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Minorités et les Luttes de Libération en Amérique Centrale

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      • Mot-clésFR Éditeur 48 articles
        48 articles
        Mot-clésFR Éditeur 106 articles 6 dossiers,  
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        Mot-clésFR Éditeur 485 articles 14 dossiers,  
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      Texte

      Conférence prononcée au Colloque de Presov « Tolérance et différence » organisé par le Département de langue et de littérature françaises de la Faculté des Lettres de l'Université de Presov, les associations Jan Hus et Sens Public, avec le soutien de l'Ambassade de France en Slovaquie, en septembre 2006.

      L’Amérique Latine était, jusqu’à l’arrivée des colons peuplés de communautés indigènes. Si certaines d’entre elles avaient des penchants guerriers (Aztèques), d’autres étaient de redoutables administrateurs (Incas) ou encore d’excellents scientifiques et astrologues (Mayas). Selon les sources, on estime entre 6 millions à 23 millions le nombre d’indigènes qui peuplaient le continent latino-américain avant l’arrivée des espagnols. En général c’étaient des peuples pacifiques qui vivaient de la nature (pêche, chasse, cueillette) et du commerce.

      A l’arrivée des conquistadors, les rudes conditions de vie, les travaux forcés et les maladies ont contribué à décimer très rapidement les populations indigènes. En même temps, avec les noirs venus d’Afrique et les espagnols, il s’est produit un « un brassage ethnique » donnant comme résultat un métissage progressif, principale composante des populations actuelles du sous-continent.

      En un peu plus d’un demi-siècle les populations indigènes furent presque anéanties tant par les massacres perpétrés par les vainqueurs que du fait des nouvelles maladies apportées par les conquistadors. Systématiquement les conquérants imposèrent leur culture et leurs traditions, effaçant peu à peu les traces des civilisations antérieures.

      Toutefois, dans certaines régions, surtout en Méso-Amérique et dans la cordillère des Andes, certains groupes indigènes ont survécu à ce métissage. C’est essentiellement de ces catégories ethniques qu’il s’agit dans cette présentation

      Indiens, Métis, et leur part cumulées dans la population du pays.

      L’Amérique Centrale est la partie du continent à plus forte concentration indigène. C’est aussi la région où les mouvements de protestation sont les plus actifs. Je centrerai mon intervention sur cette aire géographique et deux autres pays (Bolivie et Pérou) compte tenu également de leur forte densité en populations indigènes.

      En général le terme minorités désigne un groupe d’individus, minoritaire en nombre par rapport au bassin démographique où il se trouve. En Amérique et en Europe, le terme renvoie souvent, voire presque exclusivement, à des minorités ethniques, « socialement vulnérables, économiquement fragiles et politiquement marginales ou marginalisées.

      En Amérique, dans les faits, le terme minorité renvoie aux communautés noires et indigènes toujours avec les mêmes critères de marginalisation socio-économique. Ici en Amérique Centrale, le terme minorité désigne sans équivoque des « minorités ethniques », défavorisées, descendants essentiellement des populations indigènes ou « peuples premiers ».

      C’est ainsi qu’en Haïti par exemple, un pays qui compte 95% de noirs et à peine 5 % de blancs et de mulâtres, ces derniers exerçant traditionnellement l’ensemble de l’activité économique, ne sont jamais con sidérés / désignés comme des minorités. Le Guatemala ou la Bolivie illustre la même situation en sens inverse. Quoique la population indigène représente respectivement 66% et 55 % de la population 1 respectivement, on continue à les désigner et considérer comme des minorités puisqu’ils sont socio-économiquement en situation défavorable.

      Les indigènes en Amérique Centrale ont toujours vécu en situation d’exclusion. Ecartés des sphères politiques et des activités économiques, leur situation sociale a toujours été des plus catastrophiques.

      Ignorés, abandonnés à leur propre sort, une prise de conscience lente et progressive s’est amorcée au début des années 80. Souvent encadrés par des ONG, cet élan a donné naissance à plusieurs mouvements qui ont pour objectif de lutter pour faire reconnaître et respecter leurs droits. C’est ce mouvement contre l’oppression, l’indifférence et la marginalisation qui est qualifié de « lutte de libération » des minorités indigènes.

      Principaux groupes ethniques d’Amérique Latine et populations indigènes d’Amérique Centrale : nombre et concentration géographique

      La population indigène totale d’Amérique latine comprend un peu plus de 400 groupes amérindiens distincts, avec leurs propres langues et dialectes.

      Population indigène d’Amérique Centrale

      En Méso-Amérique la majeure partie de la population indigène se concentre au Guatemala (66% de sa population). Le deuxième pays en nombre est le Mexique qui totalise 12% de populations indigènes mais, en nombre représente un peu plus de 10 millions d’habitants, soit deux fois la population de la Slovaquie !

      A ces pays d’Amérique Centrale, il faut ajouter deux autres pays d’Amérique Latine en raison de leur fort taux d’indigénisation. C’est le cas de la Bolivie et du Pérou qui comptent respectivement 55 % et 45% de populations indigènes. Ces deux régions – Méso-amérique et la cordillère des Andes regroupent à elles seules 90% de la population indigène du sous-continent.

      Existe t-il une identité ethnique dans le sous-continent ou un « panindigénisme »?

      Comme souligné antérieurement, les mouvements de protestation des indigènes en Amérique Latine ont démarré dans les années 80. Localisés dans quelques pays (Mexique, Equateur, Honduras…), le mouvement s’est généralisé dans les années 90. Victimes des mêmes situations d’exclusion, les revendications ont souvent été de même nature, focalisées sur le respect de leurs droits [d’exister].

      Au milieu des années 90 les revendications ont sensiblement évolué. Ils commencent à réclamer la jouissance des droits fondamentaux, la justice sociale et la ‘reconnaissance de leurs différences’. Parallèlement aux mouvements et manifestations nationales vont se développer des confédérations régionales et des fora régionaux. S’il est certain que des voix s’élèvent souvent dans le même sens – contre l’injustice sociale et l’exclusion - il est toutefois difficile de parler d’un quelconque « panindigénisme ». Il n’a jamais vraiment eu de résolutions prises au nom de tous les peuples indigènes de la région ni de « manifeste » exhortant à une union des peuples indigènes pour lutter ensemble dans le but d’atteindre un objectif commun. Il n’existe pas un ‘grand mouvement indigène’ en Amérique Centrale, avec des revendications homogènes et une stratégie de lutte commune.

      Les Luttes de Libération des Minorités en Amérique Centrale : Nature, acquis et défis.

      Origine et causes objectives du déclenchement des mouvements contestataires

      Les populations indigènes d’Amérique Centrale sont les plus pauvres d’entre les pauvres, les plus exclus d’entre les exclus. En plus du fléau de l’exclusion économique et de la discrimination sociale, leurs droits sont bafoués et elles sont souvent victimes de répression.

      La situation dans laquelle se trouvent les peuples indigènes se caractérise par la soumission et l’oppression politique, sociale et culturelle. Les conditions d’existence sont tour à tour qualifiées d’infrahumaines ou d’inhumaines : marginalisation, misère et extrême pauvreté couplées à l’analphabétisme, de forts taux de mortalité infantile et, chez les adultes, la malnutrition, le chômage, la promiscuité, l’usurpation de terres.

      Nature de la lutte et principales revendications

      Les luttes de libération des communautés indigènes d’Amérique Centrale ont toujours revêtu un caractère “pacifique’. Regroupées en confédérations indigènes, localisées et très peu médiatisées, l’essentiel de leurs actions se traduit par l’organisation de fora nationaux et régionaux, de séminaires et de colloques consacrés à réfléchir sur leurs conditions d’existence et sur les améliorations qu’ils souhaitent en apporter. Ces fora terminent le plus souvent par des déclarations d’intention qui n’ont aucun caractère contraignant pour les gouvernements. La tenue de sittings et plus récemment l’organisation de manifestations de rue, toujours pacifiques viennent s’ajouter aux moyens de ‘pression’ utilisés.

      Principales Revendications

      • Droit à l’existence
      • Cessé d’être ignoré, méprisé, réprimé
      • Cessé d’être considéré comme un épiphénomène social ou comme objet d’étude anthropologique
      • Amélioration des conditions de vie
      • Accès à l’habitat, l’éducation, la santé et aux infrastructures de base : eau, routes, électricité
      • Accès aux moyens de production et à la terre
      • Redistribution des bénéfices engendrés par l’exploitation de leurs ressources naturelles
      • Reconnaissance des droits fondamentaux
      • droit d’être différent, d’être reconnu et accepté en tant que tel
      • refus des conditions inférieures d’existence
      • exigence des droits et libertés fondamentales – charte droits de l’homme: plus simplement le doit d’exister, mais le droit d’exister «  dignement »
      • Sauvegarde culturelle – identitaire
      •  Reconnaissance de leur identité culturelle, dépositaire de traditions ancestrales, d’un savoir-faire millénaire et même d’une philosophie de vie : relation avec la terre, l’entraide, le ‘communautarisme’…
      • Valorisation de leur patrimoine
      • Traitement différencié : multilinguisme, administration de la justice…
      • Ecologique
      • Contre l’exploitation sauvage des ressources naturelles et la destruction de leur environnement.

      lutte des indigènes est-elle intégrationniste, autonomiste et/ou séparatiste ? Revêt-elle un caractère politique ?

      Si le terme d’autonomie ou d’auto décision revient souvent lorsqu’on évoque les mouvements indigènes, Ceux-ci n’ont jamais vraiment cherché à se séparer des Etats nationaux auxquels ils appartiennent. Leur lutte est essentiellement contre « l’assimilation culturelle » et « l’uniformisation » sous prétexte d’une quelconque unité nationale. De la même manière, la lutte des indigènes n’a jamais eu une vraie dimension politique, sauf jusqu’à l’avènement du Sous-Commandant Marcos et de l’EZLN.

      Réponses des gouvernements aux revendications des indigènes:

      • Ignorance, mépris, répression
      • Mise en place de certains programmes - dits de développement – mais surtout d’assistance alimentaire et d’accès à certains services publics de base.

      Limites : pas de capacitation, pas développement de potentiels, et les groupes indigènes sont tenus à l’écart des décisions qui sont censées prises pour les aider!

      Contribution de la communauté internationale : ONG’s

      • Promotion de l’organisation, mise en place de structures d’autogestion et création de structures d’aide et d’entraide
      • Complémentarité dans la fourniture de services publics de base
      • Développement d’initiatives nouvelles : commerce équitable, promotion de l’artisanat…

      Bilan des acquis et challenges

      Après près de trente ans de lutte des indigènes pour la reconnaissance de leurs droits, seulement de très maigres résultats ont pu être récensés. Les principaux indicateurs socioéconomiques n’ont pas vraiment évolué et se sont mêmes empirés dans certains cas. Les indigènes continuent à souffrir des mêmes carences : taux d’analphabétisme élevé, malnutrition, insalubrité et mortalité infantile. Dans certains états comme le Chiapas au Mexique par exemple, abandonnés à leur propre sort, les conditions d’existence étaient devenues catastrophiques. C’est ce qui a favorisé, selon certains analystes, l’émergence d’un mouvement comme l’EZLN, l’Armée Zapatiste de Libération Nationale dans cette région du Mexique.  

      Présentation du mouvement Zapatiste 

      Bref rappel historique : 1er janvier 1994, date d’entrée en vigueur de l’Accord de Libre Echange des Amériques : ALENA

      Nature du mouvement : révolution sémantique, philosophique et stratégique :

      • Caractère tridimensionnelle
        • Lutte armée
        • Travail de conscientisation des mayas et des autres tranches de la population
        • Large médiatisation nationale et internationale

      Au-delà des « minorités traditionnelles » et des « revendications classiques » :

      Principales revendications

      • Aux revendications classiques s’ajoutent : liberté, dignité, démocratie, justice sociale

      Mode d’actions

      • Lutte armée comme moyens de défense et atout pour peser dans les négociations
      • Priorisation du dialogue avec les autorités
      • Forte implication des communautés concernées et mise en place de micro-structures - organisations de base – d’autogestion.

      Bilan

      Le mouvement zapatiste a donné une impulsion considérable à la lutte des indigènes du Mexique et des minorités en Amérique Latine en général. Il a permis de :

      • Aider les populations concernées à prendre conscience de leur situation et de la nécessité d’engager une lutte pour un changement plus efficace
      • Révéler l’existence du problème à l’échelle nationale et attirer des sympathies sur le plan international
      • Contribuer à infléchir la position du gouvernement 

      En 1996, un processus de dialogue a abouti aux Accords de San Andrés, acte fondateur d’un rapport nouveau entre l’Etat et les populations indigènes. Signé par les deux parties, le gouvernement mexicain et l’EZLN, ces accords prônent en essence :

      • L’instauration d’un nouveau pacte social entre l’Etat et les populations indigènes
      • La reconnaissance par l’Etat Mexicain du droit à la libre détermination et à l’autonomie des peuples indigènes
      • Une nouvelle initiative visant à promouvoir la culture et les droits des communautés indigènes (Assemblée et Sénat)

      Bilan global

      • Reconnaissance officielle du droit à la libre détermination des indigènes.
      • modification de la constitution pour :
        • faire rentrer le thème MAYA dans l’agenda politique
        • aider les populations à prendre conscience de leurs droits, et de l’«  in - acceptabilité » de leurs conditions d’existence
        • mettre en place de nouvelles structures d’organisation et d’intégration …
      • Création de nouvelles structures officielles qui incluent dorénavant des représentants indigènes
      • Lancement de nouveaux programmes gouvernementaux (Programme National pour le Développement des Peuples indigènes, PNDPI, 2001 - 2006) avec des composantes de renforcement des capacités des indigènes et le développement de leurs compétences (concertation, consensus, dialogue).

      Situation actuelle et défis

      Malgré l’approbation de certains textes de loi, les conditions d’existence des communautés indigènes n’ont pas encore changé de manière sensible. Il y a eu certaines avancées juridico-formelles, mais dans la réalité beaucoup de lois n’ont pas été suivies d’effet et les principaux programmes n’ont pas vraiment apporté les fruits escomptés. Même les Accords de San Andrés considérés comme l’une des principales avancées du Mouvement n’ont toujours pas été ratifiés par le Parlement mexicain.

      Parmi les principaux défis, se trouve la création d’une élite intellectuelle capable de créer des courants de pensée et de pénétrer les cercles d’influence dans le but de promouvoir leurs causes. Jusqu’ici, très peu d’indigènes ont réussi à se forger un nom au-delà de leurs frontières et à gagner une reconnaissance internationale. Parmi les rares exceptions, nous pouvons mentionner Rigoberta Menchú, Prix Nobel de la Paix 1992, Alejandro Toledo, ancien Président du Pérou et Evo Morales, actuel Président de la Bolivie.


      1. Source : World Fact Book Oct.2002, mise à jour 2004.

      Toussaint Frantz
      masculin
      Wormser Gérard masculin
      Minorités et les Luttes de Libération en Amérique Centrale
      Toussaint Frantz
      Département des littératures de langue française
      2104-3272
      Sens public 2006-09-25
      Tolérance et Différence

      Les luttes de libération des minorités en Amérique Centrale. Les étapes charnières, les acquis, les grands défis qui restent à relever et les perspectives à court et moyen terme. En décrivant « l'intolérance » de presque toutes les autres composantes de la société à leur égard et « l'indifférence » avec laquelle elles ont toujours été traitées, je finirai par démontrer, dans ce contexte hostile, le sens de leur lutte pour la « tolérance » et le mérite de leur combat pour la reconnaissance et l'acceptation de leurs « différences », non seulement ethniques mais aussi politico-sociales et culturelles.

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