Une notice biographique
Je suis médecin, spécialiste en néphrologie (en maladies rénales chroniques) depuis 2005, formée en France et exerçant à l’hôpital du Haut-Richelieu (Saint-Jean-sur-Richelieu, QC) depuis 2013. J’ai eu moi-même à relever un défi de santé qui a transformé mon rapport au soin et à l’accompagnement : un cancer du sein, en 2018. Je m’intéressais déjà à la médecine corps-esprit, ce qui m’avait conduite à suivre une formation de méditation en pleine conscience (MPC) pour les professionnel·les de la santé un an auparavant et à pratiquer le yoga. Une amie ayant vécu la même épreuve m’a encouragée pendant les cures de chimiothérapie à m’inscrire à un cours de yoga dit oncologique, offert par la Fondation cancer du sein du Québec. Le yoga et la MPC m’ont aidée à surmonter le stress et l’anxiété associés aux traitements et ont transformé ma relation à la douleur physique et à la souffrance morale. Avec le recul, ces précieux outils ont accru ma résilience. De retour au travail début 2020, la pandémie COVID-19 m’a donné l’occasion d’organiser un programme de yoga et de Mindfulness-Based Stress Reduction (Gestion du stress basée sur la pleine conscience, ou MBSR) avec des enseignant·es certifié·es, pour mes collègues. Puis, une intervention basée sur le MBSR a vu le jour pour soutenir les patient·es en hémodialyse pendant le confinement. Je me suis inscrite par la suite en PhD en santé mentale à l’Université McGill, afin d’effectuer de la recherche et de développer des programmes utilisant la MPC et l’exercice physique, sous la supervision des Drs Soham Rej, géronto-psychiatre (Lady Davis Institute) et Rita Suri, néphrologue (Directrice de la recherche du Centre de Santé Universitaire de McGill).
L’accompagnement au cœur de la médecine du XXIe siècle
L’accompagnement en médecine consiste à offrir de l’aide au patient confronté à la maladie ou à la fin de vie. Il est défini par Rossi comme un « subtil compromis entre art relationnel et science biologique » (Rossi 2009, 111‑22). Ce « lien social » est à la base du rôle de médecin, a fortiori aujourd’hui, car 80% des consultations externes ont pour motif une maladie chronique, non guérissable, avec laquelle le patient doit apprendre à vivre et pour laquelle il sera accompagné lors du suivi médical (Rossi 2009, 111‑22; Lacroix et Assal 1998). Les progrès médicaux ont permis d’éradiquer de nombreuses affections aiguës mortelles, le plus souvent infectieuses, alors que la prévalence des maladies chroniques est en augmentation constante, ce qui a changé le paradigme d’offre de soins (Rossi 2009, 111‑22). Le défi pour les centres hospitaliers est de créer un accompagnement et une offre de soins spécialisée, multidisciplinaire centrés sur les besoins des patient·es pour une pathologie donnée. Les objectifs sont d’offrir les meilleurs traitements pour les symptômes, conséquences et complications de la maladie chronique, un soutien psychologique, une prévention du handicap fonctionnel et de l’éducation thérapeutique afin de redonner aux patient·es un certain pouvoir sur leur vie (Rossi 2009, 111‑22).
La médecine contemporaine guérit rarement. Plutôt, elle accompagne les patient·es vivant avec une maladie chronique. L’éducation thérapeutique est une discipline qui a pris un essor important, principalement dans les pays d’Europe francophone. Les professionnel·les de la santé sont amené·es à se former à de nouveaux outils et à des interventions ayant pour but un transfert de connaissances aux patient·es, afin qu’ils puissent décider de façon éclairée quels traitements choisir, pas seulement en fonction de critères diagnostiques et pronostiques, mais aussi en fonction de leurs propres objectifs de santé et de la façon dont ils souhaitent vivre. Le but est aussi de leur transmettre des outils d’autogestion des symptômes physiques et psychologiques, des informations pour améliorer leur hygiène de vie (nutrition, activité physique, bien-être émotionnel) (Rossi 2009, 111‑22).
Accompagner, pour un·e professionnel·le de santé, c’est soutenir, réconforter, guider un patient vivant avec un trouble de santé physique ou mental dans le cadre d’une relation de confiance (Rossi 2009, 111‑22; Grover et al. 2022).
Tout cela s’intègre dans l’idée du patient décisionnaire et partenaire de soins (Rossi 2009; Grover et al. 2022; Pétré et al. 2020, 371‑74). Le concept de soins centrés sur le patient correspond à tout ce qui est mis en œuvre afin d’aboutir à une décision partagée avec lui, tout en garantissant son autonomie (Grover et al. 2022, 371‑74). Nous n’entrerons pas dans la définition complète et les méthodes d’implémentation de ce concept scientifique ici; nous centrerons le propos sur l’accompagnement au moyen de la médecine corps-esprit.
La médecine corps-esprit dans l’accompagnement au cours d’une maladie chronique
Le développement technique et scientifique en médecine a permis des avancées spectaculaires depuis la deuxième moitié du XXe siècle en termes de diagnostics, de possibilités thérapeutiques et d’allongement de l’espérance de vie. La médecine de précision (Ramaswami, Bayer, et Galea 2018, 153‑68), dite aussi médecine personnalisée (Gómez-Carrillo et al. 2023), représente le nouveau paradigme du XXIe siècle. Elle consiste à offrir une évaluation diagnostique plus précise et de mieux cibler les thérapies (Gómez-Carrillo et al. 2023). Le concept qui sous-tend cette approche est que la biologie est, non seulement la source des caractéristiques de la physiologie humaine mais aussi des variations individuelles (Gómez-Carrillo et al. 2023). Les nouvelles technologies de multi-omiques (génomique, transcriptomique, protéomique, métabolomique) nous permettent de caractériser les individus à de multiples niveaux au moyen des données collectées à très large échelle (exemple des études d’association à l’échelle du génome) (Gómez-Carrillo et al. 2023). Ces gigantesques banques de données sont analysées au moyen de logiciels informatiques et de l’intelligence artificielle afin de sélectionner des biomarqueurs d’intérêt (Gómez-Carrillo et al. 2023). Lorsque ces biomarqueurs peuvent être corrélés à différentes évolutions d’une maladie et à des réponses thérapeutiques, alors une typologie pragmatique, des thérapies ciblées et un algorithme décisionnel pour le diagnostic, le traitement et le pronostic peuvent être développés (Gómez-Carrillo et al. 2023). Le succès de cette approche a été spectaculaire en oncologie et en cardiologie car les biomarqueurs spécifiques identifiés sont étroitement associés à des mécanismes physiopathologiques impliqués dans la genèse de maladies, ce qui permet le développement de traitements innovants et personnalisés. Cela est moins vrai pour la psychiatrie (Gómez-Carrillo et al. 2023), la médecine de la douleur, la prise en charge de l’obésité ou la maladie rénale chronique au stade d’hémodialyse (remplacement de la fonction rénale altérée par la machine d’hémodialyse ou rein artificiel). Dans ces domaines, la médecine de précision aspire à offrir des soins centrés sur le patient et à en faire un partenaire actif, en prenant en compte ses besoins fondamentaux, dont le bien-être émotionnel, la qualité de vie, l’autonomie et le maintien de sa capacité physique, avec une reconnaissance de ses particularités culturelles et individuelles (Grover et al. 2022). Le dilemme et les défis auxquels les professionnel·les de la santé sont confronté·es est que leur capacité à maintenir et à prolonger la vie au cours des maladies chroniques survient au prix d’importantes limitations physiques, d’effets indésirables des traitements et d’une faible qualité de vie. En néphrologie, cette contradiction est à son paroxysme : l’hémodialyse est une technique de remplacement d’organes qui permet de maintenir en vie les patient·es, avec quatre heures de traitements, trois fois par semaine, auxquelles s’ajoutent les temps de transport, d’autres consultations médicales et des hospitalisations. Ces patient·es éprouvent de nombreux symptômes déplaisants reliés à la maladie ou aux traitements tels que les crampes, les chutes de pression, les douleurs musculosquelettiques, la fatigue chronique, voire la sensation d’épuisement post-hémodialyse et la détresse émotionnelle interférant avec la capacité à effectuer les activités de la vie quotidienne (Kopple et al. 2017; Rhee et al. 2022).
Depuis quelques années, le paradigme de recherche en néphrologie a changé afin de répondre au besoin d’accompagnement des personnes hémodialysées (Kalantar-Zadeh et al. 2022; Rhee et al. 2022). Ainsi, les études cliniques en hémodialyse ont longtemps ciblé des résultats considérés pertinents par les médecins, comme la durée de la vie, la diminution du nombre d’évènements cardio-vasculaires et de la fréquence des hospitalisations, ou encore un bon contrôle de certains biomarqueurs d’intérêt (Tong et al. 2018; Bello et al. 2022). Cependant, les études centrées sur les résultats considérés pertinents par les patient·es ont révélé que l’amélioration de la qualité de vie, le soulagement des symptômes déplaisants reliés à la dialyse, la possibilité de voyager, de travailler, d’avoir du temps de qualité avec la famille, la sécurité financière, l’organisation optimisée du transport en dialyse et le bien-être émotionnel étaient plus importants que l’allongement de la durée de la vie (Tong et al. 2018; Ju et al. 2020; Kalantar-Zadeh et al. 2022; Rhee et al. 2022).
La dépression, l’anxiété et le stress associés à la maladie chronique, voire la perte de capacité physique et cognitive, exacerbée par le vieillissement et la lourdeur des traitements sont des questions délicates à aborder pour les patient·es avec leurs médecins, par honte, peur de déranger et faute de temps. De plus, certain·es patient·es redoutent d’être considéré·es inaptes et de se voir, par exemple, retirer le permis de conduire, s’ils révélaient leur affaiblissement physique ou sensoriel. Leur autonomie est si précieuse à leurs yeux qu’ils peuvent dissimuler certains symptômes ou choisir plus ou moins consciemment une attitude de déni. Au-delà de ces obstacles, l’accès aux soins de santé mentale et aux professionnel·les qui peuvent évaluer et proposer une intervention personnalisée dans le but d’améliorer le fonctionnement physique et cognitif, tels que les physiothérapeutes, ergothérapeutes, psychologues, est limité du fait de la pénurie de ressources dans le système de soins québécois et canadien.
De plus, en santé mentale et en hémodialyse, la polypharmacie représente un tel fardeau que les patient·es préfèrent souvent une approche non pharmacologique (Knehtl et al. 2022). C’est dans ce contexte que, sous la supervision du Dr Soham Rej, de nombreux programmes cliniques non pharmacologiques, de MPC, yoga, tai chi, qi gong ciblant des populations vulnérables en gérontopsychiatrie et en hémodialyse ont été développés pour soulager les troubles anxieux, la dépression tardive du sujet âgé, et la douleur chronique. Paradoxalement, la pandémie COVID-19 a eu pour effet de contribuer à lever les tabous autour des défis de santé mentale et a révélé l’importance des stratégies ciblant le bien-être émotionnel. Le confinement a augmenté la littéracie numérique et la diffusion de nouveaux outils technologiques, tels que la visio-conférence et la réalité virtuelle (RV) pour atteindre la patientèle. La RV est un autre outil technologique pouvant augmenter l’efficacité des interventions en favorisant une plus grande immersion sensorielle et cognitive.
Dans ce qui suit, les principales approches de médecine corps-esprit utilisées seront détaillées avec les études pilotes menées par notre groupe de recherche. Par la suite, nos futurs projets d’étude seront projetés.
La gestion du stress basée sur la pleine conscience (Mindfulness-Based Stress Reduction, MBSR)
La gestion du stress basée sur la pleine conscience (Mindfulness-Based Stress Reduction, ou MBSR) a été conçue par Jon Kabat-Zinn comme un programme de « médecine participative » afin de soulager les souffrances physiques et morales considérées réfractaires aux traitements (Kabat-Zinn 1982, 2016; Kabat-Zinn et Hanh 2009). La première clinique de MBSR a ouvert ses portes au Massachusetts, aux États-Unis, dans les années 1980, à tou·tes les patient·es, quel que soit leur diagnostic (cancer, maladie inflammatoire du tube digestif, etc.) et leur pronostic. Jon Kabat-Zinn aimait dire aux patient·es que « tant qu’ils pouvaient respirer, il y avait plus de bon que de mauvais en eux et qu’il y avait encore de l’espoir d’améliorer leur santé globale, de diminuer leurs douleurs, ainsi que les conséquences du stress et de l’anxiété » (Kabat-Zinn et Hanh 2009; Kabat-Zinn 2016). Avec le MBSR, le but n’est pas de guérir (« to cure ») mais de soulager/réparer (« to heal »), terme anglais sans équivalent en français, qui fait référence à la capacité physiologique du corps à se réparer naturellement (Kabat-Zinn 2016). Jon Kabat-Zinn, professeur de médecine émérite, PhD en biologie moléculaire, après avoir été l’élève du maître bouddhiste zen Thich Nhat Hanh, a été le pionnier en Amérique du Nord de la diffusion de la MPC (Kabat-Zinn et Hanh 2009; Kabat-Zinn 2016). Le MBSR se veut une adaptation laïque des enseignements bouddhistes, intégrant le savoir ancestral du dharma aux bases scientifiques et cliniques modernes de la médecine occidentale afin d’améliorer la qualité de vie des patient·es aux prises avec leur souffrance. Les patient·es deviennent pleinement acteurs du processus de « healing » durant cette formation de MPC de huit semaines, en groupes (jusqu’à 30-40 personnes). La relation patient-médecin est alors profondément transformée, afin que se développe ce nouveau lien qui permettra une médecine participative et collaborative. Saki Santorelli, un des collaborateurs de Jon Kabat-Zinn, décrit, à partir du mythe de Chiron dans « Heal Thy Self : Lessons on Mindfulness in Medicine », que cette nouvelle relation va à la fois révéler des ressources méconnues des patient·es dans leur processus de « healing », mais aussi mettre à jour la vulnérabilité des médecins et les amener à examiner leur identité de « soigneur blessé », capables de soigner, voire de guérir leurs patient·es, mais parfois impuissants face à leurs propres maux (Santorelli 2000).
Définitions de la pleine conscience
Jon Kabat-Zinn définit la pleine conscience comme « l’état de conscience qui résulte du fait de porter son attention, intentionnellement, sans juger, sur l’expérience qui se déploie moment après moment »(Kabat-Zinn et Hanh 2009). Christophe André, psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, en France, a introduit la pleine conscience dans le monde francophone et la définit ainsi: « l’attention portée à l’expérience vécue et éprouvée, sans filtre, (on accepte ce qui vient), sans jugement, (on ne décide pas si c’est bien ou mal, désirable ou non), sans attentes, (on ne cherche pas quelque chose de précis) » (Du Penhoat 2016). La littérature médicale suggère que le MBSR est une stratégie efficace de gestion du stress, de l’anxiété, de la douleur et des émotions négatives, reliées aux maladies chroniques, permettant 30 à 50% de réduction de la douleur et des symptômes somatiques (Kabat-Zinn 1982). Selon Jon Kabat-Zinn, les premier·es patient·es à en bénéficier exprimaient leur reconnaissance à leurs médecins de les avoir adressés à cette clinique car « ces huit semaines avaient été les plus bénéfiques de toute leur prise en charge » (Kabat-Zinn 2016). Selon lui, ces cliniques, qui se sont multipliées en Amérique du Nord depuis les années 1980, répondaient à la frustration des patient·es de se sentir insuffisamment soulagé·es de leurs souffrances, ce qui engendrait un cercle vicieux de stress et d’anxiété, ayant un impact défavorable sur l’évolution de leur maladie (Kabat-Zinn 2016). Par leur participation active au programme, les patient·es reprenaient une maîtrise de leur situation, et retrouvaient un mieux-être grâce à la pratique méditative (Kabat-Zinn 2016). Être acteur de son mieux-être permet de restaurer espoir et dignité. Cet « empowerement », terme anglais qui n’a pas d’équivalent en français et que l’on traduit par « autonomisation », a été rapporté comme un facteur de meilleur pronostic dans les pathologies chroniques (Kabat-Zinn 2016; Turner 2014). Pour Jon Kabat-Zinn, il ne s’agit pas de « faire » quoi que ce soit, mais « d’être » dans le moment présent avec notre situation, telle qu’elle est et quelle que soit sa gravité (Kabat-Zinn 2016). La vision de Kabat-Zinn n’était pas de créer une thérapie, il n’était ni médecin ni psychologue, mais de créer un programme « d’éducation en santé » qui nécessiterait une ouverture d’esprit, le désir de se lancer dans une pratique en se détachant du résultat escompté (un concept pilier du bouddhisme), et d’accepter « d’être avec ce qui est » (Kabat-Zinn 1982, 2016; Kabat-Zinn et Hanh 2009). Il en résulte une « transformation de notre relation avec notre expérience, ce qui nous rend plus flexible, nous amène à nous détacher du jugement, (surtout le nôtre) et accroît notre résilience » (Kabat-Zinn 2016). La résilience est un terme originellement utilisé en métallurgie (Anaut 2005) pour caractériser la propriété de l’acier à se déformer en absorbant un choc, puis à retrouver sa forme initiale après déformation. Le concept de résilience a été adopté dans les années 1950 (Anaut 2005, 4‑11; Cyrulnik 2007, 7‑9; Demogeot 2014, 69‑82) en psychologie, initialement pour décrire les enfants qui parvenaient à s’épanouir malgré un traumatisme ou malgré des facteurs de risques importants de vulnérabilité.
Que se passe-t-il dans le cerveau avec la MPC ?
L’essor des neurosciences depuis les deux dernières décennies et le développement de l’imagerie cérébrale fonctionnelle ont montré des changements de structure, connectivité et activité cérébrale avec la méditation (Raynauld 2006; Goleman et Davidson 2017). Ces changements sont observés après un programme aussi court que huit semaines de MBSR (Raynauld 2006; Gotink et al. 2016; Goleman et Davidson 2017). Cet entraînement de l’esprit par l’attention au moment présent induit des conséquences neurobiologiques favorables dans les processus d’apprentissage, les fonctions exécutives et la régulation émotionnelle (Raynauld 2006; Kabat-Zinn 2016; Goleman et Davidson 2017). Les études suggèrent que la MPC entraîne la régulation d’une centaine de gènes dont certains associés à l’inflammation, la prolifération cellulaire et la genèse tumorale (Kabat-Zinn 2016). La MPC régule d’une façon bénéfique la cascade biologique de stress, transformant notre relation physique et mentale aux agents stresseurs (Kabat-Zinn 2016; Goleman et Davidson 2017). Le stress chronique accélère la dégradation des télomères (extrémités des chromosomes régulant la division cellulaire), ce qui accélère le processus de vieillissement (Kabat-Zinn 2016; Goleman et Davidson 2017). Un allongement des télomères proportionnel à la durée totale de méditation a été observé avec la MPC (Kabat-Zinn 2016; Goleman et Davidson 2017), ce qui pourrait ralentir le processus physiologique de vieillissement (Mendes-Silva et al. 2021).
La MPC n’est pas un traitement miracle et certains auteurs déplorent que son innocuité n’ait pas été adéquatement établie par une évaluation standardisée des potentiels effets indésirables (Farias et al. 2020; Britton et al. 2021). La détresse et l’impact négatif des interventions basées sur la MPC, en santé mentale, sont toutefois similaires à ceux des psychothérapies (Farias et al. 2020; Britton et al. 2021). L’évaluation indépendante d’un examinateur des effets d’un programme de huit semaines de MPC, auprès de 96 patient·es ayant complété le programme, a révélé 6 à 14% d’effets négatifs durables (Britton et al. 2021). Une revue systématique a montré que seules 55 études sur 83, comptant 6 703 participant·es, rapportaient la prévalence (8,3%) et la nature des effets indésirables de la MPC (Farias et al. 2020). Les plus fréquents sont les troubles: anxieux (33%), dépressifs (27%), cognitifs (27%), digestifs (11%), ainsi que les idées ou comportements suicidaires (11%) (Farias et al. 2020). Ces auteurs suggèrent de développer une méthodologie précise afin de rapporter avec rigueur les effets indésirables et d’effectuer des analyses qualitatives de l’expérience de MPC par les usagers afin de cibler ceux qui en bénéficieraient le plus (Farias et al. 2020). Jon Kabat-Zinn a aussi été accusé d’avoir « sécularisé et rationalisé le bouddhisme pour l’adapter aux exigences du marché et à la logique de la société capitaliste contemporaine », et d’avoir « donné naissance à ce qui allait devenir l’industrie de la “McMindfulness” » (Purser 2019). L’argument principal étant que le focus sur le moment présent empêcherait la pensée critique et accroîtrait la soumission à l’exploitation néo-libérale (Purser 2019). Au-delà des polémiques, une démarche rigoureuse pour un consentement éclairé est nécessaire. Certains individus bénéficient de l’accompagnement par le MBSR, cependant aucune intervention ne doit être considérée comme la panacée.
La Méditation en Pleine conscience : une expérience québécoise de traitement de l’anxiété et de la dépression en hémodialyse dans deux études pilotes
Deux études pilotes de MPC en hémodialyse ont testé la faisabilité, la tolérance et l’acceptabilité de la MPC. Les personnes vivant avec de l’hémodialyse sont particulièrement exposées à l’anxiété et la dépression du fait des contraintes de la dépendance à l’hémodialyse pour leur survie. De plus, l’arsenal thérapeutique classique pour les troubles de santé mentale est limité en maladie rénale chronique et en hémodialyse. Ainsi, la sertraline, un antidépresseur fréquemment utilisé dans la population générale, comparée au placebo (Hedayati et al. 2017) n’améliorait ni les symptômes dépressifs, ni la qualité de vie, chez les personnes non encore hémodialysées ayant une insuffisance rénale chronique modérée à sévère. Cela a été confirmé par trois autres études en hémodialyse (Gregg et Hedayati 2020; Gregg et al. 2021). Toutefois, deux études ont montré une amélioration des symptômes grâce à la sertraline et une autre a montré l’absence de différence entre le citalopram, autre anti-dépresseur fréquemment prescrit, et une approche psychologique classique (Gregg et Hedayati 2020; Gregg et al. 2021). Enfin, la plus grande étude en hémodialyse à ce jour, l’étude ASCEND (Hedayati et al. 2016) a montré un bénéfice marginal de la sertraline comparée à la thérapie cognitivo-comportementale. Dans une médecine moderne fondée sur les preuves, ces résultats n’encouragent pas la prescription largua manu des antidépresseurs chez les personnes insuffisantes rénales et/ou hémodialysées. Cibler les patient·es pour lesquel·les le rapport bénéfices/risques est favorable pour ces médicaments et rechercher une alternative pour les autres est préférable. En effet, les effets indésirables par accumulation des métabolites actifs de ces molécules (qui ne peuvent être éliminés par la filtration rénale) peuvent occasionner des arythmies cardiaques, des troubles digestifs et des interactions médicamenteuses, en contexte de polypharmacie (Gregg et Hedayati 2020; Gregg et al. 2021).
La prévalence estimée de la dépression et de l’anxiété est de 20–30% et de 30–46%, respectivement chez les hémodialysés, ce qui est supérieur à la population générale (Kopple et al. 2017; Gregg et Hedayati 2020; Gregg et al. 2021). L’insuffisance rénale chronique s’accompagne de symptômes physiques et cognitifs déplaisants dits urémiques, secondaires à l’accumulation des déchets causée par la diminution de la fonction rénale (Gregg et Hedayati 2020; Gregg et al. 2021; Kalantar-Zadeh et al. 2022; Rhee et al. 2022). Ces symptômes ne sont malheureusement pas complètement soulagés par l’hémodialyse, qui peut en outre exacerber la détresse émotionnelle (Rhee et al. 2022) et être plus ou moins bien tolérée avec la possible survenue d’hypotension, nausées et malaise reliés à l’épuration rapide des électrolytes et fluides accumulés entre les traitements (Kalantar-Zadeh et al. 2022; Rhee et al. 2022).
Un défi diagnostique pour les néphrologues et les psychiatres provient du chevauchement des symptômes somatiques de dépression (fatigue, difficultés à se concentrer, troubles du sommeil, perte d’appétit, changements de poids, agitation ou ralentissement psychomoteur) avec les symptômes urémiques décrits plus hauts (Gregg et Hedayati 2020; Gregg et al. 2021). Il est difficile de différencier la cause : urémie ou épisode dépressif majeur ? Parfois, l’origine est multifactorielle (autres comorbidités, douleur aiguë ou chronique, toxicité médicamenteuse, déconditionnement, dénutrition) (Kalantar-Zadeh et al. 2022; Rhee et al. 2022). La dépression véritable est associée à une augmentation du risque de mortalité de toutes causes et de cause cardio-vasculaire, d’hospitalisation, de déclin plus rapide de la fonction rénale résiduelle (et début plus précoce de l’hémodialyse), diminution de la qualité de vie, augmentation du nombre de symptômes urémiques déplaisants, dysfonction sexuelle, et non compliance au traitement et aux recommandations diététiques (Hedayati et al. 2016, 2017; Gregg et Hedayati 2020; Gregg et al. 2021).
La première étude pilote, randomisée, contrôlée, d’une durée de huit semaines, a comparé une brève intervention de MPC de quinze minutes, trois fois par semaine, pendant les séances d’hémodialyse, au traitement usuel (Thomas et al. 2017). Les résultats n’étaient pas significativement différents entre les deux groupes. Cependant, les patient·es ayant les scores les plus élevés pour les auto-questionnaires validés de dépression et d’anxiété, (34% des participant·es), avaient une diminution cliniquement et statistiquement significative de leurs symptômes. Cet essai clinique a montré que la MPC était faisable, et bien tolérée pendant les séances d’hémodialyse. L’analyse qualitative a révélé un niveau élevé de satisfaction des patient·es et des bénéfices subjectifs tels que la restauration du sentiment d’espoir et de dignité et l’acquisition d’une capacité d’autogestion de leur stress. De plus, les patient·es qui en ont le plus bénéficié étaient ceux qui étaient les plus déprimé·es et les plus anxieux·ses (Thomas et al. 2017).
La deuxième étude a comparé une intervention de MPC au programme d’amélioration de la santé (Nassim et al. 2021) (HEP pour Health Enhancement Program) dans la réduction des symptômes de dépression en hémodialyse. Le HEP (Sullivan et al. 2011) est un enseignement permettant de promouvoir un mode de vie plus sain dans différentes sphères (nutrition, sommeil, activité physique etc.) sans méditation. La MPC et le HEP se sont avérés faisables et bien tolérés, sans différence significative d’efficacité entre les 2 groupes, qui ont vu une diminution équivalente de leurs symptômes de dépression à la fin de l’étude (Nassim et al. 2021). Toutefois, l’intervention de MPC était associée à une réduction plus importante des symptômes d’anxiété au bout de huit semaines chez les patient·es ayant un score plus élevé d’anxiété et ce, de façon statistiquement significative.
Au vu de la faible efficacité des antidépresseurs en hémodialyse, avec un profil bénéfices/risques défavorable, et de la pénurie de ressources en psychothérapie, la MPC est un outil non pharmacologique pertinent dans l’arsenal thérapeutique. Elle peut être pratiquée pendant les séances d’hémodialyse, ce qui représente un gain de temps pour les patient·es. L’innocuité et l’efficacité de la MPC sont toutefois à confirmer formellement dans des essais randomisés, contrôlés plus larges.
En 2020, lors du confinement pendant la pandémie COVID-19, nous avons offert un programme virtuel de MPC (en dehors du cadre de la recherche), adapté du MBSR, à raison de vingt minutes, deux fois par semaine, pendant les séances d’hémodialyse, à l’hôpital du Haut-Richelieu, au moyen de la plateforme de visioconférence Zoom, avec la guidance d’une psychologue certifiée. Les patient·es ont particulièrement apprécié cette rupture d’isolement et l’apprentissage de techniques de gestion du stress. Ils se sont adaptés au mode virtuel et ont exprimé leur satisfaction et le sentiment d’avoir accru leur résilience1. Une patiente, dont nous avons publié l’expérience (Garel et al. 2023), a réussi à se sevrer des benzodiazépines et autres médications qu’elle prenait au long cours pour anxiété, troubles du sommeil et syndrome des jambes sans repos d’origine urémique. Plusieurs années après ce programme, la plupart des participant·es ont rapporté utiliser encore la MPC régulièrement pour réguler leur émotions négatives.
La thérapie cognitive basée sur la MPC (Mindfulness-Based Cognitive Therapy (MBCT)) et son efficacité sur la prévention des récurrences d’épisodes dépressifs chez les aîné·es : une expérience clinique québécoise
La thérapie cognitive basée sur la MPC (MBCT) est une psychothérapie développée par Zindel Segal à Toronto, (Ontario, Canada) en prévention de la rechute des épisodes de dépression légère à modérée (Segal, Williams, et Teasdale 2018). Cette approche repose sur l’idée que la MPC peut transformer notre relation avec les émotions négatives (tristesse, peur, colère), simplement du fait de les reconnaître, de les nommer et de les accepter sans les réprimer ou s’en distraire (Segal, Williams, et Teasdale 2018). Cette acceptation de la douleur émotionnelle, sans que l’esprit ne s’engage dans les pensées autocritiques négatives, est efficace pour empêcher l’installation du cercle vicieux : émotions négatives → pensées et ruminations autocritiques → fausses croyances → humeur et comportement dépressifs, lequel est à l’origine des épisodes de rechutes de dépression (Segal, Williams, et Teasdale 2018). Le MBCT repose sur l’enseignement de la méditation formelle et informelle, du yoga et des éléments de thérapie cognitivo-comportementale (Segal, Williams, et Teasdale 2018). La pratique vise à réguler les émotions, en redirigeant l’attention dans le but de s’autosoigner (self-care) afin de prévenir les rechutes (Segal, Williams, et Teasdale 2018). Pendant huit semaines, à raison de deux heures et demie par semaine, en groupes de huit à douze patient·es, avec pratique quotidienne à la maison, les participant·es apprennent à diriger leur attention vers leurs sensations corporelles, à être présent·es avec leurs émotions négatives ou positives, afin de trouver un espace mental permettant de choisir une réponse réfléchie au lieu d’une réaction impulsive, ce qui brise la cascade d’installation de l’humeur dépressive (Segal, Williams, et Teasdale 2018). Les études randomisées contrôlées (au moins mille patient·es et sept études) ont montré une réduction des récidives des épisodes de dépression légère à modérée de 33 à 43%, comparable aux résultats obtenus avec les médicaments anti-dépresseurs (Pahlevan, Ung, et Segal 2020; Cohen et al. 2023).
Nous avons conduit le premier essai clinique randomisé contrôlé de MBCT (Torres-Platas et al. 2019) adapté aux aîné·es, pour la prise en charge de la dépression tardive (Jeste et al. 1999). Au Canada, plus de 300 000 adultes âgé·es de plus de 60 an souffrent de dépression tardive, ce qui représente 10 à 20% des aîné·es. Ces chiffres sont en augmentation depuis la pandémie COVID-19 (Y. Zhao et al. 2023). Le coût associé est estimé à plus de cinq milliards par an pour le système de santé (Myhr et Payne 2006; Pahlevan, Ung, et Segal 2020). La dépression tardive est associée à une augmentation des décès et est difficile à traiter. Environ 60% des aîné·es ne sont pas amélioré·es par le traitement médicamenteux. Environ un tiers l’abandonnent à cause d’une intolérance, d’un effet indésirable ou d’une interaction médicamenteuse (Lenze et al. 2008; Nelson, Delucchi, et Schneider 2008; Gualtieri et Johnson 2007). Les signes de dépression et d’anxiété tardive sont probablement sous-diagnostiqués et sous-traités. Les buts du traitement sont d’améliorer les symptômes mais aussi de prévenir les récidives car la dépression est, par définition, un trouble épisodique récurrent (Segal, Williams, et Teasdale 2018; Breedvelt et al. 2021). Les aîné·es préfèrent souvent des approches non médicamenteuses. Hélas, il y a six à douze mois d’attente pour une psychothérapie individuelle dans le système de santé québécois/canadien public. Pour cette étude pilote de MBCT (Torres-Platas et al. 2019), nous avons recruté 61 aîné·es, de 60 ans et plus, souffrant de symptômes de dépression ou anxiété. Le diagnostic de dépression était posé lorsqu’un score supérieur ou égal à dix était obtenu au questionnaire de santé patient (Patient Health Questionnaire, (PHQ-9)). Le diagnostic de Trouble anxieux généralisé était effectué pour un score supérieur ou égal à dix au questionnaire General Anxiety Disorder (GAD-7). Les participant·es ont été randomisé·es dans deux groupes : MBCT ou traitement usuel, ce dernier associant un antidépresseur et une psychothérapie de soutien. Le groupe MBCT a observé une diminution significative des symptômes de dépression et d’anxiété et une amélioration de la qualité de vie, aussitôt après la fin des huit semaines d’intervention. Cette étude a démontré la faisabilité et l’efficacité du MBCT sur les symptômes de dépression et sur le risque de récidive. Cette efficacité a probablement été favorisée par le fait que les aîné·es aiment les activités routinières et se sentent disposé·es à intégrer une pratique journalière dans leur quotidien. L’intervention en groupe apporte le soutien social qui diminue la sensation d’isolement, très fréquente dans ce groupe d’âge (Pahlevan, Ung, et Segal 2020; Myhr et Payne 2006; Krishna et al. 2011) et exacerbée en cas de symptômes anxieux ou dépressifs. Bien qu’il ait été suggéré que les thérapies cognitivo-comportementales individuelles sont plus efficaces que le traitement pharmacologique usuel (Pahlevan, Ung, et Segal 2020; Breedvelt et al. 2021), ces thérapies, souvent individuelles, sont difficiles d’accès par manque de ressources. Le MBCT en groupe est une intervention adaptable, accessible, faisable, bien tolérée par les aîné·es et plus efficace que le traitement associant médication et counseling pour diminuer les symptômes de dépression, anxiété et pour améliorer la qualité de vie (Torres-Platas et al. 2019). Le coût rapporté à l’efficacité est un argument en faveur des thérapies de groupes par rapport aux thérapies individuelles. Les résultats de cette étude pilote ont été obtenus par auto-questionnaires lesquels, bien que validés, ne sont pas aussi précis que les évaluations structurées d’un psychothérapeute, ce qui en limite l’interprétation. Il reste à déterminer si l’amélioration des symptômes obtenue avec le MBCT est reliée spécifiquement à la MPC ou si c’est la socialisation et le soutien obtenus au sein du groupe qui ont été bénéfiques. Une étude pancanadienne comparant le MBCT au HEP est en cours afin de répondre à cette question2.
Le tai-chi, une approche multimodale, physique, psychologique et cognitive
Le tai chi est l’archétype de la médecine corps-esprit (Yeh, Wayne, et Mehta 2023). Plus de 1 500 publications scientifiques revues par des pairs ont montré son efficacité dans la prévention des chutes (Li et al. 2018, 2019), du déclin cognitif (Li et al. 2022) et la réadaptation fonctionnelle et neurologique après un accident vasculaire cérébral (J. Zhao et al. 2022) ou une maladie dégénérative (Li 2013), mais aussi en oncologie (J. Huang et al. 2020) et en santé mentale (G.-Y. Yang et al. 2021, 2022). En gériatrie, le tai chi est considéré comme un des outils les plus efficaces de prévention des chutes. Comparé au stretching, un programme de tai chi de 6 mois diminue de 60% le risque de chutes, de 75% le risque d’accidents graves relié aux chutes et la peur des chutes, qui est le prédicteur le plus important de chutes (Li et al. 2018). Cet art martial chinois ancestral se base sur des séquences de mouvements coordonnés, en groupe, en pleine conscience, qui ciblent principalement la posture et l’équilibre (G.-Y. Yang et al. 2022). C’est une « méditation en mouvement » (Yeh, Wayne, et Mehta 2023; G.-Y. Yang et al. 2021). Physiologiquement, il existe une interdépendance des fonctions cognitives et motrices que l’on pourrait résumer ainsi : « la façon dont on bouge affecte la façon dont on pense » (Yeh, Wayne, et Mehta 2023; G.-Y. Yang et al. 2021). Améliorer la posture et l’équilibre a un effet bénéfique sur la cognition et la mémoire (G.-Y. Yang et al. 2022; Yeh, Wayne, et Mehta 2023). Les mouvements se font en pleine conscience, intègrent la respiration et la visualisation, sollicitent et renforcent de nombreuses fonctions cognitives : l’attention, la concentration et la conscience du corps (G.-Y. Yang et al. 2022; Yeh, Wayne, et Mehta 2023). Il s’agit d’une approche intégrative corps-esprit qui cible plusieurs systèmes physiologiques de façon multimodale, ce qui améliore la santé physique et mentale (G.-Y. Yang et al. 2022; Yeh, Wayne, et Mehta 2023). Dans les troubles de santé mentale tels que l’anxiété, la dépression, la psychose et le trouble bipolaire, la MPC formelle est moins bien tolérée avec un risque accru d’anxiété, d’agitation psychomotrice et d’inconfort émotionnel (Nikolitch et al. 2016; Farias et al. 2020; Britton et al. 2021). Notre groupe a mené un essai pilote randomisé contrôlé de douze semaines en simple aveugle (seul l’évaluateur ignorait à quel groupe le patient était associé) de tai chi et qi gong (discipline proche) comparés à des exercices légers pendant la pandémie COVID-19, en visioconférence3. Il s’agissait de patient·es âgé·es de 40 ans et plus, souffrant de trouble bipolaire avec symptômes dépressifs. Il y avait onze patient·es dans le groupe tai chi et douze dans le groupe comparateur d’exercices légers. Le tai chi a été plus efficace et mieux toléré. Ce résultat préliminaire est encourageant car le trouble bipolaire affecte 550 000 personnes au Canada et, en 2030, 50% des patient·es seront âgé·es de plus de 60 ans (Mcdonald et al. 2015; Sajatovic et al. 2005, 2015). Le tai chi pourrait ainsi à la fois prévenir le déclin cognitif, les chutes et diminuer les symptômes anxieux et dépressifs chez les aîné·es souffrant de bipolarité.
Programme d’intervention de télésanté pour les aîné·es (Telehealth Intervention Program for Older Adults (TIP-OA)) pour prévenir les effets délétères du confinement à Montréal pendant la pandémie COVID-19
Le TIP-OA est une intervention psycho-sociale ciblant la santé mentale et le bien-être émotionnel des aîné·es, menée pendant la pandémie COVID-19 d’octobre 2020 à juin 2021, afin de briser l’isolement et diminuer ses conséquences (Sekhon et al. 2022). Trois cent cinquante volontaires ont été formé·es afin de mener des conversations téléphoniques amicales hebdomadaires, abordant la santé globale, le vécu émotionnel et le stress perçu des aîné·es, âgé·es de 60 ans et plus. Les volontaires étaient des bénévoles ou des intervenants communautaires professionnel·les, confiné·es et ne pouvant plus atteindre les aîné·es qu’ils connaissent bien. Les volontaires ont été formé·es pour orienter l’usager·e vers un travailleur social, un médecin ou un psychiatre s’ils dépistaient des signes d’alarme d’anxiété ou de dépression. Les bénévoles pouvaient aussi aider à renseigner les usagers et à obtenir la livraison d’épicerie ou de médicaments. La formation était courte et il n’était pas nécessaire d’être un professionnel de la santé. Ce programme a été peu dispendieux, mené par téléphone ou visio-conférence et a permis d’atteindre 850 aîné·es dans le quartier multi-ethnique Côte-des-Neiges–Notre-Dame de Grâce à Montréal (QC, Canada), et d’offrir les entretiens dans la langue de choix de la personne (17 langues au total) par les bénévoles, en notant que certain·es aîné·es ne parlaient ni anglais ni français. Une étude de cohorte prospective portant sur 112 participant·es consécutifs a montré que ceux qui avaient les scores de symptômes dépressifs et anxieux les plus élevés avec les auto-questionnaires PHQ-9 et GAD-7 avaient une amélioration significative des symptômes dépressifs et une tendance, toutefois non significative, à l’amélioration des symptômes anxieux (Sekhon et al. 2022). Malgré les pics de contagion pendant la pandémie, il n’y a pas eu d’augmentation du stress perçu lors de cette intervention, ni de dépression, ni d’anxiété, ni de peur excessive de la COVID-19. L’analyse qualitative a révélé que ces appels ont été très appréciés des usagers (Sekhon et al. 2022).
Utilisation de la réalité virtuelle dans l’accompagnement : une étude pilote et futurs projets de recherche
Notre expérience d’utilisation de la visioconférence a été positive en termes de faisabilité avec une bonne tolérance. L’usage de la technologie est apprécié des aîné·es, y compris par ceux vivant avec un déclin cognitif. Il en est de même pour les hémodialysé·es et les personnes souffrant de troubles bipolaires. Ces populations vulnérables sont souvent les dernières à bénéficier des innovations technologiques. Pourtant, elles sont ravies de pouvoir les tester. La faible littéracie numérique n’a pas été un obstacle avec le soutien adéquat d’un proche aidant ou d’un professionnel. Nous avons donc décidé d’utiliser la RV, qui est la création en trois dimensions (3D) d’une image ou d’un environnement numérique, avec lequel l’utilisateur peut interagir physiquement, d’une façon qui paraît réelle, au moyen d’un équipement électronique, tels que des gants avec des dispositifs sensitifs, un ordinateur avec un écran et une manette de contrôle, permettant une rétroaction avec le programme informatique, ou d’un casque avec un écran interne (Super Splendide Inc. s. d.; Cinalioglu et al. 2023). Le résultat est une immersion, plus ou moins complète selon l’équipement utilisé, (RV immersive, non-immersive ou réalité augmentée). Les applications sont multiples (Qian, McDonough, et Gao 2020), surtout dans l’industrie du divertissement et de l’exercice physique (Gomez et al. 2018). En médecine, la RV a été utilisée à but récréatif en soins palliatifs (Super Splendide Inc. s. d.) ou en centres hospitaliers de soins de longue durée (CHSLD). La RV a été testée en réadaptation fonctionnelle pour des maladies neurologiques (Qian, McDonough, et Gao 2020; Pimentel-Ponce et al. 2021; Chen et al. 2022; Demeco et al. 2023) (accidents vasculaires cérébraux, maladies dégénératives, paralysie cérébrale congénitale, etc.), et s’est montrée supérieure à la réadaptation traditionnelle dans l’amélioration de l’équilibre, de la marche, et de la capacité physique (Qian, McDonough, et Gao 2020; Chen et al. 2022), avec peu d’effets indésirables (Hernandez et al. 2021).
Nous avons mené une étude pilote, randomisée et contrôlée de RV immersive afin de tester la faisabilité, l’acceptabilité et l’innocuité d’un programme de MPC en RV immersive pendant quatre semaines, au sein d’un groupe d’aîné·es de 65 ans et plus, vivant avec un stress important (Cinalioglu et al. 2023). Le casque permettait la diffusion d’un contenu audiovisuel relaxant (paysage de forêt ou de rivière)(Super Splendide Inc. s. d.) avec des instructions guidant la MPC (Cinalioglu et al. 2023). La RV a été très bien tolérée5. Aucun effet indésirable n’a été rapporté, probablement du fait de la diminution de l’acuité sensorielle, qui accompagne le vieillissement et qui pourrait rendre les aîné·es moins à risque de « cybermalaise ». Les participant·es ont trouvé les casques faciles à utiliser, n’ont pas eu d’interruption en raison de difficultés techniques et ont apprécié leur expérience. L’étude qualitative a révélé que la RV apporte une dimension divertissante et une distraction qui sont les bienvenues pour soulager le stress perçu. Tou·tes les participant·es ont complété les huit séances pendant les quatre semaines d’étude, ce qui est une adhésion remarquable pour une intervention psycho-sociale.
Nous avons plusieurs projets de programmes en RV dont certains en collaboration avec la compagnie montréalaise Super Splendide à partir de leur programme phare : Toujours Dimanche (Super Splendide Inc. s. d.). Cette plateforme (incluant les outils pour la formation de l’utilisateur et des professionnel·les de la santé) a été conçue par des artistes numériques afin d’offrir à des patients en soins palliatifs, l’expérience d’un voyage avec une projection audiovisuelle en 3D. Deux protocoles d’études pilotes ont été récemment approuvés par les comités d’éthique de la recherche : gestion de la douleur chronique avec la MPC en RV et exercice physique en hémodialyse en RV.
La première étude aura pour but de tester la faisabilité et l’efficacité d’une intervention de MPC hebdomadaire en RV pendant huit semaines, auprès de dix patient·es âgé·es de 65 ans et plus, souffrant de douleur chronique reliée à une fibromyalgie. Ce trouble est caractérisé par des douleurs diffuses musculosquelettiques, une fatigue chronique, des troubles du sommeil ainsi que des troubles mnésiques et de l’humeur. La physiopathologie serait une altération de la transmission par le cerveau et la moelle épinière des signaux nociceptifs, conduisant à une exacerbation de la douleur, difficile à traiter (Clauw 2014). Dans une perspective plus globale, la douleur chronique est un problème de santé publique majeur au Canada avec un impact sur la santé globale et le système des soins (Schopflocher, Taenzer, et Jovey 2011). Plus de sept millions de personnes sont aux prises avec une douleur chronique et les projections pour 2030 sont estimées à neuf millions. Le programme utilisé est Toujours Dimanche (Super Splendide Inc. s. d.) avec un casque de RV immersive. Les questions de recherche, outre la faisabilité, l’acceptabilité et la tolérance viseront à mettre en évidence un changement dans le stress perçu, l’anxiété, la dépression, la qualité de vie, l’insomnie et la qualité de l’expérience de MPC.
Le deuxième projet est une étude en 2 parties. La première partie est une co-création avec des patient·es partenaires, des professionnel·les de la santé (médecins, physiothérapeutes) et les artistes numériques de Super Splendide d’un programme permettant d’effectuer de l’exercice physique avec le casque de RV immersive, pendant les séances d’hémodialyse avec une adaptation spécifique aux limitations physiques reliées à l’hémodialyse. La deuxième partie est un essai pilote, randomisé contrôlé, de faisabilité comparant l’exercice avec RV au programme récréatif de RV, Toujours Dimanche.
Conclusion
Notre désir d’accompagnement en tant que médecins et chercheurs auprès de populations vulnérables souffrant de maladies chroniques, physiques ou mentales, nous a amenés à explorer une approche non pharmacologique, basée sur différentes techniques de médecine corps-esprit. Le corps et l’esprit, contenus dans la même « enveloppe », interagissent et s’influencent aussi bien dans les processus pathologiques que dans l’exacerbation de la perception des souffrances morales et physiques (Kabat-Zinn et Hanh 2009; Kabat-Zinn 2016), mais aussi dans la réparation naturelle, le « healing » (Kabat-Zinn 2016). La médecine occidentale du XXIe siècle offre une performance et une efficacité sans précédent ; cependant, les patient·es rapportent souvent un soulagement insuffisant de leurs souffrances physiques et morales et aspirent à une prise en charge holistique (Kabat-Zinn 2016). Certain·es patient·es n’osent pas évoquer leur détresse et se sont résignés à souffrir en silence car ils ont perdu confiance dans un système de soins, qu’ils considèrent incapable de répondre à leurs besoins d’autonomie et de bien-être émotionnel. Les professionnel·les de la santé éprouvent également une frustration lorsqu’ils se heurtent à la pénurie de ressources empêchant les patients d’accéder à des soins de santé mentale ou de réadaptation. Dans le secteur privé, si la psychothérapie peut débuter dans un délai raisonnable, son coût demeure inaccessible pour la plupart. En outre, la détresse psychologique associée à la maladie chronique s’est accrue depuis la pandémie COVID-19 (Hale et al. 2023). Nous avons acquis la conviction que de nombreux besoins peuvent être soulagés par les techniques ancestrales venues d’Orient, basées sur la MPC, le yoga, le tai chi, etc. La COVID-19 a contribué à diminuer les tabous autour des défis de santé mentale et d’isolement et nous a incité·es à utiliser et diffuser davantage la technologie : la visioconférence et la RV. D’ailleurs, il n’existe plus de si grand fossé de littéracie numérique entre les aîné·es et les jeunes adultes (Y. Q. Huang et al. 2023). Dans les études, les aîné·es se sont montré·es intéressé·es à être initié·es aux technologies émergentes.
Nos études pilotes ouvrent la voie à des essais randomisés contrôlés de plus grande ampleur afin de mieux cibler les patient·es qui bénéficieraient le plus des interventions basées sur la MPC, le yoga, le tai chi et la RV pour leur accompagnement. Dans une médecine fondée sur les preuves, ce sont ces études et les analyses de coût-efficacité qui apporteront les arguments convaincants afin d’obtenir les choix politiques et les investissements nécessaires dans la formation et le déploiement de programmes pérennes pour soutenir et accompagner les patient·es vivant avec une condition chronique.