×

Ce site est un chantier à ciel ouvert habité par les éditeurs, lecteurs, auteurs, techniciens, designers de Sens public. Il s'agence et s'aménage au fil de l'eau. Explorez et prenez vos marques (mode d'emploi ici) !

Dossiers2021/06/15

Textures : l’objet livre du papier au numérique

Informations
  • Résumé
  • Mots-clés (3)
      • Mot-clésFR Éditeur 322 articles 18 dossiers,  
        322 articles 18 dossiers,  
        Mot-clésFR Éditeur 82 articles 6 dossiers,  
        82 articles 6 dossiers,  
        Mot-clésFR Éditeur 138 articles 11 dossiers,  
        138 articles 11 dossiers,  
      Texte

      La texture des formes imprimées suscite un regain d’intérêt, alors même que le livre se dématérialise toujours davantage sur des supports numériques interactifs. Ce dossier conçu comme une exploration à l’intérieur de la matière même du livre, s’intéresse à la tension qui s’instaure entre texte et surface, ainsi qu’aux possibilités d’impression que peut offrir le papier sur le plan artistique et éditorial, tout en investissant la question de l’avènement de la texture de la page à l’écran.

      Cette étude a fait partie d’un programme triennal de recherche financé par le Labex Arts-H2H de l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis, dans le cadre du programme Investissement d’avenir (ANR-10-LABX-80-01). Le projet Textures a été pensé en étroite collaboration avec trois partenaires institutionnels nationaux français, les Archives nationales, la Bibliothèque nationale de France, et l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs, afin d’examiner l’objet livre sous un angle transdisciplinaire. Il a donné lieu à trois conférences ponctuées de performances d’artistes (Steve Tomasula, Shelley Jackson, Mark Amerika, Judd Morrissey, Johanna Drucker), plusieurs ateliers de recherche-création, deux expositions, et deux journées d’études. Les articles réunis ici interrogent la matérialité du livre (qu’elle soit au format papier ou numérique). Nous souhaitons d’ailleurs remercier l’ensemble des partenaires institutionnels et universitaires, notre unité de recherche TransCrit, ainsi que l’équipe de la revue Sens public, tout particulièrement Léonore Brassard, Margot Mellet, et Servanne Monjour.

      La texture, du latin, textura, se caractérise par un agencement de fils sur une toile ; le tissage se rapproche alors de la composition du texte par son tramé, voire son tracé. Ce texte-textile, envisagé comme « étoffe de sens » (Nancy 2003, 126), possède une dimension matérielle à travers le grain et le grammage du papier, les effets de volume, les découpes et mécanismes, qui invite à une lecture sensorielle de l’œuvre. Le terme « texture » ou « contexture » peut également s’appliquer à l’ensemble des métadonnées d’un texte numérique. La texture a déjà fait l’objet de plusieurs ouvrages de référence (Stead 2012 ; Barda et Finch-Race 2015 ; Bernier 2013). Toutefois, assez peu de travaux ont été consacrés exclusivement à la texture des livres objets.

      Que faut-il entendre par livre objet ? Cette catégorie au spectre large comprend aussi le livre de création que Pascal Fulacher définit dans Six siècles d’art du livre (2012) comme « unique ou multiple. Conditionné par un texte – de nature littéraire ou poétique – il se caractérise par un processus artistique engagé dans sa matérialité même, processus intervenant tant au niveau du support que de la typographie, de l’illustration ou de la reliure. » (2012, 238) Il s’agit donc d’inclure des livres d’artistes et, dans ce domaine, les travaux d’Anne Moeglin-Delcroix et de Johanna Drucker (1995) font office de référence, des objets hybrides tels que les livres animés, les transfictions, les ouvrages composites de la littérature contemporaine et cyborgs littéraires, ainsi que les nouveaux livres numériques, qui chacun à leur façon, par leur appartenance à la fois au domaine littéraire et à la culture graphique ou plastique, échappent à toute tentative de classification. Nous avons choisi d’observer plus particulièrement le roman contemporain, le livre d’artiste et la littérature jeunesse car ce sont trois types de formes littéraires qui interrogent le rapport texte-image, en repensant les normes typographiques, la spatialisation du texte, et l’existence du livre en tant qu’objet, en remettant en cause sa matière même, ses formats, son support papier, de la couverture jusque dans ses plis.

      À travers le terme « textures », nous entendons explorer le rapport entre le texte et sa matière, la façon dont il est mis en relief, voire activé par des mécanismes sur papier ou au format numérique. Dans chacun des articles, nous avons cherché à comprendre à qui s’adressent ces objets livres et quelle(s) temporalité(s) de lecture ils nécessitent. Quels modes d’accès au sens convoquent-ils ? Plus largement, sont-ils voués à être vus, lus, exposés, dépliés, manipulés, collectionnés, conservés ? Comment les matières textuelles dans leurs diverses modalités (textes textiles, ouvrages sculptés, livres d’artistes ou œuvres numériques) interrogent-elles en retour le tissage et tressage du sens ? De façon à mieux faire apparaître les zones de contact entre littérature de jeunesse, livres d’artistes et littérature contemporaine, nous avons encouragé les regards croisés portant sur différentes formes possibles de textures afin de dégager quatre domaines qui constitueront les quatre axes de cet ouvrage.

      La première partie, La matière à l’œuvre, regroupe des articles qui interrogent les œuvres dont le travail sur la texture les place dans un rapport de porosité avec les thématiques abordées par le livre d’artiste. Cette section fait état d’une réflexion sur l’étoffe même de la littérature puisqu’il s’agit d’étudier les ratures, les perforations, les taches et autres actions profanatrices, mais également les sonorités de la matière, le bruissement des pages ou, inversement, leur silence. Il est également question de la formation de la matière livresque, à travers une étude de sa composition, décomposition, recomposition et la façon dont une œuvre comme La Maison des feuilles de Mark. Z. Danielewski (2000) multiplie les effets de texture. Cette première partie présente aussi le cheminement inverse, à travers deux études qui s’intéressent aux artistes qui ont exploité la matérialité du livre dans leurs propres créations.

      Il fallait commencer par entrer dans la matière du livre, et traverser l’épaisseur de sa texture. « Les trous ou le reste du livre » de Benoît Tane, nous invite à réfléchir à la perforation de la matière, à travers une sélection d’albums jeunesse tels que The Rocket Book (1912) de Peter Newell, The Very Hungry Caterpillar (1969) d’Eric Carle, À quoi sert un trou dans un livre ? (1992) de Jean-Olivier Héron, Ça y est, je vais naître (Komagata 1995) de Katsumi Komagata et Trou (Torseter et Coursaud 2013) de Øyvind Torseter. Dans ces ouvrages, le trou s’impose, certes, comme un espace d’évidement de la matière, mais également comme un espace de résistance. Euriell Gobbé-Mévellec interroge également la matière vide et plus particulièrement le rapport entre la texture et la participation du lecteur, en croisant formes imprimées et numériques, notamment Cappuccetto bianco (1999) de Bruno Munari, L’Heure vide (2000) d’Anne Herbauts, Again! (2011) d’Emily Gravett, Tout un Louvre (2005) de Katie Couprie et Antonin Louchard et Alice for the Ipad (2010). A partir de la définition de l’album de Ségolen Le Men, Euriell Gobbé-Mévellec démontre dans « Griffonner, gribouiller, déchirer l’album numérique » dans quelle mesure les jeux sur la matière fabriquent le lecteur, invité à apposer des marques de subjectivité au cœur de la page, et à s’initier ainsi aux codes de lecture. Cette idée d’engagement du lecteur dans la matérialité de l’œuvre est également avancée par Manuelle Duszynski, dans son article « Le bruissement de la page : le langage de la matière dans les albums d’Anne Herbauts ». Elle y développe la notion de geste profanateur et ce qu’elle appelle la notion de complétude. Le livre est un espace incomplet que le lecteur va combler. Manuelle Duszynski propose une analyse de trois albums construits comme des sculptures, Lundi (2004), Les Moindres petites choses (2008), et De quelle couleur est le vent? (2011) qui travaillent la texture, par un jeu plastique sur les mots, et incitent un lecteur actif à manipuler l’ouvrage pour questionner les limites de la figuration, investir les blancs, non plus sur la page mais entre les pages, de façon à détecter, dans la texture même du livre objet qui s’ouvre, se rabat, ou se feuillette, les débordements sonores de la page.

      Le livre à système a, sans doute, trop souvent été pensé en termes de spatialisation, tant il est vrai que ses mécanismes reposent sur des effets de volumes et d’étirements. Dans l’article « De la lecture à la relecture des objets-livres, un « système » temporel à construire ? », Éléonore Hamaide-Jager montre que les livres objets, en particulier les ouvrages de type pop-up, de moins en moins narratifs, génèrent une temporalité nécessaire à leur manipulation et aux découvertes qu’ils exigent. Elle revient, entre autres, sur les albums de David Carter, Un point rouge (2005), 2 Bleu (2006) ou 600 pastilles noires (2007), qui, à force d’explorations au cœur de la matière, dilatent le temps de lecture. C’est la texture même du pop-up qui rythme la lecture, la tentation haptique oblige à pratiquer une lecture fragmentée, imposée par une gestualité du présent, qui suscite une envie de relire en renvoyant à un passé de lecture, souvenir d’un moment partagé. Avec « Le livre décomposé : la Maison des feuilles ou la multiplication intrigante des récits », nous quittons un instant l’album jeunesse pour regarder de plus près un objet hybride inclassable, véritable collision entre le livre d’artiste et la fiction contemporaine. Gaëlle Debeaux envisage ici le roman métatextuel de Mark Z. Danielewski comme une œuvre à la texture stratifiée, qui tout en multipliant les récits, se dédouble sur plusieurs supports médiatiques. La matérialité du livre impacte le médium et inversement : Gaëlle Debeaux rappelle qu’à l’heure du numérique un texte ne peut plus être conçu comme un simple ensemble de mots. Il est nécessairement à la fois un contenu, une forme et un médium.  Utiliser la texture du livre comme support médiatique fait justement partie du programme créatif de l’artiste écossaise Georgia Russell. L’article d’Anne Béchard-Léauté, « North, East, South, West: Georgia Russell’s Scottish Cut-out Landscapes », nous invite à réfléchir à la texture des mots et aux rapprochements entre littérature et sculpture puisque chez cette plasticienne, les constructions de papier réalisées au scalpel dissèquent la surface en apparence plate du livre, la creusent, ou la déplient, pour mieux rendre visible l’anatomie complexe du livre qu’elle présente comme un organisme naturalisé. Cette première partie se clôt sur une étude de la texture poétique à travers trois œuvres inclassables, ou objets poétiques (2009-2011) : Vivam, une poésie-sculpture en bois, œuvre collaborative du poète Deryn Rees-Jones et de la sculpteur Marion Smith ; The Wren’s Egg, création hybride, à mi-chemin entre le poème et la photographie, réalisée par Deryn Rees-Jones et Alice Maher ; et Poempondscroll, poème visuel de la poétesse Valerie Gillies, qui déroule une longue image photographique réalisée par Helen Douglas. Dans « Poetry Objects from the Poetry Beyond Text Project: Text, Form and Texture », Andrew Michael Roberts interroge ces formes intermédiales, tri-dimensionnelles qui transgressent le protocole de lecture habituel, pour chercher à comprendre si la poésie peut exister sur d’autres supports, hors du livre.

      La deuxième partie, Adaptations et transferts du papier au numérique, regroupe des articles qui s’intéressent à la remédiation, et à l’exportation d’un format numérique vers un autre. Que devient la texture du livre imprimé lorsque celui-ci passe au format numérique ? Le processus de lecture est-il le même ? Ces nouveaux livres objets sont-ils des prolongements des ouvrages papier ou faut-il y voir des formes indépendantes ?

      Il était nécessaire d’inscrire l’avènement des applications numériques dans une histoire du livre interactif. C’est justement le programme de « Livres animés, sculptures de papier : perspectives historiques » de Gaëlle Pelachaud qui retrace l’évolution du livre à système, depuis les manuscrits d’astronomie médiévale à volvelles, aux découpes des traités d’anatomie, sans oublier les ouvrages religieux portatifs comme La confession coupée (1677), permettant par un système de languettes combinatoires d’accéder à un répertoire de pêchés possibles, en passant par le livre d’artiste et une sélection d’e-books enrichis comme Mon Voisin (2012) aux éditions Des Braques. En ce qui concerne le livre animé pour enfants, Gaëlle Pelachaud rappelle que l’apparition de l’édition jeunesse est liée à la création du statut commercial de l’enfant-lecteur. La grande variété d’ouvrages destinés aux jeunes lecteurs, comme les arlequinades, les livres-théâtres (tunnel books) et autres supports à tirettes, en relief animé, à musique, doivent beaucoup à l’ingéniosité d’éditeurs visionnaires comme Robert Sayer, la maison Dean & Son en Angleterre, Ernerst Nister et Lothar Meggendorfer, en Allemagne. Cette vision panoramique que nous propose Gaëlle Pelachaud est aussi l’occasion de recueillir son point de vue d’artiste puisqu’elle-même compose des livres objets.

      Dans « Lorsque l’objet devient virtuel : adaptations de livres, objets en livres numériques », Côme Martin livre une étude sur la dynamique du passage de l’imprimé au numérique dans trois œuvres : un roman ergodique, Composition n°1 de Marc Saporta (2011), un livre d’artiste composé à partir d’une narration préexistante, A Humument de Tom Phillips (2016), et un roman multimédial, The Fifty Year Sword de Mark Z. Danielewski (2013), tous disponibles dans les deux formats. Ces trois œuvres protéiformes déplacent la poétique du toucher sur d’autres plans, comme par exemple l’exploration manuelle et narrative et redéfinissent le rôle du lecteur, appelé à être un « lectacteur » (Rageul 2009, 68), selon la terminologie d’Anthony Rageul, autrement dit, un interprète à la fois impliqué dans une activité de lecteur et de jeu d’acteur.

      Si l’on voit bien l’implication du lecteur incité à naviguer au cœur de la texture, qu’en est-il, au fond, du livre lui-même ? Quelle est la place du livre papier, dont la mort a si souvent été annoncée, au sein de ces nouveaux objets-livres numériques ? Dès 1992, Robert Coover, s’interroge sur la fin du livre (« The End of Books », The New York Times, June 21; 1992) en théorisant l’hypertexte comme une technologie dont la propriété serait de procéder par absorption et déplacement : « What I had not clearly foreseen, however, was that this is a technology that both absorbs and totally displaces. Print documents may be read in hyperspace, but hypertext does not translate into print.»(1992) Côme Martin, renverse le paradigme habituel considérant le numérique comme l’ennemi du papier. La question qu’il pose, sur l’existence même de la littérature imprimée, trouve un élément de réponse dans l’article d’Anaïs Guilet : « Les figures du livre dans les applications de fiction pour tablettes tactiles » qui constate que le livre en tant qu’objet occupe une place de choix dans de nombreuses applications comme L’Homme Volcan de Mathias Malzieu, l’adaptation par Byook de La bande mouchetée de Sherlock Holmes et The Fantastic Flying Books of Mr. Morris Lessmore des studios Moonbot. Selon Anaïs Guilet, la terminologie même, ebooks, livres augmentés ou enrichis, atteste de la dimension méta-médiatique de ces objets, et de la difficulté de sortir d’un système textuel toujours axé sur la culture du livre. Même dans le cas des imagiers à destination des très jeunes lecteurs, l’appellation « appli-livre » nous ramène inévitablement à l’imprimé, comme le rappelle Leyla Vahedi dans « Facce et Facciamo ! (Topipittori). Description du projet d’édition et réflexions sur les modalités de lecture des enfants ». Inspiré du livre Facce (visages en italien) d’Antonella Abbatiello (2013), Facciamo est l’un des premiers projets numériques transalpins qui se propose d’animer les pages d’un imagier d’expression, tout en permettant de familiariser l’enfant à l’outil électronique et éventuellement de poursuivre la lecture sur un autre support, en revenant au format papier. Revenir aux possibilités infinies du papier telle est la programmatique de Jonathan Baillehache qui dans son article « The Digital Reception of A Hundred Thousand Billion Poems » confronte la version originale de Raymond Queneau datée de 1961, considérée non seulement comme un texte précurseur sur le plan de la poésie générative mais également comme l’origine de l’hypertexte, et les remédiatisations du poème. Cent mille milliards de poèmes (1985) est une œuvre qui a été pensée comme une véritable machine poétique. Jonathan Baillehache part du mot machine, cité par Queneau dans la préface, et étudie l’interprétation qui en est faite dans les versions numériques, notamment celle de D Starynkevitch de 1961 et celle de Paul Braffort (1975). Les modalités d’adaptation du livre d’artiste en livre numérique sont aussi au cœur des préoccupations de Lucile Haute et Emeline Brulé dans « Livres d’artistes, livres numériques » (à venir) qui s’interrogent, plus particulièrement, sur ce qui fait livre dans le numérique. Le terme « livre » est-t-il pertinent pour décrire la famille d’objets qui composent la littérature électronique ? Il semblerait qu’il soit nécessaire de réorienter toute tentative de définition vers l’acte d’encapsulation et donc d’éditorialisation. Les travaux de Haute et Brulé reposent sur une analyse croisée entre un corpus composé de cinq œuvres de natures variées : Afternoon a Story de Michael Joyce (1987), Agrippa (A Book of the Dead) de Denis Ashbaugh, William Gibson et Kevin Begos (1992), Riding the Bullet de Stephen King (2000), The Fry Chronicles (2010)de Stephen Fry le projet AIME de Bruno Latour (2012-) et les conclusions d’un atelier pratique mené à l’EnsAD.

      La troisième partie, Textures et écritures contemporaines, est consacrée aux fictions et livres ouvragés dont la texture renégocie le rapport à l’écriture comme mode purement textuel. Que l’on pense aux différentes formes d’entrelacs textuels et visuels (VAS: An Opera in Flatland de Steve Tomasula), les « imagetextes » que définit W.J.T Mitchell dans Picture Theory (1994), ou aux effets de superpositions (A Humument de (2016) Tom Phillips), d’évidement (Tree of Codes (2011) de Jonathan Safran Foer), ou encore au travail de couture ou de tissage (Jen Bervin, Mark Z. Danielewski The Fifty Year Sword (2013)), il s’agit d’examiner ici les modes de sens qui affleurent dans la texture de l’objet livre. Les articles suivants s’intéressent à la manière dont les écritures contemporaines retravaillent la notion de livre (que faut-il entendre par page, par feuillet ? Qu’est qu’un « livre » numérique ?). Pour Johanna Drucker, les livres ont une temporalité de lecture distincte de celle des œuvres plastiques : « books are time-based media. They unfold in sequence (fixed or not) over time, require a certain amount of attention, and can’t be taken in in the ‘all at once glance’ mode we have come to believe is the correct way of viewing visual art » (Drucker 1998). L’objet livre doit-il se parcourir comme une œuvre visuelle ou faut-il l’envisager comme un nouveau type de séquençage narratif ? Comment dès lors lire la texture de l’objet livre ? Cette section s’ouvre sur un extrait d’une épopée mutlimédia sur le temps, TOC: A New Media Novel de Steve Tomasula (2009), qui s’interroge sur ce que le livre est, et, peut être (à venir). Produit sous forme de DVD pour une lecture sur ordinateur, TOC est un assemblage de textes, de films, de musiques, de photographies, de mots, d’animations et de peintures, qui préserve l’expérience intime et individuelle de la lecture en s’inspirant d’autres formes d’art, afin d’immerger le lecteur dans une histoire multimédia tout à fait nouvelle. Le protocole de lecture d’une œuvre multimédia occupe une place centrale dans l’article d’Anne-Laure Tissut, « How to Do Things with Books: Steve Tomasula’s VAS an Opera in Flatland » dans lequel elle établit comment cette œuvre hors norme, hybride, assimilable à un corps, par sa peau aux veines apparentes, questionne notre rapport à la matérialité du livre, de telle sorte que la texture impacte notre lecture. Jerome Fletcher envisage le devenir de l’objet, à travers une de ses créations, « Escape from the Temple of Laughter » (1994). Cette œuvre multimodale pour enfants se présente comme un objet aux frontières poreuses dont le contenu se serait échappé, pour se soustraire au contrôle totalisateur du codex. C’est au lecteur de résoudre l’éclatement du livre, disséminé à travers des cartes ou, en reliant les différents éléments entre eux. Bien avant le web 2.0, l’ouvrage de Jerome Fletcher portait déjà en lui les caractéristiques d’une œuvre hypertexte. La numérisation récente de l’ouvrage incite à se pencher sur l’impact d’une telle re-contextualisation.

      Enfin, la dernière partie, Classer et archiver la texture, est consacrée à la question du relief de l’objet livre qui, à travers son architecture de formats infinis, nous invite également à réfléchir aux problématiques de conservation. Plus précisément, comment conserver le volume, le pli, le friable, l’éphémère, l’hypertexte ou la page écran ? « La consignation » telle que la définit Jacques Derrida « tend à coordonner en un seul corpus, en un système ou une synchronie dans laquelle tous les éléments articulent l’unité d’une configuration idéale ».(1994, 14) Comment consigner l’hétérogénéité du livre objet ? Quelles médiations faut-il envisager pour ce genre d’objets ? Pour répondre à ces questions, nous avons souhaité clore cette réflexion sur les différentes pratiques de bibliothèques, en laissant la parole aux spécialistes qui ont contribué directement à la conception ou à la mise en œuvre de systèmes de stockage spécifiques aux livres objets. Le texte spatialisé de la page à l’écran pourrait offrir de nouveaux modes de lecture critique du texte. Pour Élise Canaple, il ne s’agit pas tant de transfert d’un support à un autre que de classification. « LA, c’est pour Livres Animés : une collection dans la collection au Centre de l’illustration de la Médiathèque André Malraux de Strasbourg » fait état, au sein d’une médiathèque de lecture publique des spécificités d’une collection de livres animés, aux formats atypiques et aux titres inclassables, en termes de conservation, valorisation et médiation. Initialement constitué dans les années 90 par des bibliothécaires jeunesse, le fonds s’est naturellement développé au moment du retour en force du pop up dans les années 2000, et suite à la demande du jeune public, mais également des étudiants d’art. Depuis sa création en 2008, jusqu’à sa fusion prochaine au sein d’un fonds patrimonial élargi, la mission du Centre n’a pas consisté uniquement à réfléchir à l’utilisation d’une nomenclature pour ces livres animés, il a également mis en place des protocoles de conservation pour sensibiliser le grand public à la texture particulièrement fragile de ces œuvres inclassables.

      Enfin ce projet qui a commencé par une traversée de la texture avec une étude sur la perforation s’achève sur le lien entre texture et architecture. Dans son article « Bâtir des livres : les rapports entre l’architecture et l’édition », André Tavares part du postulat que ces deux cultures ont une terminologie commune – texture, surface, rythme, structure axée sur la matérialité. En effet, les livres d’architectes, tels que Plans, Elevations, Sections and Details of the Alhambra : From Drawings Taken on the Spot in 1834 (1842-5) d’Owen Jones (2013) ; Vers une architecture (1923) de Le Corbusier  (1995) ; S, M, L, XL de Rem Koolhaas (1995), ont joué un rôle majeur dans l’évolution de l’architecture, tout comme l’archi-texture de ces ouvrages a pu influencer la conception de bâtiments uniques.

      Bibliographie

      Abbatiello, Antonella. 2013. Facce. Milan: Topipittori.

      Barda, Jeff, et Daniel A. Finch-Race. 2015. Textures : processus et événements dans la création poétique moderne et contemporaine. Berne: Peter Lang.

      Bernier, Stéphanie. 2013. Le Livre comme art : matérialité et sens. Montréal: Nota Bene.

      Carle, Eric. 1969. The Very Hungry Caterpillar. Namur: Mijade.

      Carter, David A. 2005. Un Point rouge. Paris: Gallimard jeunesse.

      Carter, David A. 2006. 2 bleu: un livre pop-up pour les enfants de tous âges. Paris: Gallimard-Jeunesse.

      Carter, David A. 2007. 600 pastilles noires: un livre pop-up pour les enfants de tous âges. Paris: Gallimard.

      Coover, Robert. 1992. « The End of Books ». The New York Times, juin. https://www.nytimes.com/1992/06/21/books/the-end-of-books.html.

      Corbusier, Le. 1995. Vers une architecture (1923). Paris: Flammarion.

      Couprie, Katy, et Antonin Louchard. 2005. Tout un Louvre. Paris: Éditions Thierry Magnier.

      Danielewski, Mark Z. 2000. House of Leaves. New York: Pantheon Books.

      Danielewski, Mark Z, et Héloïse Esquié. 2013. L’Épée des cinquante ans. Paris: Denoël.

      Derrida, Jacques. 1994. Mal d’archive. Paris: Éditions Galilée.

      Dorléans, Marie, et Guillaume Gallienne. 2012. « Mon voisin ». Paris: Édition des Braques.

      Drucker, Johanna. 1995. The Century of Artists’ Books. New York: Granary Books.

      Drucker, Johanna. 1998. Figuring the World : Essays on Books, Writing and Visual Poetics. New York: Granary Books.

      Fletcher, Jerome. 1994. Escape form the Temple of Laughter: and other Episodes from the Life of J. Rathbone Fish. New York; London: Scholastic.

      Foer, Jonathan Safran. 2011. Tree of Codes. 2. ed. London: Visual Ed.

      Fulacher, Pascal. 2012. Six siècles d’art du livre. De l’incunable au livre d’artiste. Paris: Citadelles et Mazenod/Musée des lettres et manuscrit.

      Gibson, William, Dennis Ashbaugh, et Kevin Begos. 1992. Agrippa (A Book of the Dead). Chicopee, MA: The Sun Hill Press.

      Gravett, Emily. 2011. Again! London: Macmillan Children’s Books.

      Herbauts, Anne. 2000. L’Heure vide. Paris: Casterman.

      Herbauts, Anne. 2004. Lundi. Tournai: Casterman.

      Herbauts, Anne. 2008. Les Moindres petites choses. Tournai: Casterman.

      Herbauts, Anne. 2011. De quelle couleur est le vent? Bruxelles: Casterman.

      Héron, Domitille, et Jean Olivier Héron. 1992. À quoi sert un trou dans un livre? Paris]; [L’Île-d’Yeu] (Ker Pissot, 85350): A. Michel ; Gulf stream.

      Jones, Owen. 2013. Plans, Elevations, Sections, and Details of the Alhambra, from Drawings taken on the Spot in 1834 by Jules Goury, and in 1834 and 1837. Isha Books.

      Joyce, Michael. 1987. Afternoon, a Story. Eastgate Systems.

      King, Stephen, et Josh Hamilton. 2000. « Riding the bullet ». New York: Simon & Schuster Audio.

      Komagata, K. 1995. Ca y est, je vais naître. One Sroke. https://books.google.ca/books?id=t8-dNAAACAAJ.

      Leutbrewer, Christoph O. F. M., Le P. 1677. La Confession coupée, ou la méthode facile pour se préparer aux confessions particulières et générales ... de l’invention du R.P. Christophle Leutebreuver ... revue et corrigée en cette dernière édition ... Paris: D. Thierry et C. Barbin. http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb30807749q.

      Mau, Bruce, et Rem Koolhaas. 1995. Small, Medium, Large, Extra-large: Office for Metropolitan Arcitecture. Édité par Jennifer Sigler. Rotterdam: 010.

      Mitchell, W.J.T. 1994. Picture Theory: Essays on Verbal and Visual Representation. Chicago: University of Chicago.

      Munari, Bruno. 1999. Cappuccetto Bianco. 1. rist. Bambini. Mantova: Corraini.

      Nancy, Jean-Luc. 2003. Au fond des images. Paris: Galilée.

      Newell, Peter. 1912. The Rocket Book. New York: Harper & Brothers.

      Phillips, Tom, et W. H. Mallock. 2016. A Humument: a Treated Victorian Novel. Final edition. London: Thames & Hudson Ltd.

      Queneau, Raymond. 1985. Cent mille milliards de poèmes. Paris: Gallimard.

      Rageul, Anthony. 2009. « Bande dessinée interactive : comment raconter une histoire ? » Mémoire de Master 2, Rennes: Université Rennes 2 Haute-Bretagne.

      Saporta, Marc, et Salvador Plascencia. 2011. Composition No. 1. London: Visual Editions.

      Stead, Evanghelia. 2012. La Chair du livre : matérialité, imaginaire et poétique fin-de-siècle. Paris: PUPS.

      Tomasula, Steve, et Stephen Farrell. 2009. Toc. A New Media Novel. Tuscaloosa, ALA: University of Alabama press.

      Torseter, Øyvind, et Jean-Baptiste Coursaud. 2013. Le Trou. Genève: La Joie de lire.

      Articles (16)
      Avec la texture, le trou est peut-être à l'épreuve du numérique. On voudrait explorer ici certains de ces livres troués, sans en faire une histoire ou une typologie mais en montrant en quoi cette spécificité travaille et révèle le support. Le trou peut être un accident mais il transgresse aussi …
      L’étude qui suit interroge la matérialité de l’album pour la jeunesse, en s’intéressant aussi bien aux formes imprimées qu’aux formes numériques – et aux relations qu’elles entretiennent entre elles – à l’époque contemporaine. Elle propose, en s'appuyant sur certains travaux de Ségolène Le Men, de (re)définir l'album comme un support …
      Le bruissement de la page Le langage de la matière dans les albums d’Anne Herbauts
      Dans les albums qu’elle « fabrique », l’auteur et illustratrice Anne Herbauts s’engage au cœur de la matière. Elle investit les espaces vides, les plis et les découpes ainsi que les volumes. Non seulement elle fait dialoguer le texte et l’image à travers des effets de manque ou de débordement …
      Inscrit dans une longue tradition, le livre à système suscite un véritable engouement. La surprise de ces livres en volume a focalisé l’attention sur leur spatialisation au détriment de la question de la temporalité. En effet, les livres-objets, et plus particulièrement les pop-up, ont longtemps reposé sur une narration qui …
      Cet article porte sur le roman de l’auteur américain Mark Z. Danielewski, House of Leaves, et interroge la façon dont la matérialité du texte fait partie intégrante de la construction de l’intrigue du roman. La disposition du texte sur la page fait l’objet d’un travail minutieux : le livre n’est …
      North, East, South, West Georgia Russell's Scottish Cut-out Landscapes
      Le travail de la sculptrice écossaise Georgia Russell présente au spectateur des objets non identifiés : des hybridations inconnues créées par des processus de lacérations avec un scalpel. Les livres ou les photographies qu’elle dissèque se déploient vers l’extérieur en objets sculpturaux qui opèrent dans l’espace de manière organique, soit …
      Le projet Poetry Beyond Text s’est intéressé à des œuvres poético-visuelles hybrides (y compris des livres d'artistes, des gravures, des sculptures poétiques et des œuvres numériques) en s’appuyant sur des méthodes de recherche théoriques, psychologiques et pratiques. Trois œuvres seront analysées ici : Vivam, une poésie-sculpture en bois créée par …
      Le livre animé permet de pénétrer l’univers du mouvement et de la profondeur de la page. Il n’est plus un objet plat. Le lecteur est invité à manipuler les éléments de la page. La structure interactive des livres d’images à mécanismes offre des possibilités d'interaction. Les pages prennent du volume, …
      Lorsque l’objet devient virtuel Adaptations de livres objets en livres numériques
      Alors que la forme du livre objet n’a cessé d’évoluer depuis les années 1960, le développement croissant de la littérature numérique pose la question de la confrontation entre la matérialité du récit et ses possibilités multimédia. Ainsi, les thématiques portées par des livres comment A Humument de Tom Phillips (création …
      À l’heure du numérique et de la mort maintes fois énoncée du livre, on aurait pu croire que le pouvoir symbolique du livre se voit diminué. Or, il n’en est rien. Il s’agira donc d’analyser la portée et les enjeux des différentes manifestations du livre en s’appuyant sur une étude …
      Facce et Facciamo! (Topipittori). Imagiers et appli-livres pour les tout-petits. Description du projet d’édition et réflexions sur les modalités de lecture des enfants.
      Les applications de la maison d’édition Minibombo et celles de la série Facciamo! (« Faisons ! ») font partie des premiers projets numériques pour les tout-petits en Italie. Lancées en 2014, elles sont inspirées de l’imagier Facce (« Visages ») d’Antonella Abbatiello paru aux éditions Topipittori en 2013. Les applications …
      Cent mille milliards de poèmes (CMMP) de Raymond Queneau est conçu comme une machine à composer des poèmes. Queneau utilise le mot « machine » dans la préface des CMMP pour désigner un outil offert au lecteur désireux de fabriquer ses propres sonnets. Immédiatement après sa publication en 1961, des …
      How To Do Things With Books Steve Tomasula’s VAS, an Opera in Flatland.
      Au fil des pages multi-média de VAS se poursuit une exploration des formes de représentation, permettant de montrer comment le sens s’y produit. À cette occasion, les modalités de la lecture elle-même sont radicalement remises en question, ainsi que notre relation au livre. On s’attachera à montrer comment VAS revisite …
      Escape from the Temple of Laughter From Book-object to Digital Event
      En guise de réflexion sur ce que l’on peut trouver « au-delà du livre », cet article s’intéresse au roman multimodal pour enfants Les évadés du temple du rire (Escape from the Temple of Laughter) publié au milieu des années 1990. Partant d'un examen du livre à la fois comme …
      LA, c’est pour Livres Animés Une collection dans la collection au Centre de l’illustration de la Médiathèque André Malraux de Strasbourg
      C'est aujourd'hui plus de 2 000 titres qui sont actuellement désignés comme « livres animés » au sein des collections du Centre de l'illustration de la Médiathèque André Malraux de Strasbourg. Mais quelle réalité concrète ce nombre et ce terme désignent-ils ? D'images en relief en reliures carrousels, de tirettes …
      Bâtir des livres Les rapports entre l'architecture et l'édition
      Cet article cherche à montrer comment les livres d'architecture ont été utilisés pour tenter de matérialiser des connaissances spécifiques. Nous nous intéresserons en particulier à deux années, 1851 et 1925, qui fonctionnent comme des coupes transversales permettant de déchiffrer les bâtiments et les livres dans un même récit. Pour ce …