De la campagne électorale pour les présidentielles de 2007 à l’hyper-présidence médiatique de Nicolas Sarkozy... on observe aujourd’hui des évolutions significatives dans les pratiques des médias et des acteurs politiques pour adresser des messages à l’opinion publique.
S’agissant des médias, ces évolutions concernent d’abord la façon dont ils ont couvert la campagne pour l’élection présidentielle. Cette fois-ci, les médias ont dans leur ensemble largement traité l’actualité politique qui se rapportait à l’élection présidentielle, ce qui n’a pas été sans conséquence sur la façon dont elle a été reçue par le public. Le développement du multi-canal, c’est-à-dire de dispositifs qui permettent aux médias d’éditer sur différents canaux (radio, presse écrite, web, tv) y a certainement contribué. Parmi ces médias, l’Internet et les réseaux câblés (la TNT) ont progressé comme source d’information politique des Français, même si à nouveau, c’est à la télévision que la partie s’est principalement jouée. Essentiellement parce que la télévision offre des programmes dans lesquels les candidats et leurs soutiens trouvent à s’exprimer, et surtout parce qu’ils permettent de toucher ceux que les informations politiques n’atteignent généralement pas. Ces « formats » qui ne relèvent pas du journalisme politique constituent pour cette raison des porte-voix stratégiques. Toutefois beaucoup ont jugé excessif l’usage qui en a été fait à l’occasion de la campagne 2007. Est-il souhaitable, au moment où la confrontation d’arguments doit prévaloir, que la parole politique entendue par le plus grand nombre ne soit pas celle qui s’échange dans les classiques magazines politiques 1 ? L’exemple le plus significatif de cette démarche, on s’en souvient, fut l’émission « J’ai une question à vous poser » diffusée par TF1, dans laquelle 100 Français interrogeaient les principaux candidats sans la médiation du journaliste, et sans contradicteur.
Quoi qu’il en soit, les formats d’information qui relèvent du « journalisme politique » continuent de jouer un rôle important dans la campagne, en raison de la nature de ces programmes qui s’adressent aux vrais amateurs de politique, également parce qu’ils permettent d’éclairer les enjeux de l’élection. Ce qui reste cependant de loin le plus frappant à l’occasion de la campagne 2007, c’est combien ils se ressemblent. Certainement parce qu’ils rivalisent tous afin d’apparaître comme celui qui aura su le mieux rendre compte des coulisses de la campagne. Même si cet examen journalistique de la façon dont une campagne moderne est conduite reste une bonne chose, il a pour fâcheuse conséquence un tropisme exagéré pour ce qui relève de l’examen des stratégies politiques. Le problème vient sans doute du désir des journalistes d’aller chercher la petite phrase qui alimentera les papiers politiques du lundi matin.
Les médias ont cependant pris conscience de leur part de responsabilité dans la distance que les Français ont mis entre eux et la politique. Est-ce une réponse consécutive à l’analyse qui a été faite de leur responsabilité dans le « coup de tonnerre » du 21 avril 2002 ? Ce changement d’attitude pourrait en tout cas expliquer que la campagne 2007 ait été davantage appréciée par le public. Classiquement, on analyse un tel sentiment de satisfaction du public par l’expérience qu’il aurait fait d’enjeux davantage discutés et de débats plus utiles. Au final, il se serait donc trouvé mieux informé pour opérer un choix parmi les candidats. Dans cette perspective, on ne peut nier que les médias sont parvenus à souligner ce qui opposait les candidats sur certains sujets jugés importants, et ont su trouver des informations qui ont intéressé le public : il est important de savoir si les candidats sont honnêtes (ont-ils menti sur l’état réel de leur patrimoine ?), et s’ils savent s’adresser au plus grand nombre (sont-ils en mesure d’assurer la pédagogie de leur projet politique ?). Parce que les médias ont sérieusement scruté les positions des candidats, le fameux jeu de ping-pong médiatique entre les petites phrases n’a pas trop lassé. En revanche les médias se sont montrés plus faibles sur l’examen du bilan politique des candidats et ils n’ont pas su alerter le public sur les conséquences que pourraient avoir certaines de leurs propositions. Pas de quoi toutefois affirmer que « tout est bon à jeter » dans le travail des journalistes à l’occasion de cette campagne ! En réalité, le problème n’est plus là où on avait pris l’habitude de le voir. Car ce que la campagne a permis d’observer, avant tout, c’est la manière dont les candidats ont cherché à piloter le travail des médias, et comment, en conséquence, les médias ont essayé d’échapper au contrôle des conseillers en communication.
A nouvelle communication politique, nouvelle information politique ?
En bref, les candidats furent inaccessibles. Et, avec l’aide de leur équipe de campagne, ce fut à l’organisation de cette inaccessibilité qu’ils s’employèrent jusqu’au jour du vote. De ce fait le débat politique fut restreint aux enjeux qu’ils jugèrent opportuns d’aborder, ainsi qu’aux solutions qu’ils préconisaient sur ces sujets. Les partis politiques sont à cet égard parvenus à leurs fins : le message fut contrôlé. Mais du coup certains enjeux dignes d’intérêt n’ont pas fait l’objet du débat électoral. Le public a pu entendre ce que les candidats avaient choisi qu’il dût entendre, en d’autres termes les candidats ont fixé l’agenda de la campagne. C’est désormais le prix à payer des stratégies de communication du : « à chaque jour, son message politique ».
Comment donc faire en sorte que les journalistes soient contraints d’écrire une histoire du jour qui s’impose à eux ? Par exemple en évitant au besoin certaines conférences de presse et en mettant en scène un candidat répondant à des questions qui émanent d’un groupe de citoyens présélectionnés, souvent des militants ou bien des journalistes locaux - tandis que la presse nationale qui suit le candidat dans ses déplacements est invitée à attendre dans le couloir, afin de respecter scrupuleusement le plan de communication établi. Les candidats ne se sont ainsi pas écartés du script qu’ils avaient écrit, mais les médias ont-ils cherché eux à en sortir ? Si ce n’est pas le cas, ils n’auront pas joué correctement leur rôle d’animateur du débat présidentiel qui se tient tous les cinq ans.
Les responsabilités sont en fait partagées. Ce qui, le cas échéant, explique que les journalistes et les représentants politiques, aussi les politologues... ne s’accordent pas pour définir ce qu’est la responsabilité propre de la presse dans ce processus. Il faut bien admettre que ce ne sont pas les journalistes qui font (la) campagne, ils la couvrent. Mais d’un autre côté, ils ont ignoré les sujets que les candidats n’ont pas abordés, fait très dommageable puisque les candidats ont parlé uniquement des sujets qui étaient susceptibles de leur conférer un avantage dans l’opinion. Qui plus est, la responsabilité du choix de ces sujets était laissée aux consultants, aux sondeurs et à leurs « focus group », c’est-à-dire ces groupes de citoyens sur lesquels les équipes de campagne testent le discours des candidats pour mieux cerner leurs désirs et promettent ensuite d’y répondre. Or, première difficulté, les personnes interrogées dans le cadre de ces techniques de mesure de l’opinion ne font souvent que répéter ce qu’ils ont entendu dans les médias, plutôt que de se prononcer sur les projets des candidats à partir de leur propre expérience sociale. Ceci a pour effet de rapprocher des campagnes qui, par bien des aspects, sont déjà indistinctes. Pire encore, afin de mieux prendre en charge les préoccupations des « gens », les journalistes ont également eu recours à ces mêmes techniques qui servent davantage à confirmer l’opinion qu’à l’éclairer 2 . Certes, demander aux électeurs ce qu’ils pensent est tout aussi important que de le demander aux représentants politiques et aux commentateurs. Ce fut, on le sait, cette décennie, la réponse classique des professionnels des médias à ceux qui les accusaient de ne s’intéresser qu’à la horse race entre candidats (qui est en tête dans les « sondages » ?), plutôt que de rechercher les questions qui « concernent » les Français. Au vu de cette campagne électorale, nul aujourd’hui ne semble leur adresser pareil reproche ; mais si les médias participent des mêmes techniques de fabrication des priorités et des enjeux que celles du marketing politique, il y a fort à craindre qu’ils n’exercent plus leur rôle traditionnel de gatekeeper dans la mise en place de l’agenda de l’élection 3 . De ce point de vue, si, il y a de cela quelques élections, on pouvait penser que les nouvelles du soir pouvaient avoir une incidence sur l’agenda du candidat en campagne, les médias sont aujourd’hui si dépendants d’informations pour alimenter le flot continu des nouvelles, que souvent ils sont prêts à accepter tout ce que les équipes politiques veulent bien leur offrir.
L’omniprésence médiatique : une continuité dans la communication politique de Nicolas Sarkozy
Ces différents savoir-faire utiles à la conquête du pouvoir 6 continuent de guider à l’heure actuelle la communication politique de « l’hyperprésident ». Si dès son installation à l’Élysée, Nicolas Sarkozy a pris soin de s’entourer de nombreux professionnels des sondages, des médias et de la publicité 7 , rien n’indique en effet pour le moment que ceux-ci aient renoncé à utiliser ce qu’ont été les bonnes recettes du « candidat Sarkozy » pour adresser des messages à l’opinion publique. La démarche du président Nicolas Sarkozy ne s’écarte ainsi guère de la tactique de « l’hyper-présence » médiatique mise en œuvre par le ministre de l’Intérieur en pré-campagne 8 . « Il faut faire la météo », c’est-à-dire « se donner le terrain que l’on veut occuper », et « créer l’actualité », explique l’ancien conseiller en communication de Tony Blair, Alastair Campbell 9 . Bien entendu, la nouvelle fonction oblige les conseillers qui en campagne prenaient déjà la plume, à le faire désormais au « nom de la France », ce qui demande une vigilance présidentielle de tous les instants (discours de Dakar et de Tanger)... ainsi qu’un budget de l’Élysée qui prenne la juste mesure de ce nouveau rôle des conseillers. La nécessité de tenir un « discours clair », qui serve « un système de pensée homogène », sans discordance, peut également conduire à priver de parole les autres membres de l’exécutif (le Premier ministre), et contraint à des recadrages intempestifs (des ministres ou secrétaires d’État) dès que le président s’absente de France... Car « ce n’est pas seulement la répétition du message qui compte mais aussi sa cohérence » 10 : toute action du pouvoir doit venir renforcer le « message principal » et « l’image médiatique » du président. Cela a été fait avec la gestion du rapatriement des infirmières bulgares mais aussi pour annoncer la séparation avec Cécilia : efficacité et proximité, y compris s’agissant de la vie privée du président. C’est le respect de cette « image médiatique » qui invite aussi à modifier, de façon « pragmatique », la stratégie de communication de l’omniprésence afin de ne pas apparaître en première ligne lors des grèves de novembre. Mais ce « Sarkozy II », « distant et silencieux » 11 , aura finalement bien vite laissé le « Sarkozy I » reprendre la parole à la télévision le 29 novembre, afin de parler « aux Français » du « pouvoir d’achat », identifié par les sondages comme leur « principale préoccupation ».
S’agit-il là d’un impératif structurel du « sarkozysme » 12 - de sa rhétorique politique - ou bien d’une règle de base désormais quasi-immuable de la stratégie politique dans les démocraties dites « d’opinion » ? Cette communication politique de « l’hyper-présidence » médiatique est analysée comme l’instrument privilégié de « l’activisme » que réclamerait l’exercice d’un pouvoir politique désormais jugé sur son « efficacité » à porter son attention à la vie quotidienne 13 . Mais on peut se demander si sa « nouveauté » ne réside pas davantage dans son adaptation au processus de « désidéologisation » ou de « dépolitisation » d’un espace public, médiatique, dans lequel l’offre politique est réduite à un décryptage des stratégies politiques et la demande politique à la prise en charge symbolique des préoccupations des « vrais gens ». Au-delà des problèmes évidents en matière de respect du pluralisme d’expression 14 , ces évolutions dans la façon d’adresser des messages politiques engagent quoi qu’il en soit une réflexion sur les conditions de l’échange politique dans les démocraties gouvernées.
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Sur ce sujet et sur la télévision comme réceptacle et vecteur d’une « politique dépolitisée » : Ludovic Renard, « Le traitement télévisuel de la politique. Les recompositions symbolico-cognitives de la politique à la télévision (1996-2006) », Thèse de doctorat de Science Politique, Bordeaux, 2006. ↩
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Par exemple « Le manifeste 2007 20 Minutes / RMC ». En association avec l’institut de sondage LH2, les deux rédactions se sont associées pour produire un « manifeste politique ». Selon le principe suivant : durant 30 semaines « les Français » sont interrogés chaque semaine sur un enjeu différent dans 20 Minutes, sur RMC et par LH2. L’idée est de « tracer le portrait de la France » par les électeurs, en partant de leurs préoccupations essentielles (niveau de vie, conditions de travail, éducation, santé, sécurité, environnement, institutions...). Ces thèmes sont analysés au travers de « questions concrètes » qui donnent lieu à des propositions compilées dans le manifeste. Les attentes ainsi exprimées seront remises aux candidats à l’élection présidentielle et confrontées à leurs programmes dans les colonnes du journal et sur l’antenne de RMC. Ainsi tous les vendredis, la synthèse et le décryptage de ces données furent publiés dans 20 Minutes et discutés lors de l’émission de Jean-Jacques Bourdin sur RMC, Bourdin&Co, de 7h à 11h. ↩
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Leur participation à la mise en place de « l’agenda » de l’élection : à savoir des « sujets » qui doivent faire l’objet du débat électoral, ainsi que leur « cadrage », c’est-à-dire la façon dont ils prennent signification pour une communauté politique. ↩
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Sur ce sujet, on se rapportera à la polémique entre Daniel Schneidermann et Alain Duhamel dans les colonnes de Libération : « Chirac et le sacrilège des surligneurs », Médiatiques, 02.02.07 versus « Schneidermann ou la tentation du populisme », 07.02.07. ↩
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Cf. les mises au point fréquentes de Philippe Ridet chargé pour Le Monde, de suivre Nicolas Sarkozy en campagne et maintenant à l’Élysée, par exemple in « Comment échapper à l’omnisarkozysme », 15.09.07, papier de Guillaume Fraissard et Sylvie Kerviel. ↩
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... et son exercice en tant que ministre de l’Intérieur notamment. ↩
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Cf. sur le sujet : « Les hommes du président », Stratégies, N° 1459, 31.05.07. ↩
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Thèse op. cit. ↩
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« Que faire pour que cet électeur qui s’intéresse de temps à autre, sans plus à la politique, entende et comprenne ? C’est cela la question stratégique (…). Un seul message important, (…) plus solide, plus percutant, plus concret, à marteler (…) ; car les gens d’aujourd’hui pensent beaucoup moins à la politique qu’auparavant ». Ne jamais oublier que « l’interlocuteur est toujours l’opinion publique », et qu’il faut toujours se demander en quoi ce que l’on dit et fait « concerne la vie des gens », Cf. Alastair Campbell, in « La com politique expliquée aux Français », Propos recueillis par Raphaëlle Bacqué, Le Monde, 15.09.07. ↩
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Idem. ↩
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« Grèves : la communication de crise de Sarkozy », Les Échos, Véronique Richebois, 29.11.07. ↩
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« Qu’est-ce que la sarkozysme ? » Esprit, Novembre 2007, notamment: Padis Marc-Olivier, « Manipulation ou saturation médiatique ? ». p. 43. ↩
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« L’État d’émotion », éditorial, Le Monde, 22.08.07. ↩
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Le Monde, 27.09.07, « Le PS saisit le CSA sur le temps de parole », Daniel Psenny. ↩