques, rappelant que des hommes aussi expérimentés que Dick Cheney et Donald Rumsfeld sont finalement responsables d’une erreur historique. Pour se donner davantage de substance, depuis la fin de l’été, le candidat a surtout détaillé plusieurs de ses propositions - au travers de discours sur l’Irak et la diplomatie, de projets d’éthique politique, de développement urbain pour lutter contre la pauvreté, ou encore, d’un programme fiscal ambitieux 21 .

      La guerre des mots se poursuit également ailleurs. Cette campagne se déroule désormais aussi sur la toile : chaque semaine, quiconque s’est enregistré sur le site du candidat peut recevoir les e-mails de ce dernier, de son équipe, de sa femme. Et faire des dons en ligne, bien évidemment. Plus de 300.000 donateurs ont d’ailleurs alimenté les caisses du candidat à ce jour. Mais à ce stade de la campagne, Obama est toujours deuxième derrière Hillary dans les sondages et il est peu probable que cela change d’ici janvier 2008. Au reste, on peut expliciter ce point par le fait qu’à l’échelle nationale, le nom de Clinton est bien plus connu que celui d’Obama. Divers facteurs peuvent bien sûr modifier la donne. Une gaffe d’un candidat ou un scandale politique peut suffire à tout faire basculer. On se souvient de la manière dont Howard Dean s’était tiré une balle dans le pied en poussant un rugissement terrible après une intervention, une gaffe qui l’avait mis hors course. Par ailleurs, le sénateur noir a annoncé dans un entretien au New York Times fin octobre qu’il comptait désormais se montrer plus offensif à l’endroit de sa rivale, amorçant ainsi une nouvelle phase de sa campagne. Enfin, des ralliements peuvent également faire bouger les lignes : Al Gore pourrait ainsi apporter un soutien non négligeable à un candidat plutôt qu’à un autre. S’il s’agissait d’Obama, cet appui ne serait sans doute pas inutile. Le ralliement de célébrités comme George Clooney ou, plus encore, Oprah Winfrey, joue également en faveur du sénateur noir.

      Mais l’enjeu véritable, ce sont les primaires. Or Obama semble tenir tête à Hillary Clinton dans l’Iowa, État où doit avoir lieu la première étape de la course à l’investiture. Dans certains sondages, il devance même sa rivale de plusieurs points. Dans un email envoyé aux abonnés du site 22 , David Plouffe, directeur de campagne d’Obama, se voulait d’ailleurs rassurant : à la mi-septembre 2003, Joe Lieberman était donné pour vainqueur par les sondages pour les primaires. Mais John Kerry devait renverser la tendance en emportant le caucus de l’Iowa et la primaire du New Hampshire.

      Avec près de 75 millions de dollars récoltés pour sa campagne au 1er octobre, il devançait également de quelques millions sa concurrente dans la course à l’investiture. Son site Internet est en ébullition, son équipe, solide et composée pour partie d’anciens membres de l’administration Clinton, est très réactive, le site Youtube regorge de ses interventions, les foules continuent à être nombreuses lors de ses interventions. Et le nom de cet outsider est désormais plus familier à l’Amérique. Obama peut déjà se flatter d’avoir atteint un objectif clé : se faire connaître 23 . De fait, à 46 ans, le sénateur est encore un homme fort jeune, et à défaut, la présidentielle de 2012 pourrait être un objectif fort raisonnable pour lui, surtout qu’il aura l’expérience d’une première campagne. Cet impatient saurait-il attendre autant ? A défaut d’être investi par son parti, un ticket Clinton/Obama pourrait lui offrir le meilleur CV au monde pour le futur : vice-président des Etats-Unis - tout en lui faisant prendre son mal en patience.

      Au-delà, la présence d’Obama dans cette course pour la présidence est un symbole fort. En effet, le Parti démocrate n’a pas toujours été le parti des Noirs, tant s’en faut. Ce parti, qui passe pour être le plus vieux au monde, était encore profondément ancré dans un Sud ségrégationniste il y a de cela à peine quelques décennies. La présence de Barack Hussein Obama - son nom complet -, un métis dont le nom n’est pas loin d’évoquer ceux des pires ennemis de l’Amérique contemporaine - Saddam Hussein et Osama Bin Laden -, dans cette élection est aussi, qu’il le veuille ou non, l’aboutissement du combat de son parti pour les droits civiques, un parti qui, pour défendre sa cause, s’est aliéné durablement le Sud du pays où le racisme a toujours cours, comme l’illustrent encore les errements récents de la justice à Jena, qui font drôlement écho au boycottage historique des bus de Montgomery en 1955.

      « Unlikely » (« peu vraisemblable »), « improbable », une histoire possible « dans aucun autre pays sur Terre », tout, chez Obama, relève de l’impossible. Cinquième sénateur noir des États-Unis - et le seul actuellement -, premier Noir à être élu président de la Harvard Law Review, élu sénateur de l’Illinois avec une large majorité de voix au terme d’une campagne où ses adversaires se sont écroulés devant lui sans qu’il ait eu grand-chose à faire, devenu extrêmement populaire grâce à un seul discours de 17 minutes, enfin, battant des records dans les levées de fonds, nul autre que lui ne peut mieux porter son prénom : Barack, « béni » !

      Il y a bien évidemment loin des discours à la rugueuse réalité de la politique. A tout le moins avons-nous ici déblayé quelques pistes qui aideront certainement à mieux saisir la substance de l’homme. O8AMA en novembre prochain ? Il a l’audace d’espérer !


      1.  Dreams from My Father. A Story of Race and Inheritance, chez Three Rivers Press. Originellement publié en 1995.

      2.  Cf. The Economist, «The campaign’s brightest star », 16 juin 2007.

      3.  The Audacity of Hope. Thoughts on Reclaiming the American Dream, chez Crown Publisher, 2006.

      4.  Cf. p. 39.

      5.  Cf. p. 36.

      6.  « Values », chapitre 2, pp. 43-69.

      7.  « Our Constitution », chapitre 3, pp. 71-100.

      8.  Cf. p. 63.

      9.  « Politics », chapitre 4, pp. 101-135.

      10.  « Opportunity », chapitre 5, pp. 137-194.

      11.  Voir sur ce point le plan de réduction d’impôts de 85 milliards de dollars pour 150 millions de contribuables appartenant aux classes moyennes et défavorisées, dévoilé par le candidat à la Brookings Institution, à Washington, DC, le 17 septembre 2007.

      12.  Cf. « Following His Instincts », in Newsweek, 8 juillet 2007.

      13.  « Race », chapitre 7, pp. 227-269

      14.  Cf. p. 356 de The Audacity of Hope.

      15.  Cf. « Obama joins Race with Goals Set High », in The Washington Post, 11 février 2007.

      16.  Cf. p. 29 de The Audacity of hope.

      17.  Cf. « Shushing the baby boomers», in New York Times du 21 janvier 2007.

      18.  « The World Beyond Our Borders », in The Audacity of Hope, chapitre 8, pp. 271-323. 

      19.  Cf. « Renewing American leadership », in Foreign Affairs, numéro de juillet/août 2007.

      20.  Cf. « Our main goal: Freedom in Cuba », in Miami Herald du 21 août 2007.

      21.  Voir note 11.

      22. « Start the countdown », envoyé le 4 septembre 2007 à quiconque était enregistré sur le site du candidat.

      23. Ainsi qu’il le confiait à Newsweek en juillet 2007 (cf. note 12) : « C’est une métaphore pour ce dont il est question dans cette campagne: Me présenter, avoir une conversation, et essayer de me détacher du bruit créé par les opposants politiques ou des médias en quête d’une bonne histoire, ou de mes propres maladresses, de mes gaffes, m’assurer qu’à la fin de ce processus, les gens ont une idée claire de ce qu’est mon histoire, de ce que sont mes valeurs, où je veux mener le pays ».

      Planel Niels
      Wormser Gérard masculin
      Barack Obama et l'audace d'espérer
      Planel Niels
      Département des littératures de langue française
      2104-3272
      Sens public 2007-11-01

      Outsider dans la campagne présidentielle américaine de 2008, le Démocrate Barack Obama est devenu en peu de temps l’incarnation flamboyante d’une foi inébranlable en l’espoir, un écho puissant au "rêve américain" de plus en plus populaire dans son pays. Rassembleur, optimiste, le sénateur noir évoque une Amérique que l’on a connue généreuse, une image que la présidence Bush n’a pourtant jamais cessé de ternir. Écrivain doué et orateur charismatique, il maîtrise la parole, jongle avec les mots, le tout au travers d’écrits et de discours pétris de références à l’histoire et aux combats de son pays. A un an de la présidentielle, une plongée dans l'œuvre écrite d’Obama pour se saisir de la substance du candidat démocrate au travers de ses propres mots.

      An outsider in the US presidential campaign of 2008, the Democratic candidate Barack Obama has become the shining incarnation of an unwavering faith in hope and a powerful echo to the “American dream” more and more popular in his own country. Optimistic, a natural leader, the black Senator is reminiscent of an America once generous – an image that the Bush presidency has constantly been tarnishing. A gifted writer and charismatic orator, his writings and speeches are full of references to the fights and the history of his country. One year before the presidential election, this essay is an attempt to find the substance of the Democratic candidate in his own words.

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