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Dynamiques auctoriales au sein du projet d’édition numérique collaborative de l’ Anthologie grecque

Informations
  • Résumé
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      • Mot-clésFR Auteur 3 articles 1 dossier,  
        3 articles 1 dossier,  
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        3 articles
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        Mot-clésFR Éditeur 1 article
        1 article
        Mot-clésFR Auteur 16 articles 1 dossier,  
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      Texte

      L’image ci-dessous est une numérisation de la page 207 du Codex Palatinus Heidelbergensis 23, réalisée par la Bibliothèque Palatine de Heidelberg1. Ce manuscrit est le témoin principal nous transmettant l’Anthologie palatine (AP ci-après). Sur cette image, nous observons, dans un premier temps, du texte (manuscrit) en grec ancien ; un œil paléographe y distingue trois mains différentes. Ensuite, le regard se déplace en bas de la page, où une sorte de « tatouage numérique » indique les crédits de la bibliothèque et l’URL où l’image est hébergée et où sont fournies des métadonnées, annotations, etc.

      Heidelberg, Universitätsbibliothek, Codex palatinus graecus 23, p. 207.

      Ce folio présente la fin du sixième livre de l’AP, consacré aux épigrammes votives. Plus exactement, il comprend la seconde moitié de l’épigramme 356 jusqu’au poème 358. Au milieu de la page se trouve un commentaire, suivi par le début du septième livre, dédié aux épigrammes funéraires et aux épitaphes. Il s’agit de la première épigramme et de la moitié de la deuxième. Cette page présente les poèmes de cinq épigrammatistes2 et a été copiée par trois scribes : le scribe A, le lemmatiste L, et le correcteur C (Stadtmüller 1894/1906 ; Waltz et al. 1929/2011). Si ces fleurs3 de la poésie grecque sont regroupées sur une même page, c’est parce qu’elles sont arrivées aux oreilles (ou à la vue) d’un des scribes de notre manuscrit qui a alors fait le choix de les copier au sein de ce manuscrit. Un lemmatiste a ajouté des scholies, plus particulièrement des lemmata, fournissant des informations sur l’auteur·e ou le contenu des épigrammes. Enfin, un correcteur a apporté des modifications au manuscrit, ajoutant ou supprimant des passages – parfois à tort. La page témoigne ainsi d’une première forme de collaboration culturelle à travers les manipulations et transmissions successives, depuis le Xe siècle, avec l’intervention des lemmatistes et des correcteurs, jusqu’au XXIe siècle, marquée par l’apposition du tatouage numérique sur la numérisation.

      À l’image de cette page, notre propos vise à explorer les diverses dynamiques auctoriales4 relatives à ce manuscrit, particulièrement sur la partie contenant l’AP5. Cela inclut les étapes allant de sa compilation, de sa copie, de sa constitution matérielle, à la réalisation de ses différentes éditions, jusqu’à sa réactualisation, dix siècles plus tard, par le projet d’« édition numérique collaborative de l’Anthologie grecque » notamment6 (projet AG dans la suite de cet article). Ce projet est mené depuis 2014 au sein de la Chaire de recherche du Canada sur les Écritures numériques (CRCEN) et porté principalement par Marcello Vitali-Rosati et Elsa Bouchard7.

      Dans cet article – qui se veut surtout être une étude de cas –, nous commencerons par délimiter le corpus et en expliciter les spécificités tout en nous arrêtant sur des moments-clés de son histoire éditoriale que complexifie l’intervention de multiples acteurs. Ensuite, nous retracerons sa remédiation au sein de l’espace numérique. Cela nous permettra d’analyser les effets de cette remédiation et de penser les modèles éditoriaux adaptés aux spécificités d’un tel corpus afin de continuer tout en prolongeant cette entreprise anthologique, entamée il y a plus de deux millénaires. Nous nous arrêterons particulièrement sur le projet d’édition numérique collaborative mené à la CRCEN, en ce qu’il comporte une importante composante participative et semble dès lors tout à propos pour traiter des contributeur·ice·s (dans le sens d’auteur·e·s et d’acteurs) d’une œuvre comme l’Anthologie dans un contexte numérique.

      L’Anthologie multiple

      Il convient d’expliciter la délimitation du corpus analysé, en ce que l’Anthologie grecque se distingue justement de l’Anthologie palatine par une absence de frontières précises.

      L’Anthologie palatine est le nom donné au codex palatinus graecus 23, manuscrit datant du milieu du Xe siècle (circa 940, Constantinople), et principale source nous livrant la littérature épigrammatique grecque. L’œuvre comprend environ 3 700 épigrammes, classées en 15 livres selon le sujet des poèmes (funéraires, satiriques, amoureuses…) (Cameron 1993). Ce manuscrit pourtant ne fut découvert que tardivement, en 1606 par Claude Saumaise. Avant cette découverte, c’est une autre compilation qui circula : l’Anthologie planudéenne, du nom de son auteur et copiste, Planude.

      L’Anthologie planudéenne

      Planude, moine et érudit byzantin (circa 1260 – circa 1310) acheva en 13018 une Anthologie d’épigrammes diverses dont nous possédons le manuscrit autographe9 et qu’il a réalisée à partir de deux manuscrits qui nous sont pour l’essentiel inconnus (Aubreton 2002, XIII:4‑5). Cette Anthologie se compose d’environ 2 400 épigrammes, classées par ordre alphabétique10 en sept catégories. La compilation de Planude fut notamment éditée par Janus Lascaris (1494) avant de paraître aux éditions d’Alde Manuce (1503). Henri Estienne réalisa une édition augmentée d’épigrammes diverses issues de manuscrits florentins (Estienne 1566). Les dénominations Anthologie de Planude ou Appendix planudea font référence aux 392 épigrammes qui ne se trouvent que dans l’Anthologie planudéenne et non dans l’Anthologie palatine (Aubreton 2002, XIII:4).

      L’Anthologie palatine

      L’Anthologie palatine ne fut retrouvée qu’en 1606 par Claude Saumaise, à la Bibliothèque Palatine de Heidelberg. Il a fallu attendre un peu moins de deux siècles pour en obtenir une première édition, preuve de l’embarras des philologues de cette époque devant la complexité de la tâche (Aubreton 1983, 5‑11). La première édition est due à Brunck (1772/1776) qui opéra un classement par auteur·e·s et par ancienneté des épigrammes, tout en comparant les manuscrits de l’Anthologie planudéenne avec des copies de l’Anthologie palatine. À partir des commentaires de l’édition de Brunck, Jacobs rédigea une vaste édition (Jacobs 1794/1814) dont il proposa une réédition quelques années plus tard (1813/1817), suivant l’ordre, cette fois, du manuscrit palatin. Plus tardivement, en 1911, Karl Preisendanz publie une édition phototypique de l’Anthologie palatine augmentée d’une importante préface (Preisendanz 1911).

      L’Anthologie grecque

      La dénomination d’« Anthologie grecque » fait référence à la réunion du manuscrit Palatinus 23 (l’Anthologie palatine) et de l’appendix planudea (ou Anthologie de planude). En effet, alors que pendant longtemps l’Anthologie palatine et celle de Planude connurent une tradition éditoriale propre, ces deux compilations furent regroupées par Dübner et Cougny (1864/1890) : cette édition possède une traduction latine des épigrammes, l’Anthologie de Planude sous l’appelation livre XVI, ainsi que d’autres épigrammes anciennes issues des livres et des marbres (ex libris et marmoribus).

      Les éditions modernes – critiques ou non – se multiplient également. Nous ne citerons ici que l’édition critique des Belles Lettres – en 13 volumes –, commencée en 1929 par Pierre Waltz et qui ne fut achevée que 82 ans plus tard (après la mort de l’auteur principal) grâce au concours de près de 14 contributeur·ice·s (éditeur·ice·s, traducteur·ice·s, commentateur·ice·s) (Waltz et al. 1929/2011).

      Les éditions citées jusqu’à présent apparaissent de plus en plus complètes et fournies, traduisant une volonté des éditeur·ice·s de proposer des anthologies toujours plus étendues et englobantes. L’édition de Dübner et Cougny surtout est particulière : plutôt que d’éditer un objet manuscrit (correspondant à des réalités matérielles et tangibles), nous sommes face à un phénomène d’édition traduisant une volonté d’enrichissement d’un corpus qui n’est pas clos, mais semble plutôt voué à se réinventer ; ce phénomène se traduit par une prolongation de l’entreprise anthologique via son enrichissement continu.

      L’Anthologie sur le Web

      À l’issue de cette analyse des différentes formes et donc réalités relatives à l’Anthologie, il est pertinent d’examiner la manière dont ce corpus a été transposé et réactualisé au travers de l’espace numérique, redéfinissant ainsi son accessibilité et sa réception à travers de nouvelles modalités éditoriales.

      Le Thesaurus Linguae Graecae

      Le Thesaurus Linguae Graecae (TLG) est l’une des principales bases de données utilisées dans le cadre de recherches en philologie grecque. Le projet, initié en 1971 à l’Université de Californie à Irvine par Marianne McDonald, tend à rassembler l’ensemble des textes grecs, de l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui. L’originalité de l’entreprise réside dans son ampleur (les frontières du projet se sont d’ailleurs élargies avec le temps) et surtout dans la volonté de traduire ces textes dans un format interprétable par une machine.

      L’Anthologie grecque fait donc son entrée dans le monde numérique par le biais du TLG. Comme l’indique Thibault Clérice dans sa thèse de doctorat, peu d’informations et de sources sont disponibles quant à l’histoire de ces corpus numériques (Clerice 2022, 11‑16). Le site Web du TLG nous indique que des cassettes étaient distribuées sur demande dès 1976 ; difficile toutefois de savoir si l’Anthologie (palatine, planudéenne, ou grecque) faisait partie des données. Le TLG distribua son premier CD-ROM en 1985 (Helgerson 1988) ; celui-ci contenait vraisemblablement le corpus de l’Anthologie grecque, comme le prouvent quelques indications au sujet de l’Anthologie contenues dans l’ouvrage accompagnant le CD-ROM (Berkowitz, Squitier, et Johnson 1986).

      En avril 2001, le TLG acquiert une infrastructure Web, offrant aux utilisateur·ice·s un accès direct aux ressources textuelles et bibliographiques ainsi qu’aux outils de recherche (le site demeure payant, mais une version abrégée gratuite a été ajoutée). L’édition choisie pour l’Anthologie grecque est celle de Beckby (1965/1967), à laquelle s’ajoute l’« Anthologiae Graecae Appendix », correspondant au troisième volume de l’édition de Cougny (Dübner et Cougny 1864/1890) dont il a été question plus haut11.

      L’entrée de l’Anthologie grecque dans l’espace numérique pose des questions tant pratiques qu’épistémologiques. L’équipe du TLG mentionne par exemple dans l’introduction du Canon of Greek Authors and Works que l’Anthologie grecque est considérée dans leur canon comme étant le résultat d’un ensemble d’œuvres indépendantes (les épigrammes) (Berkowitz, Squitier, et Johnson 1986). Toutefois, si le corpus apparaît effectivement structuré en livres, épigrammes, lignes, il est arbitrairement attribué à l’auteur Anthologia Graeca (7000) – ce qui peut considérablement compromettre les potentielles recherches au sein de l’œuvre. Cette particularité découle d’une infrastructure de données plus large et inadaptée aux spécificités des corpus sortant des carcans stricts imposés par les choix éditoriaux faits en amonts et qui dictent la structuration informatique des données.

      The Perseus Digital Library

      Le projet Perseus se développe officiellement à partir de l’hiver 1990. Afin de compléter l’entreprise amorcée plus tôt par le TLG, l’équipe de Perseus relève des textes grecs, leurs traductions dans certains cas (en langue anglaise essentiellement) mais aussi des images et données archéologiques. Les membres de l’équipe mettent à disposition du grand public des outils visant à améliorer l’environnement de travail numérique pour le grec ancien, via notamment l’implémentation d’outils pour la lemmatisation ou l’annotation morpologique (Mylonas et al. 1993, 134‑35). Le projet était initialement distribué sur des disques compacts, mais ils furent parmi les premiers à opérer cette transition du CD-ROM à internet, dès 1995 (Crane 1996).

      Le projet n’a de cesse d’évoluer et de se mettre à jour, étendant son corpus au latin puis à l’arabe notamment. Il semblerait que l’Anthologie grecque ait fait son apparition plutôt tardivement, vers 2010 (Crane 2010).

      L’entrée du corpus anthologique sur le site de la Perseus Digital Library est justifiée par Gregory Crane d’abord par l’importance de l’œuvre mais aussi par le défi technique posé par le corpus – que Crane compare à celui d’auteur·e·s fragmentaires (à ce sujet, voir notamment Berkowitz, Squitier, et Johnson 1986 ; Berti, Romanello, Babeu, et al. 2009 ; Berti, Romanello, Boschetti, et al. 2009) :

      Readers are often less interested in books and pages and want instead to find all works attributed to a particular author, whether these are prose speeches or epigrams scattered throughout a larger collection. The Digital Greek Anthology illustrates how such a work can be structured. (Crane 2010)

      C’est l’édition Loeb qui est utilisée (Paton 1916/1918), comme c’est le cas pour la majorité des textes grecs présents sur le site. Il est néanmoins précisé que les attributions aux auteur·e·s se fait plutôt – généralement – en suivant l’édition de Beckby (soit, l’édition qu’utilise le TLG) (Crane 2010). Le choix de l’édition découle d’une contrainte pratique, à savoir le respect des droits d’auteurs. En effet, le projet était initialement développé à l’université de Harvard, dont les presses universitaires ont permis l’utilisation des collections Loeb Classical Library (Mylonas et al. 1993, 137). Ce phénomène nous permet de considérer l’autorité sous un angle juridique ; nous reviendrons sur cette questions dans la suite de l’article.

      La Perseus Digital Library structure donc l’Anthologie grecque à partir, d’abord, des cinq volumes de l’édition Loeb dans sa première édition. Les volumes sont ensuite structurés par book puis par chapter, où chaque épigramme est considérée comme un chapitre. L’auteur·e à qui l’épigramme est attribuée se trouve en haut de chaque poème ; un lien cliquable nous emmène vers le sens du mot dans le dictionnaire. Pour trouver l’identifiant de l’auteur·e, et, par là, ses autres œuvres, il faut – semble-t-il – consulter le fichier XML fourni sous l’épigramme.

      La plateforme Anthologia Graeca : « pour une édition numérique collaborative de l’Anthologie grecque »

      Le projet porté par la CRCEN découle d’un besoin d’indexation et d’accessibilité pour l’Anthologie grecque, besoins que ni le TLG ni Perseus ne peuvent satisfaire entièrement. En effet, ces plateformes poursuivent des objectifs plus vastes et leur modèle doit s’adapter à l’ensemble de la littérature classique. En revanche, le modèle éditorial du projet d’édition numérique collaborative de la CRCEN a été pensé pour l’Anthologie (palatine d’abord, grecque ensuite (Vitali-Rosati et al. 2021)). Il peut dès lors prendre en compte toutes ses subtilités.

      Le genre anthologique se conçoit comme un recueil de textes, en prose ou en vers, réunis autour d’une caractéristique (thème, genre, style, auteur·e, etc.) ; l’Anthologie grecque déroge quelque peu à cette règle et défie la notion d’unité éditoriale par son hétérogénéité pluridimensionnelle12. En réponse à cette particularité, la CRCEN a mis au point, dans le cadre du projet AG, une plateforme13 s’appuyant sur une base de données relationnelle structurée autour d’entités textuelles abstraites, assimilées à des fragments. Chaque épigramme est considérée comme une entité abstraite, associée à plusieurs versions textuelles (en grec, diverses traductions originales ou issues d’éditions critiques, et en différentes langues), à des métadonnées (auteur·e, époque, mots-clés) liées au moins à Wikidata, des alignements, à des références internes et externes, ainsi qu’à des scholies, liées à l’épigramme et enrichies de nouvelles informations. Le projet entend en outre mobiliser d’autres plateformes, comme celles ayant contribué à la numérisation de l’Anthologie ou, plus largement, aux outils de promotion des digital classics.

      C’est le cas par exemple du site Web de la bibliothèque Palatine de Heidelberg qui numérisa la première et plus grande partie du manuscrit et la rendit accesible dès 2009 et à partir de laquelle les images du manuscrit sont récupérées pour chaque épigramme via le protocole IIIF. La plateforme de la CRCEN a récupéré le texte grec de l’édition de Paton hébergé sur Perseus. En outre, sur la plateforme, les auteur·e·s des épigrammes sont lié·e·s à leur identifiant Wikidata et TLG ; les villes sont liées à leur identifiant Pleiades (Weiland 2021)14.

      La plateforme Anthologia Graeca n’est pas une édition critique. En effet, dans cette démarche éditoriale, l’idée de vérité du texte, centrale dans l’approche critique classique, n’est pas un objectif. Au contraire, le projet met en avant la pluralité des perceptions du matériel textuel. Pour ce faire, nous tenons à rendre compte de l’imaginaire anthologique, soit de « la place que les textes anthologiques, dans toutes leurs manifestations, ont eue et continuent à avoir dans l’imaginaire collectif » (Mellet 2020). Il s’agit donc d’un modèle éditorial et épistémologique repensé pour éditer au mieux un corpus aussi hétérogène que l’Anthologie qui, dès sa création, est née d’un effort collaboratif.

      L’Anthologie en partage

      L’imaginaire anthologique : réception, versions, modélisation

      Revenons un instant sur l’importance de la résonance de l’Anthologie grecque dans les imaginaires collectifs. Ce monument de la littérature grecque, pour reprendre une expression de Margot Mellet (2020), a su transcender les époques et s’inscrire dans le patrimoine littéraire occidental. De nombreux exemples attestent son impact et sa capacité à inspirer toutes les époques (voir notamment Vitali-Rosati et al. 2021). Parmi ces exemples, nous nous limiterons ici à l’épigramme XI.237, mise en lumière par diverses traductions et adaptations, qui illustrent bien la réception variée du texte à travers les siècles. Dans une traduction issue des Belles Lettres, nous lisons :

      Une méchante vipère mordit un jour un homme de Cappadoce. Mais, pour avoir goûté de ce sang empoisonné, ce fut elle qui mourut!
      (Aubreton 1972)

      La traduction d’Aubreton traduit fidèlement l’épigramme originale, mettant en avant un travail philologique rigoureux où priment l’exactitude et l’assurance d’un texte autant conforme à l’original que possible. Marguerite Yourcenar, dans La couronne et la lyre, façonne sa propre anthologie de la littérature grecque, certains des poèmes étant issus de l’AP. Ses intentions sont limpides : « tout choix de poèmes est d’abord esthétique, et doit l’être » (Yourcenar 1979, 13). Elle a opté, dans sa traduction, pour une approche plus poétique :

      Un Cappadocien, par un orvet rampant
      Fut mordu, mais son sang fit périr le serpent.
      (Yourcenar 1979, 148)

      Ici, Yourcenar privilégie la poésie et l’esthétique littéraire tout en démontrant que la traduction peut être à la fois fidèle et créative. Le poème a également inspiré Voltaire, qui, s’appropriant le motif, en fit une adaptation originale :

      L’autre jour, au fond d’un vallon
      Un serpent mordit Jean Fréron
      Que pensez-vous qu’il arriva ?
      Ce fut le serpent qui creva !
      (Voltaire 1823, 5:205‑6)

      Voltaire réinterprète ici le texte à travers une réécriture plus mordante, insistant sur cette argutia, ce trait piquant final qui finira par caractériser le genre épigrammatique (Catellani 2015, 372). Yourcenar déjà critiquait cette réappropriation : « Il est des cas où l’imitation libre l’emporte de beaucoup sur la traduction dite fidèle, et fait oublier l’original lui-même » (Yourcenar 1979, 148).

      Ces trois versions de l’épigramme illustrent trois formes de réception du poème de Démodocos de Léros, un poète supposément actif au VIe siècle av. J.-C. L’édition d’Aubreton se concentre sur l’exactitude philologique, Yourcenar s’applique à en extraire la beauté poétique, et Voltaire exploite le motif littéraire pour en faire une réécriture satirique. Ces divers traitements mettent en évidence comment le texte de l’Anthologie évolue et est reçu, par le biais de ses topoï et motifs culturels, par ses réinterprétations aussi – Yourcenar n’a pas seulement lu Démodocos, elle a aussi lu Voltaire –, lui permettant de s’incarner en tant que corpus ouvert.

      Afin de permettre au projet AG d’englober l’Anthologie dans toute cette richesse, il était nécessaire de penser un modèle éditorial numérique – stable et pérenne – propre aux spécificités du corpus et au modèle anthologique : le corpus de l’Anthologie grecque est donc ouvert15, mouvant, hétérogène, et résonne avec nos imaginaires actuels. Il se trouve que le Web répond particulièrement bien à ces particularités. Milad Doueihi soulignait d’ailleurs que la culture numérique, par les caractéristiques de structuration et par la circulation des contenus sur le Web, était analogue à une structure anthologique (Doueihi 2011). En effet, le Web, tout en étant exhaustif mais ouvert, s’apparente à la littérature fragmentaire, et où « les textes circulent sans contexte, il sont repris, coupés, collés, retravaillés, multipliés » (Vitali-Rosati 2017).

      Comme le matériel anthologique, le projet AG, initié à la CRCEN en 2014, a considérablement évolué. La plateforme a connu une évolution significative tant sur le plan technique – passant d’un site Web simple généré avec le système de gestion de contenu SPIP à une plateforme plus complexe, dotée d’une API – qu’herméneutique, en parallèle avec les réflexions et les connaissances de l’équipe derrière le projet. Initialement intitulé « pour une édition numérique collaborative de l’Anthologie palatine », le projet s’est progressivement étendu à l’ensemble du corpus anthologique, visant à « anthologiser l’Anthologie » dans une optique de continuité, à l’instar de ce qu’ont fait Dubner et Cougny (1864/1890). Cette évolution (explicitée dans un article collectif -(Vitali-Rosati et al. 2021)) a été rendue possible par la modularité de l’environnement numérique, qui permet de redéfinir et d’adapter le modèle aux besoins du projet, ainsi que par le principe d’écriture collaborative et de mise en réseau, légitimant une pluralité de perceptions du matériel anthologique (Vitali-Rosati et al. 2020).

      Des acteurs à l’œuvre

      L’Anthologie grecque et ce qu’elle représente, du Palatinus 23 – lui-même résultat de diverses compilations – à ses éditions, traductions, réactualisations, s’est construite grâce à d’innombrables contributeurs et contributrices aux rôles variés. C’est ce que nous étudierons dans la suite de cet article et que nous appelons dynamiques auctoriales. Cette notion, telle que nous l’entendons et l’explorons ici, n’interroge pas la place, le rôle de l’auteur à la manière d’une théorie de la littérature établie, issue des traditions d’un Foucault ou d’un Barthes. Notre principale hypothèse est que l’ensemble des dynamiques auctoriales qui co-construisent l’AP doivent être appréhendées à travers la matérialité de l’œuvre. Notre approche s’ancre dès lors sur la base tangible de la matérialité de l’écrit, du support, et de l’œuvre telle qu’elle nous est parvenue, puis sur ses différentes réactualisations (premières éditions, éditions critiques, projets d’édition numérique) et traductions, liées ou non à des éditions. Il ne s’agit pas tant de s’intéresser à un·e auteur·e (ce qui n’aurait de toute façon pas de sens au vu de notre corpus), mais plutôt aux divers acteurs impliqués dans la constitution de l’œuvre au sens large. Ce point de vue est particulièrement pertinent lorsque le matériel en question n’est pas uniforme ; notre objet d’étude pouvant s’apparenter à un ensemble conséquent de fragments (Berti, Romanello, Babeu, et al. 2009 ; Berti, Romanello, Boschetti, et al. 2009). Les dynamiques auctoriales incluent les différent·e·s actant·e·s qui interviennent dans l’œuvre, et ce, au fil de ses diverses matérialités.

      Ici, les dynamiques sont les « mouvement[s] interne[s] qui anime[nt] et f[ont] évoluer (quelque chose) », selon le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales. Ce mot est dérivé, via l’adjectif δυναμικός, du substantif δύναμις, « la force ». Le dialecte attique emploie le mot en référence à la « puissance politique », ou, lorsqu’il est au pluriel, des « forces militaires » (Chantraine 1999, 301). L’AP est le fruit de dynamiques, qui résultent elles-mêmes de diverses forces en présences. Quant à l’adjectif auctorial, nous faisons référence au sens premier du mot, issu donc du verbe latin augeo, « faire croître, augmenter, amplifier » ; l’auctor fait référence à celui qui crée, qui engendre, qui fait pousser quelque chose – et qui, par là, la possède, y exerce une auctoritas (Ernoud et Meillet 1951, 100, 102). On pourrait parler de la figure des auteur·e·s, de la figure des copistes, de la figure des éditeur·ice·s ; or ces acteurs, en agissant directement sur l’œuvre, y exercent une autorité dans la mesure où ils contribuent à sa création ; ils ont une responsabilité dans le cadre de la rédaction et de la mise au jour de l’œuvre. Toutes ces figures considérées ensemble constituent ce que nous appelons les dynamiques auctoriales.

      Déjà à l’heure de la copie du manuscrit au Xe siècle, une strate de contributeurs multiples se construit. Ce phénomène est amplifié par les éditions critiques du recueil et prolongé lors de l’insertion du corpus sur les supports numériques. En effet, dans le cadre d’une édition numérique, un travail de modélisation – soit la conception d’un modèle de données – implique une réflexion épistémologique sur l’objet édité. Ce travail de modélisation peut s’avérer problématique et, on le verra dans certains cas, restrictive. La modélisation n’est pas neutre : les notions d’auteur·e de l’épigramme, de copiste, de lemmatiste, de correcteur·ice, d’éditeur·ice – du point de vue moderne – puis d’éditeur·ice d’une seule épigramme sur le Web, s’entrecroisent et doivent être distinguées. Dès lors, le corpus de l’Anthologie16, dans ses diverses acceptions et matérialisations (comprenant les différents supports de diffusion), offre un cas d’étude riche permettant de mettre en lumière les figures et dynamiques auctoriales en présence, d’identifier leurs rôles, et de rendre compte de ce qui peut émerger de ces multiplications stratifiées d’auteur·e·s.

      Avant d’aller plus loin, il nous faut définir brièvement les différents termes cités jusqu’à présent en guise d’exemple.

      Auteur·e·s (de l’épigramme). Les poèmes faisant partie de ces anthologies sont bien le fruit de quelqu’un. Chaque poème a été écrit par un·e auteur·e, que l’on connaît parfois, avec plus ou moins de certitude. En outre, un lemmatiste a souvent ajouté dans les marges du Codex Palatinus 23 l’attribution de ce poème (avec, ça et là, des confusions).

      Compilateur·ice. Mettre au jour une Anthologie, c’est compiler des œuvres, opérer des choix, un classement, mettre ensemble des éléments choisis. L’Anthologie telle que nous la connaissons a bien évolué depuis la Couronne de Méléagre. Le poète de Gadara, auteur lui-même d’épigrammes, réalisa vers 100 av. J.-C. une première anthologie, attribuant une fleur à chaque poète cité·e. L’Anthologie palatine est issue de l’Anthologie de Constantin Céphalas, un érudit byzantin ayant vécu au Xe siècle.

      Mains (copistes, lemmatistes, correcteurs). Ces termes ont été rapidement évoqués au début de cet article. Le Palatinus 23, le Marcianus 481, les manuscrits des sylloges mineures, sont le fruit d’un travail manuel : celui de copier, d’inscrire un texte sur un support – en l’occurence, du parchemin. Nous n’entrerons pas dans les questions paléographiques du manuscrit palatin : l’identification des mains n’est toujours pas tout à fait réglée et les érudits ne s’accordent pas tous sur les noms à leur donner ou le nombre exact de mains. Grossièrement, la copie a été réalisée par 3 (ou 4) scribes. Un lemmatiste, J (ou L, selon les traditions), a annoté le manuscrit dans son entièreté et ajouta des lemmes en marges17. Dans un second temps, un correcteur apporta des corrections à la première moitié du recueil (jusqu’à la page 452), sur base d’un autre manuscrit18.

      En ce qui concerne l’Anthologie palatine, la figure du scribe dépasse celle austère qui habite nos imaginaires collectifs. En effet, déjà Cameron notait une implication particulière de ceux-ci par rapport au texte : « Those who produced the manuscript–B, B2, B3, A, and J as they have been known since Preisendanz–are held to be more its compilers than its copyists. » (Cameron 1993, 98). Le cas du Marcianus 481 – principal manuscrit de l’Anthologie planudéenne – est lui aussi particulier, en ce qu’il s’agit d’un autographe du moine byzantin ; celui-ci rédigea sa version de l’Anthologie, en réarrangeant sans doute l’ordre des manuscrits qui lui servaient de modèle et en censurant bon nombre d’épigrammes.

      Dans le cadre de l’Anthologie, les rôles de copiste et de compilateur se confondent. En effet, réaliser une anthologie demande de se réapproprier la matière d’un prédécesseur. L’originalité de ces acteurs est visible concrètement dans la réorganisation (d’alphabétique à thématique notamment) et l’ajout (ou la censure) de poèmes, par exemple. L’anthologiste, par les choix de collation, par l’organisation et le choix des poèmes, est déjà dans une démarche qui peut être qualifiée de créative. Sur cette démarche néanmoins se greffe un véritable souci de transmission. Ce qui se trouve dans l’Anthologie, c’est ce que l’on désire transmettre à la postérité (ce dont on la prive, comme a pu le faire Planude, est ce que l’on juge qu’il ne faut pas transmettre).

      Éditeur·ice·s et traducteur·ice·s. Les éditeur·ice·s(-traducteur·ice·s) de l’Anthologie ont participé à la création d’une tradition philologique et d’un imaginaire collectif quant à ce corpus. Parmi les plus notables, l’édition phototypique de Preisendanz (1911) permit aux érudits du XXe siècle d’accéder au manuscrit. Comment calculer l’impact de l’édition de Dübner et Cougny (1864/1890), ensuite, qui les premiers élargissent le corpus de l’AP avec l’Anthologie de Planude mais aussi d’autres traditions épigrammatiques ex libris et marmoribus ? Rappelons que ce sont eux qui ont transformé l’appendix planudea en un XVIe livre de l’Anthologie palatine – appellation qui a été reprise par de nombreux éditeurs successifs.

      Dans leurs éditions (critiques), la plupart des premiers éditeurs ont traduit les épigrammes, traductions qui ont elles aussi joué un rôle important dans la réception de l’épigrammatique. Encore une fois, nous ne pouvons faire l’étalage de tous les érudits qui se sont attelés à cette tâche ; pensons simplement à la première édition de Paton (1916/1918), où les épigrammes érotiques n’étaient pas traduites en anglais, comme les autres poèmes, mais en latin.

      Nous ne pouvons aborder tou·te·s les contributeur·ice·s ayant posé un acte sur le corpus et ayant, par là, influencé sa création ou sa réception. Néanmoins, nous prenons conscience que ces acteurs ne sont pas neutres, et que l’œuvre est le fruit de ces dynamiques, de cette somme de contributions.

      Des co-constructions éditoriales en dialogue : le cas de la plateforme Anthologia Graeca

      Tout comme le corpus de l’Anthologie grecque, la plateforme Anthologia Graeca est le résultat de co-constructions éditoriales. En effet, l’Anthologie grecque s’est construite sur le temps long, à partir d’anthologies précédentes. La première dont nous connaissons l’existence est la Couronne de Méléagre, datant du Ier siècle av. J.-C. Ce dernier a regroupé, en suivant le modèle d’une guirlande de fleurs, les plus belles épigrammes de la poésie grecque. Son entreprise a été reprise et augmentée continuellement : notons par exemple la Couronne de Philippe (Ier siècle apr. J.-C.), de Diogénien (IIe siècle apr. J.-C.), le Cycle d’Agathias (au VIe siècle apr. J.-C.) ou encore l’Anthologie de Constantin Céphalas (Xe siècle apr. J.-C.) (Cameron 1993 ; Gutzwiller 1997, 1998). Ainsi, l’espace anthologique fut pour les compilateurs successifs un espace de liberté et d’expression ; Méléagre par exemple ajouta dans son œuvre nombreux poèmes écrits de sa main. Quelques dix siècles plus tard, les scholiastes de l’Anthologie palatine utilisèrent parfois les marges du manuscrit pour y ajouter des commentaires ou observations personnelles19 (Vitali-Rosati et al. 2021). Le corpus sur lequel la CRCEN mène son projet d’édition numérique collaborative est donc le résultat d’une co-construction auctoriale et éditoriale stratifiée.

      Le projet d’édition numérique collaborative lui-même est à son tour une co-construction éditoriale. En effet, son importante composante collaborative représente un prolongement de cette réalisation en strates du corpus. Les éditeur·ice·s du projet sont multiples : plusieurs étudiant·e·s de maîtrise et de doctorat sont employé·e·s (rémunéré·e·s dans le cadre de contrats d’auxiliariat) par la CRCEN pour l’édition de la plateforme ; des élèves italien·ne·s du Liceo classico Cagnazzi (Altamurra, Bari) sous la direction de la professeure Annalisa Divincenzo ont réalisé plusieurs projets de traduction et d’indexation (ajout de mots-clés) dans le cadre de stages, obligatoires dans leur formation ; des étudiant·e·s de l’Università degli Studi di Napoli (Federico II) ont également participé à l’enrichissement de la plateforme sous la supervision de la professeure Serena Cannavale dans le cadre du cours d’informatique appliquée aux langues et lettres classiques. Ce rassemblement de textes, de traductions, d’éditions – anciennes, modernes, inédites et en langues multiples –, de mots-clés et de références externes traduit la pluralité et la potentialité des réceptions de l’univers anthologique. Le Web est utilisé afin d’offrir un espace à des contributeur·ice·s modernes qui se placent en collectif afin de prolonger une œuvre antique (ainsi que les legs de ses multiples auteur·e·s). Le refus d’une hiérarchisation des contenus – qui est visible dans le projet au sein même du modèle éditorial (tant d’un point de vue technique qu’épistémologique) – implique une redéfinition des dynamiques auctoriales en présence.

      Le projet de la CRCEN est une illustration de ce que montre Marta Severo dans son ouvrage sur l’impératif participatif (Severo 2021) : par le processus de plateforme contributive culturelle – concept dans lequel s’inscrit la plateforme Anthologia Graeca –, le modèle classique de production des connaissances est progressivement abandonné au profit d’un renouveau, où le public au sens large est au centre. Repensons aux scribes du manuscrit ; leur objectif était de produire un manuscrit, mais aussi de transmettre un ensemble de poèmes – de trésors grecs, à leurs contemporains et à la postérité. Dans ce nouveau paradigme, les publics à qui s’adresse la transmission de ces connaissances sont inclus dans son processus de création.

      Entre dynamiques auctoriales et autorité de la matérialité

      Les dynamiques auctoriales qui ont lieu au sein de et sur l’Anthologie nous permettent de nous interroger sur la manière dont la matérialité façonne l’autorité.

      Le manuscrit d’abord, ce support ancien, bénéficie d’une aura particulière qui se renforce au fil du temps : l’autorité, c’est l’écrit transmis par l’artefact ancien, original par excellence. Cela se voit d’ailleurs lors du passage à l’imprimé. En effet, la mise en page choisie par la plupart des éditions modernes fait primer l’auteur·e de chacune des épigrammes ; fruit des lemmatistes ayant agi sur les manuscrits. Le lemmatiste, presque plus que le copiste, véhicule donc une notion d’autorité en ce que les titres et les attributions qu’il a décidé de donner au sujet d’une épigramme sont aujourd’hui repris et mis en évidence sur le format page des éditions papiers. La glose du manuscrit fait autorité sur le papier de l’imprimé, même si ces mains attribuent des poèmes à des épigrammatistes ayant vécu parfois dix siècles avant eux. Notons par ailleurs que cette autorité de l’auteur·e d’une épigramme, telle que nous l’entendons, est anachronique – la notion d’auteur ayant émergé essentiellement entre le XVIIe et le XIXe siècle (Rose 1995). Le concept d’attribution serait sans doute plus juste que celui d’autorité, d’auctorialité ou encore de propriété.

      De la notion d’autorité au sein de l’édition, nous pouvons également remarquer l’autorité de l’édition dans son ensemble, d’où émerge le statut juridique d’un·e auteur·e-éditeur·ice. Ce phénomène enferme parfois le texte dans des éditions dépassées, datant du début du XXe siècle – c’est le cas, notamment, des textes qu’a repris la Perseus Digital Library pour son canon. Ici, une nouvelle conception de l’autorité émerge, cette fois sous un angle juridique. Le choix de l’édition de Paton met en lumière une dynamique particulière entre l’autorité juridique et la conception traditionnelle de l’auteur-éditeur. Paton contribue à l’actualisation et à la diffusion de l’Anthologie grecque grâce à son édition et traduction. Dans le contexte numérique, et notamment dans le cadre du modèle éditorial de Perseus – un projet libre et open source – l’autorité ne repose plus exclusivement sur la qualité académique d’un ouvrage, mais également sur des considérations juridiques liées aux droits d’auteur et à l’accessibilité des œuvres.

      En revanche, dans l’environnement numérique, l’autorité se déplace vers des éléments tels que le schéma, le format, la plateforme ou encore le protocole. L’espace Web, avec son caractère anthologique ainsi que le modèle éditorial – modulable mais stable –, nous permet, dans le cadre du projet AG, de rendre compte de plusieurs éléments et de retracer tout en enrichissant ces différentes strates d’auctorialité. Reprenons l’exemple de l’épigramme XI.237. La page du poème contient l’image correspondante dans le manuscrit palatin20. Ensuite, il y a différents textes : le texte grec est sur le même niveau que les traductions, ces textes étant considérés comme des versions de l’entité abstraite « épigramme XI.237 ». L’épigramme est ensuite liée à un·e ou plusieurs « auteur·e(s) » : il s’agit dans ce cas de Démodocos. Grâce au schéma éditorial, nous pouvons rapidement retrouver toutes les épigrammes (vraisemblablemet) composées par Démodocos. De plus, le mot-clé est lié à la page Wikidata – autre plateforme dont il aurait été intéressant de questionner l’autorité comme étant la somme d’un collectif – du personnage, nous permettant de récupérer notamment ses noms en différentes langues21. Une autre catégorie de mots-clés est intéressante : la page a été validée par « Luiz ». Cela indique qu’un·e éditeur·ice a pris la peine de relire la page et d’ajouter le mot-clé « validation », indiquant qu’un minimum de données est bien présent. Si nous retournons à la page principale de l’épigramme, une référence externe permet au lecteur ou à la lectrice d’aller consulter une édition de la reprise de Voltaire, et deux commentaires ajoutent des informations complémentaires ou supplémentaires à la page. Enfin, l’utilisateur·ice a accès à l’historique des modifications qui ont eu lieu sur la page en question : les actions qui sont posées sur la plateforme sont donc reliées au pseudonyme d’un·e éditeur·ice.

      Dans cette analyse, l’auteur·e est compris·e dans sa définition la plus simple, comme personne qui est à l’origine de quelque chose. Dès lors, quiconque ayant participé à l’élaboration du corpus de l’Anthologie grecque mériterait de figurer parmi ses auteur·e·s. La posture auctoriale moderne est toutefois loin d’être comparable avec son acception antique (Clivaz 2011). Poser la question de la place de l’auteur·e implique une prise en compte du contexte auctorial, du rôle des institutions en présence, et de la place occupée par le support de diffusion ; les formes d’autorité et d’auctorialité émergeant d’un support plutôt que d’un contenu. Mark Rose, dans son ouvrage Authors and owners (1995) a montré que la notion d’auteur naît de la forme de circulation des textes et notamment dès le XVIIIe siècle du modèle économique basé sur sur le copyright : Balzac est un auteur, parce que ses écrits sortent sous presses et circulent dans un contexte socio-économique, culturel, politique, du XIXe siècle. Dès lors que l’on sort de cette forme roman du XIXe siècle, les figures auctoriales, la notion d’auteur est autre et doit être qualifiée autrement : il s’agirait plutôt de figures d’énonciation et d’autorité. L’émergence et la diffusion du corpus anthologique, en fonction des supports sur lesquels il est véhiculé, font émerger une pluralité de figures auctoriales.

      Conclusion

      Si les compilations de l’Anthologie sont multiples et viennent complexifier son histoire génétique, elles résultent de choix propres aux compilateur·ice·s, parfois accordé·e·s aux modes et mœurs de leurs époques. Maxime Planude par exemple écarta de son anthologie plusieurs épigrammes, notamment les épigrammes pédérastiques qui occupent le livre XII de l’Anthologie palatine. Les premières éditions critiques Loeb préférèrent traduire en latin plutôt qu’en anglais certaines pièces trop obscènes. L’Anthologie palatine fait office de source principale, mais l’Anthologie grecque est une œuvre hétérogène et multiple, traduisant des reprises, remaniements, ajouts ou pertes par les compilateurs durant plus de seize siècles. Ce corpus permet à celles et ceux qui l’étudient d’ajouter à la somme des versions de l’Anthologie, de continuer à faire des choix, de tenter une exhaustivité – inatteignable par nature.

      Si le but du projet d’édition numérique collaborative de l’Anthologie grecque est de rendre compte de l’esprit anthologique et de le poursuivre, il nous faut bien entendu rendre compte de cette multiplication des dynamiques auctoriales qui y ont lieu. Le concept d’« auteur » stabilisé XVIIIe et XIXe siècle est plus loin de l’auteur·e numérique que le manuscrit palatin du Xe siècle. En effet, le medium numérique permet de faire ressortir les idées d’auteur·e·s multiples, qui, comme le montre le manucrit palatin, étaient antérieures à l’institution de figures auctoriales uniques. 

      La plateforme du projet AG correspond à ce que Marta Severo appelle une plateforme contributive, soit un environnement multiespace, où « les caractéristiques des espaces ne sont pas toujours définies au moment de la conception, mais sont souvent le résultat des médiations et des usages » (Severo 2021, 89).

      L’Anthologie aujourd’hui peut être vue comme la somme de tous les acteurs qui y ont contribué. Là encore, l’ouvrage de Marta Severo est éclairant, notamment lorsqu’elle engage le profil de l’amateur comme médiateur, et pour qui l’objet de la médiation n’est pas simplement l’œuvre d’art, mais la médiation elle-même. Afin d’étudier cette médiation, il nous était nécessaire de nous plonger dans l’analyse non seulement des interactions entre les acteurs, mais aussi de tou·te·s les autres médiateur·ice·s concerné·e·s (Severo 2021, 58; Hennion 2013).

      L’Anthologie est le résultat de ses dynamiques auctoriales, où chaque figure a joué un rôle, avec son propre statut et autorité, sur un support particulier. De l’auteur·e épigrammatiste antique qui a effectivement pensé une épigramme, à l’auteur·e comme compilateur·ice ayant apporté ses modifications sur le contenu du corpus ; de l’auteur·e comme commentateur·ice (soit, le scribe ou scholiaste, apportant commentaires et remarques personnelles au fil du parchemin copié) à l’auteur·e éditeur·ice, traducteur·ice, commentateur·ice moderne (au sens large : entre 1494 et le troisième millénaire) ; et puis finalement l’auteur·e comme contributeur·ice, soit les étudiant·e·s de l’Université de Montréal ou autres partenaires qui éditent et enrichissent une version de l’Anthologie (en l’occurence, la plateforme du projet AG) et poursuivent par là l’aventure anthologique ; tou·te·s ces actant·e·s ont joué un rôle sur l’Anthologie grecque d’aujourd’hui. Le rôle et le poids surtout de ces différents actant·e·s sont conditionnés par l’époque et la matière sur laquelle ils et elles travaillent. Celle-ci, loin d’être neutre, impose ainsi sa propre forme d’autorité, influençant directement les formes d’auctorialité qui en émergent.

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      Vitali-Rosati, Marcello, Margot Mellet, Servanne Monjour, Antoine Fauchié, Timothée Guicherd, David Larlet, et Enrico Agostini-Marchese. 2021. « L’épopée numérique de l’Anthologie grecque : entre questions épistémologiques, modèles techniques et dynamiques collaboratives ». Sens public, juillet. Département des littératures de langue française.
      Vitali-Rosati, Marcello, Servanne Monjour, Joana Casenave, Elsa Bouchard, et Margot Mellet. 2020. « Editorializing the Greek Anthology: The Palatin Manuscript as a Collective Imaginary ». Digital Humanities Quarterly 014 (1).
      Voltaire. 1823. Poésies mélées. Vol. 5. Paris: Jules Didot.
      Waltz, Pierre, Jean Irigoin, Pierre Camelot, Alphonse Dain, Edouard Des Places, Alexandre Marie Desrousseaux, Marilena Dumitrescu, et al. 1929/2011. Anthologie grecque. Vol. I–XIII. Budé. Paris: Les Belles Lettres.
      Weiland, Jon. 2021. « Review: Pleiades ». Society for Classical Studies.
      Yourcenar, Marguerite. 1979. La Couronne et la lyre. Anthologie de la poésie grecque ancienne. Poésie/Gallimard. Paris: Gallimard.

      1. La numérisation est consultable à cette adresse : https://doi.org/10.11588/diglit.3449#0515.↩︎

      2. Dans cet exemple, il s’agit respectivement de Pancratès, Théétète, Diotime, Alcée et Antipater de Sidon.↩︎

      3. L’étymologie du mot anthologie fait référence aux fleurs (τὸ ἄνθος) de la poésie grecque, choisies ou cueillies (λέγω) par un compilateur (de Méléagre de Gadara à Constantin Céphalas).↩︎

      4. Nous définirons ce concept plus bas.↩︎

      5. Nous nous limiterons à la partie du manuscrit contenant l’AP, soit les folios 49 à 614 du manuscrit d’Heidelberg, et tous les folios (615 à 709) d’un manuscrit conservé à la BnF, bien que le dernier livre (le livre XV) soit parsemé ci-et-là d’éléments a priori étrangers à l’Anthologie (Buffière 1970, XII:102‑12). Le manuscrit original est en effet désormais scindé en deux, entre les livres XIII et XIV, à la page 614. Les cotes sont les suviantes : Heidelberg, Universitätsbibliothek, Pal. gr. 23 (http://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/cpgraec23) et Paris, BnF, Suppl. gr. 384 (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8470199g/). Sur cette question, cf. notamment Preisendanz (1911), p. II-VII et CXLV-CXLVII ou Beta (2019) pour une version plus romancée.↩︎

      6. La plateforme du projet est disponible à cette adresse : https://anthologiagraeca.org/. Le projet a été documenté à plusieurs reprises (Verstraete et Mellet 2024 ; Vitali-Rosati et al. 2021 ; Vitali-Rosati et al. 2020).↩︎

      7. Au moment de la rédaction de cet article, son auteure est coordinatrice scientifique du projet.↩︎

      8. Cette date est sujette à débat – il pourrait également s’agit de 1299 (Cameron 1993, 76).↩︎

      9. Biblioteca Nazionale Marciana gr. Z. 481 (coll. 0863) (https://www.internetculturale.it/it/16/search/detail?id=oai%3A193.206.197.121%3A18%3AVE0049%3ACSTOR.240.10191).↩︎

      10. Les classements par ordre alphabétiques antiques diffèrent évidemment de nos pratiques ; dans ce cas-ci, les épigrammes étaient regroupées selon la première lettre de chaque poème. À ce sujet, cf. Daly (1967).↩︎

      11. Notons cependant que Dübner ne participa pas à ce troisième volume.↩︎

      12. Cette hétérogénéité est tout d’abord historique puisque ses épigrammes couvrent une période allant du VIe siècle av. J.-C. au Xe siècle apr. J.-C. (Cameron 1993). Elle est également évidente au niveau de la diversité des auteurs et autrices, avec plus d’une centaine de contributeur·ice·s. Nous pouvons finalement parler d’hétérogénéité formelle, étant donné l’évolution de le forme poétique de l’épigramme au sein même de l’Anthologie.↩︎

      13. La plateforme est développée par David Larlet, Sarah Rubio, et Timothée Guicherd, sous la direction de Marcello Vitali-Rosati. Elle a été conçue en utilisant la syntaxe GraphQL et en définissant un schéma en Django (un framework python).↩︎

      14. Pleiades est accessible à ce lien : http://pleiades.stoa.org/. Il s’agit d’un répertoire en ligne collaboratif qui recense et cartographie les lieux anciens – principalement du monde grec et romain – offrant un accès ouvert à un vaste ensemble de données géospatiales sur l’Antiquité.↩︎

      15. Nous l’avons évoqué plus haut, mais il est important de distinguer l’Anthologie palatine – issue du manuscrit d’Heidelberg – aux frontières fixes, closes, de l’Anthologie grecque, qui, dans l’acception qu’en font Dübner et Cougny, est plus large et est comprise comme un corpus que l’on pourrait qualifier de théoriquement clos, mais qui est en réalité ouvert, dans la mesure où il est possible de l’augmenter par des réactualisations. La question des motifs, des topoï, de l’ouverture du corpus a été traitée dans deux articles précédents (Verstraete et Mellet 2024 ; Mellet 2020) et illustrée dans un billet de blog de Marcello Vitali-Rosati, chercheur principal du projet (Vitali-Rosati 2015).↩︎

      16. L’absence de précision (Anthologie palatine vs grecque) est intentionnelle.↩︎

      17. Concrètement, il ajouta des titres ou des mentions explicatives quant au contenu de l’épigramme ; il ajoute aussi les attributions. Selon Cameron (1993, 102), les lemmata (contrairement aux attributions) sont inventés par le lemmatiste lui-même : on perd ici la tâche propre au simple copiste et on approche l’originalité d’un auteur.↩︎

      18. Preisendanz publia d’importantes constations paléographiques (1911). Cameron a consacré un chapitre à la question (1993, 97‑120).↩︎

      19. Les scribes et lemmatistes indiquèrent pour la majorité des épigrammes leurs attributions ainsi que (de manière moins rigoureuse) le sujet dont il était question.↩︎

      20. Un développement envisageable pour la suite du projet serait d’ajouter les images d’autres manuscrits ou traditions.↩︎

      21. Durant le projet, nous avons veillé à ajouter les informations linguistiques manquantes pour les noms des auteurs sur Wikidata. Dès lors, nous contribuons à l’enrichissement du Web des données ouvertes et liées tout en en profitant en retour : les données de la plateforme Anthologia Graeca étant directement récupérées depuis Wikidata.↩︎

      Verstraete Mathilde 0000-0003-1642-8610
      Mouton-Rovira Estelle 0000-0002-6634-328X
      Del Lungo Andrea 0000-0001-7067-106X
      Wormser Gérard 0000-0002-6651-1650
      Dynamiques auctoriales au sein du projet d’édition numérique collaborative de l’Anthologie grecque
      Mathilde Verstraete
      Département des littératures de langue française
      2104-3272
      Sens public 2024/12/20 L’écrivain et la machine. Figures auctoriales à l’ère du numérique
      L’Anthologie grecque est un recueil regroupant la poésie épigrammatique grecque issue de la période classique jusqu’à la période byzantine. Elle renferme environ 4000 pièces, de plus de 300 auteur·e·s. Elle est le résultat d’un processus d’additions en strates, additions qui sont le fait d’« auteurs » ou d’actant·e·s aux rôles divers. Cette notion y occupe une place prépondérante, dans la mesure où les postures auctoriales se déclinent au gré de l’enrichissement continu de l’Anthologie grecque, corpus ouvert, hétérogène, et stratifié. Ce phénomène s’amplifie avec les éditions critiques de cette compilation, puis se prolonge et s’étend à travers les remédiations numériques du corpus, notamment dans le cadre du projet collaboratif d’édition numérique de l’Anthologie grecque, mené en 2014 à la Chaire de recherche du Canada sur les écritures numériques. Le présent article entend revenir sur l’émergence et la diffusion du corpus anthologique dans ses multiples versions et supports de diffusion. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous noterons et analyserons les figures auctoriales en présence – qui interagissent entre elles à la manière de dynamiques. Nous questionnerons enfin les liens entre matérialité et autorité.
      The Greek Anthology is a collection of Greek epigrammatic poetry spanning from the Classical to the Byzantine periods. It contains some 4,000 pieces by over 300 authors. It is the result of a process of stratified additions by “authors” or “actants” playing various roles. This notion is central here, insofar as the auctorial postures vary according to the continuous enrichment of the Greek Anthology, an open, heterogeneous and stratified corpus. This phenomenon is amplified with the critical editions of this compilation, then prolonged and extended through the digital remediations of the corpus, notably within the framework of the collaborative digital edition project of the Greek Anthology, initiated in 2014 at the Canada Research Chair on Digital Textualities. This article looks back at the emergence and dissemination of the anthological corpus in its multiple versions and distribution media. Without claiming to be exhaustive, we will highlight and analyze the auctorial figures at play—who interact with one another in the manner of dynamics. Finally, we will examine the links between materiality and authority.
      Intention (littérature) https://data.bnf.fr/ark:/12148/cb125113833
      Culture numérique https://data.bnf.fr/ark:/12148/cb119505666
      Anthologies http://data.bnf.fr/ark:/12148/cb119347727
      Anthologie grecque, auteur, numérique, digital classics
      Greek Anthology, author, digital, digital classics