Je suis Ève la blonde, Ève la douce
Ses mots d’amour insistent
« Tu es la première
Tu es une partie de moi
À mes côtés »
Mon corps d’albâtre est blanc et lisse
Car c’est ce qu’il préfère
Je fais la vaisselle
Je porte ses enfants
Il choisit mes vêtements
Ce qui compte est de cacher ce qui lui appartient
Là où il pleure du lait pendant que
Je dors sagement
Noyée ou morte.
Comme Ève le dit au Serpent
Il n’en a pas toujours été ainsi
Je crois
(Je sais ?)
Je n’ai pas toujours été
« À ses “côtés” »
Domestiquée
Sage
Lisse
Sans aspérité
Une épouse
Une mère
Nue dans le jardin du bien et du mal
Entre le royaume des vivants et des morts.
Comme Ève le dit au Serpent
Il croit que j’ai oublié
Que je suis apprivoisée, mais
Je me souviens
Je n’étais pas une possession
J’étais sujet
(non objet)
Avant le Verbe
J’ai été impudique
Et je n’avais pas honte
J’ai été vulgaire même parfois
Je dansais
J’étais « Reine de la nuit ».
C’est le signal.
Le Serpent aux yeux d’ambre
Déroule ses anneaux, enserre son cou tendrement
Initiateur et hypnotique
Les feux ardoisés que jettent ses écailles
Désignent la pomme de la discorde
– Le fruit défendu –
Il répond :
Pour être celle qui savait
(Scelle qui saignait)
Remember
La connaissance
C’est l’impudeur
C’est le choix
C’est la vérité nue
C’est la rébellion
C’est une agonie
C’est la sexualité comme désir intense et force de pouvoir
Force de savoir
C’est la différence essentielle
Sa langue fourchue glisse sur la pointe
De ses seins.
Il dit :
Tu ne pourras plus ne plus voir
Plus jamais
Tu n’ignoreras
Et pour cela
Tu seras chassée
Battue
Tu seras
Menaçante
Dangereuse
(Pute)
Une fille perdue
Éventuellement bonne à baiser
Mais pas bonne à marier
(Salope)
Tu ne seras plus sage
Tu ne joueras plus selon les règles
Tu jouiras
Et tu jouiras sans lui
Avec tes sœurcières
Tu déborderas
Tu seras trop
Si trop
Qu’il ne pourra plus te contenir
Plus te museler
Plus jamais
Le Serpent siffle :
Le prix coûte cher
C’est ton ensauvagement
Ton agentivité.
La pomme brille comme sa langue.
Alors ?
Alors :
Ève croque
Ève mord
Animale
Elle n’hésite pas
Elle désire
Elle déchire
C’est la première fois
Tout ce qu’elle veut
Le goût est vif
Le goût est cru
Le goût est brut
Impardonnable.
Aussitôt
Son corps se couvre de boue
De limon sombre
Sa peau noircit, se fait ébène
Ses cheveux roussissent
Léchés par des flammes nouvelles
Loin de la beauté
Elle se modèle
De glaise écarlate
Elle tire sa peau
Qui coagule
(Il n’y avait plus de place pour qu’elle puisse grandir d’avantage
Ici)
Elle abat les murs
Elle casse la fenêtre
Elle occupe l’espace
Elle prend ce qui lui appartient.
Ève lève les bras,
Que la toison libre et odorante y pousse.
Son entre jambe soudain obscène se fait
Sexe
Bestial
Velu
La Bête
Diabolique, il saigne :
Son sang rouge coule à la face du monde
Éclabousse la neige
Teinte les feuilles – c’est le premier automne.
Partout
Elle crie
Partout
Elle triomphe
Tout lui est révélé
Ses lèvres pleines rient
d’un rire pointu
Son cri triangulaire
Est un cri libre.
Comme Ève le dit au Serpent
Ils entendront parler de moi comme d’une femme déchue
Les femmes croiront porter la honte
Mais elles porteront le potentiel d’être
D’Ève à Lilith
Femme du jour à démon de la nuit.
Sachez que
Je ne suis pas tombée
On m’a poussée :
Vil homme
Éternel Adam
Toi qui a créé Dieu à ton image
C’est toi que j’accuse.